[MUSIQUE] Nous avons la chance aujourd'hui d'avoir avec nous le professeur Schaer, que vous avez déjà pu connaître dans ce MOOC et dans les différents MOOC de cette triade. Et aujourd'hui, elle va nous parler plus spécifiquement de son activité de chercheuse auprès d'une cohorte de jeunes bébés à risque de développer un TSA. En effet, parmi les différentes activités de recherche qu'elle a mis en place, elle suit également des jeunes bébés à risque de développer un TSA qui se trouvent notamment dans la fratrie d'enfants qui ont déjà reçu un diagnostic formel. Merci beaucoup Marie d'avoir accepté d'être avec nous pour cette interview. Une des questions que j'avais pour toi c'était, qu'est-ce que tu penses que ces recherches auprès des jeunes bébés à risque de développer un TSA, notamment je sais que tu es en train de suivre une cohorte de bébés dans la fratrie d'enfants ayant déjà reçu un diagnostic, du coup qu'est-ce que ces recherches tu penses vont nous amener, autant pour le dépistage précoce que pour l'accompagnement précoce? >> C'est vrai que dans l'autisme, on l'a dit plusieurs fois au cours de ce MOOC, plus on intervient tôt et meilleur est le résultat. Et ça c'est des choses que beaucoup d'auteurs ont trouvé dans la littérature que nous on a pu aussi reproduire avec des résultats qu'on a ici d'enfants qui ont été collectés à Genève et en France, que plus on intervient précocement, meilleur sera le gain en termes de gain cognitif. C'est ce que vous voyez sur cette figure-là, que si on commence avant 30 mois, vous voyez que le gain cognitif est très important, si on commence un peu plus tard, on a un gain cognitif qui est toujours là, qui reste important mais qui est un peu plus modeste que si on avait commencé très tôt, et puis virtuellement, après l'âge de 4 ans, bien sûr que l'enfant va faire des progrès, mais le gain cognitif net ne sera plus aussi important. Donc, c'est vrai qu'il y a une pression énorme pour les cliniciens d'avoir un diagnostic qui soit le plus précoce possible puisqu'on sait que plus on diagnostique tôt, plus on va pouvoir intervenir tôt et pouvoir accompagner ces enfants et leur permettre d'avoir un meilleur bénéfice à long terme. Donc, pour moi vraiment, le potentiel énorme est dans la recherche de biomarqueurs pour un diagnostic qui soit non pas précoce mais vraiment ultraprécoce, en sachant qu'après, il va falloir aussi développer de la recherche sur des moyens d'accompagner ces enfants. Et est-ce que la manière dont on fait de l'intervention précoce chez des enfants de 2 à 4 ans sera la même que de faire de l'intervention ultraprécoce, ça c'est encore des choses qui sont ouvertes et sur lesquelles la recherche s'intéresse. >> Merci beaucoup pour tes réponses. Du coup, ce qui me vient à l'esprit en t'écoutant c'est, mais finalement, qu'est-ce que toi tu penses que ces recherches vont amener vraiment pour le type d'accompagnement qui est destiné à ces enfants dans les années à venir, parce que c'est un domaine scientifique qui est vraiment en train de se développer actuellement, donc on parle vraiment de découvertes qui vont se dévoiler dans les prochaines années. >> C'est vrai que si on regarde un petit peu comment la recherche a évolué, moi j'ai l'impression que c'est la recherche et la clinique, la pratique clinique aussi, j'ai l'impression que ces 10-20 dernières années on a mis beaucoup d'emphase sur le diagnostic précoce et moi mon pari, ce serait que les 10-20 années à venir, on va mettre de l'emphase sur un diagnostic ultraprécoce. Et tu nous as parlé dans la dernière leçon de tous ces signes comportementaux qu'on pouvait trouver chez des bébés avec des premiers signes qui commencent à apparaître vers l'âge de six mois. En général, les choses deviennent plus claires entre 9 et 15 mois. Donc, là il y a vraiment pas mal d'emphase de recherche sur le comportement pour identifier des signes précoces. Mais on peut imaginer que dans le diagnostic ultraprécoce, il y a aussi des marqueurs physiologiques qui jouent un rôle, par exemple d'imagerie cérébrale, de marqueurs sanguins, de marqueurs génétiques, d'eyetracking, beaucoup d'autres choses dont on pourrait imaginer qu'elles jouent un rôle pour nous aider à avoir un diagnostic qui soit vraiment ultraprécoce, idéalement vraiment dans la première année de vie. Et puis c'est vrai que peut-être pour ajouter, c'est quelque chose qu'en psychiatrie, on a encore assez peu, on est dans un modèle dans lequel on est assez binaire, dans le sens de dire on aurait soit un diagnostic soit pas de diagnostic. Mais dans la médecine somatique, on n'a pas seulement quelque chose de très clair avec diagnostic ou pas de diagnostic, mais on a quelque chose dans lequel on est souvent dans un staging dans lequel on a des marqueurs très précis. Si on prend par exemple l'exemple des maladies cardio-vasculaires, la maladie cardio-vasculaire, elle va d'un risque jusqu'à vraiment quelque chose qui est une insuffisance cardiaque. Donc, il y a des choses qui sont très déterminées par l'Association américaine de cardiologie avec un staging, dans lequel le premier stage c'est l'idée qu'il y ait un risque familial puisque la personne dans son entourage a des personnes qui sont affectées, qui a peut-être un taux de cholestérol qui est haut, une tension artérielle qui est haute, ça ce serait le premier stade. Et à ce premier stade, on va avoir des interventions qui sont spécifiques adaptées pour ce premier stade. Le deuxième stade ce serait de voir avec l'imagerie cardiaque, donc avec un ultrason, que finalement il y a une atteinte au cœur lui-même sans qu'il y ait des symptômes associés. Donc là, on a aussi une réponse spécifique adaptée par rapport à ça. Le troisième stade, ce serait... Tu comprends un petit peu l'idée, qu'on a vraiment des étapes différentes, et qu'à chaque étape on ait une réponse spécifique. Et ça c'est quelque chose qu'on a encore peu en psychiatrie. Il y a un certain nombre de personnes qui commencent à imaginer qu'on peut appliquer ça. Il y a par exemple Tom [INCONNU] qui a proposé qu'on puisse appliquer ça au staging de la schizophrénie avec le même type de modèle avec quatre étapes dans lesquelles à chaque étape on aurait une réponse différente. Et moi je pense que c'est ce genre de choses qui pourraient émerger aussi dans l'autisme puisque c'est un trouble neurodéveloppemental de pouvoir caractériser les différentes étapes, en allant du risque à vraiment le diagnostic avéré. Mais entre deux, il n'y a pas que le risque, il n'y a pas que le diagnostic avéré, mais il y a la déviation dans le développement. On pourrait aussi imaginer qu'on met d'autres paramètres physiologiques dans cette modélisation des différentes étapes et après, pouvoir avoir des réponses qui sont vraiment très spécifiques en fonction de où est-ce qu'on se trouve dans la gradation du risque vers le trouble avéré. Moi, mon pari c'est que c'est un petit peu vers ce genre de choses qu'on va pouvoir aller dans les 10-20 années à venir. >> C'est très intéressant en effet. Et puis, c'est vrai que dans tes recherches, dans ta pratique de chercheuse, tu as vraiment cet intérêt pour les neurosciences et la neuro-imagerie. En t'écoutant, la question que j'avais pour toi, c'était aussi comment tu penses que ces recherches en neuro-imagerie vont nous aider à mieux comprendre finalement le développement des bébés à risque et à améliorer leur accompagnement? >> Bon, c'est vrai que moi je fais beaucoup de recherches dans la neuro-imagerie, et le but de la neuro-imagerie chez des enfants qui ont un autisme c'est de comprendre qu'est-ce qui est modifié dans leur cerveau et comment est-ce qu'on peut mieux comprendre qu'est-ce que c'est que l'autisme. Quand on parle des bébés à risque, il y a aussi la question de est-ce qu'on pourrait utiliser la neuro-imagerie pour nous soutenir dans le diagnostic. On ne va jamais utiliser la neuro-imagerie pour faire un diagnostic d'autisme chez un enfant qui a un autisme avéré puisque le diagnostic est comportemental, il est clair, on n'a pas forcément besoin d'avoir un biomarqueur en plus d'imagerie éventuellement pour savoir quel sous-groupe, est-ce qu'il y a des différences pour mieux comprendre chez ces enfants-là, mais on ne va jamais l'utiliser pour nous aider au diagnostic. Quand on parle d'enfants à risque, dans les premières années de vie, vraiment les premiers mois de vie, et qu'on n'est pas sûr sur le plan comportemental qu'on a des signes, on pourrait imaginer que la neuro-imagerie ce soit parmi d'autres une des techniques, un des outils qui va pouvoir nous donner des indications un petit peu plus importantes. Et là, il y a des études très intéressantes qui sont entre autres menées par le groupe de Marc Shen, qui montrent qu'il y a des différences dans la quantité de liquide, vraiment ce qu'on appelle le liquide extra-axial, donc dans l'espace [INCONNU], en gros entre le cerveau et le crâne, il y a plus de liquide déjà très tôt chez ces bébés-là. Et déjà à six mois, ça semble être un prédicteur de est-ce que l'enfant va une année plus tard avoir des symptômes d'autisme alors même qu'à six mois, cliniquement, le clinicien n'arrive pas encore à identifier la différence. Donc, là il pourrait y avoir tout un potentiel si ces études se confirment, c'est quelque chose qu'il a vraiment pu reproduire dans différents échantillons, mais de voir si c'est quelque chose qui se confirme à plus grande échelle, de dire, eh bien OK, à six mois on pourrait faire une IRM, voir si à l'IRM on voit cette augmentation de la quantité de liquide, et puis voir si finalement ça nous permettrait d'avoir un biomarqueur qui soit beaucoup plus précoce et qui soit quelque chose que le clinicien ne peut pas voir. Donc, probablement qu'on va vraiment aller dans quelque chose dans lequel on va combiner des informations de différentes sources, et que dans ce contexte-là l'IRM pourrait être un outil parmi d'autres. Même si ce n'est pas forcément quelque chose qui est facile de faire passer une IRM à un bébé, je pense que la plupart des parents agiraient volontiers vers ça si ça leur permettait d'anticiper qu'est-ce qu'ils peuvent faire dans les mois à venir en disant qu'il y a aussi des techniques, anesthésie ou de faire ça pendant le sommeil naturel pour avoir une image cérébrale, si ça leur permettait de répondre à la question est-ce que mon enfant est vraiment à risque ou pas? Je pense qu'il y a beaucoup de parents qui seraient ouverts à cette possibilité. >> Et l'autre gros morceau, disons dans la recherche des biomarqueurs, c'est aussi la recherche en génétique qui en autisme a énormément évolué dans les dernières années. Vous en parlez largement d'ailleurs dans le MOOC 2 sur la biologie et les neurosciences. Et concernant les bébés à risque, est-ce que tu pourrais nous en dire un mot, où en est la recherche ou qu'est-ce que toi tu envisages pour les années à venir dans ce domaine? >> Bon, là c'est vrai que comme tu dis, c'est la recherche en génétique, elle a énormément évolué. Maintenant, on comprend de mieux en mieux quels sont les gènes qui sont impliqués même si on est vraiment encore loin de pouvoir comprendre complètement. Il y a à peu près un millier de gènes qui est impliqué dans les troubles du spectre de l'autisme. Donc, c'est vraiment un problème des syndromes génétiques qui sont vraiment différents les uns les autres, c'est des choses qu'on comprend mieux même si on n'a encore pas fini et qu'on en découvre tous les jours. Dans ce contexte-là, ça pourrait nous amener à avoir des facteurs de risque plus précis pour des bébés, même en prénatal ou en périnatal, de pouvoir faire un bilan génétique et de pouvoir rechercher ces gènes dont on sait qu'ils sont impliqués dans l'autisme. Donc, on peut aussi imaginer que dans notre modèle de staging et d'identification précoce des risques, on rajoute aussi une information qui soit une information du profil génétique de cet enfant-là, soit à la recherche de gènes dont on sait que ce sont des gènes qui sont impliqués, soit avec ce qu'on appelle des Polygenic Risk Scores, c'est-à-dire l'idée qu'on va regarder à travers tout le génome et puis on va identifier des gènes dont on sait qu'ils vont être potentiellement impliqués mais à eux tout seuls ne créent pas des troubles du développement ou un autisme. On va regarder combien il y a de ces gènes-là dans la personne en particulier. Et puis, ça va nous créer un facteur de risque polygénique qui pourrait vraiment se rajouter au tableau qui nous permet d'identifier si oui ou non il y a un risque pour cet enfant-là. >> C'est un concept qui est très intéressant. L'autre biomarqueur auquel tu t'intéresses largement et que tu as largement publié, ce sont aussi les aspects de suivi visuel avec notamment les paradigmes d'eyetracking que aussi tu as présentés sur le MOOC sur la biologie et les neurosciences assez largement. Je sais que tu as aussi développé des tâches d'eyetracking, vraiment des paradigmes d'eyetracking spécifiques aux tout-petits, parce que j'imagine qu'il faut aussi les adapter au jeune âge de ces enfants. Est-ce que tu pourrais nous dire un mot à la fois sur les nouvelles recherches et les spécificités de ces recherches sur les comportements visuels chez les bébés et peut-être aussi nous donner un exemple de qu'est-ce que tu es en train de faire, de quels types de paradigmes tu es en train de proposer pour la recherche dans ce domaine. >> Alors, l'eyetracking, c'est vrai que c'est une technique qui est intéressante parce que c'est une technique qui est facile à faire. L'enfant est juste derrière un écran d'ordinateur, et puis c'est quelque chose qu'on peut faire vraiment dès les premiers mois de vie de l'enfant. Il y a beaucoup d'auteurs qui se sont intéressés à ça. Il y a tous les travaux de Klin qu'on a présentés aussi au début de ce MOOC et puis un petit peu plus approfondis dans le MOOC 2, qui montrent que dans les premiers mois de vie, on arrive déjà à identifier qu'il y a une diminution de l'orientation sociale. Donc, vers l'âge de quatre, six mois, l'enfant va de moins en moins regarder dans les yeux, regarder un peu plus la bouche, regarder un petit peu plus d'autres choses que des stimuli sociaux et donc là, effectivement, en adaptant des paradigmes, on arrive à mesurer l'orientation sociale et puis de montrer comment est-ce que cette orientation sociale va nous donner des indices qu'on peut encore rajouter comme on disait encore à notre tableau de la compréhension du risque d'autisme très précocement. Donc, ça c'est quelque chose qui potentiellement va nous donner un autre outil pour mesurer quelque chose de comportemental d'une manière qui est relativement fiable et qui peut avoir un grand potentiel pour être utilisé dans la clinique au quotidien, puisque c'est quelque chose qui est facile à acquérir et qui nous donne des informations assez précises. Donc, l'orientation sociale c'est vraiment un des paradigmes. Concrètement, on peut montrer simplement une vidéo d'une personne en gros plan, donc de son visage, regarder si elle regarde plus dans les yeux, elle regarde plus la bouche ou si elle regarde d'autres éléments à côté comme les oreilles, les cheveux ou des choses qui sont moins pertinentes sur le plan social. Ça c'est vraiment une partie des outils qui sont beaucoup utilisés et beaucoup explorés actuellement comme des marqueurs précoces dans les premiers mois de vie vraiment, avant l'âge de neuf mois. Et puis une autre chose qui est aussi explorée, c'est comment est-ce que l'enfant arrive à modifier sa cible d'attention, c'est-à-dire à quelle flexibilité il arrive à regarder quelque chose, puis ensuite regarder autre chose, parce que ça, ça nous donne une indication de la flexibilité qu'il peut avoir dans l'engagement de son attention au quotidien et dont on pense, c'est une des autres hypothèses dans l'autisme, qu'elle pourrait à long terme amener à des difficultés de type autistique. Donc, là il y a des paradigmes de type des engagements visuels dans lesquels on montre quelque chose d'un côté de l'écran, puis ensuite on a autre chose, et on regarde vraiment la rapidité avec laquelle l'enfant fait une saccade, qui est un paradigme très simple, peu naturalistique finalement, parce que ce n'est pas comme ça que c'est présenté dans la vie de tous les jours, mais qui va nous donner une indication d'un processus très simple de la rapidité avec laquelle l'enfant arrive à suivre ce qui se passe dans son environnement sans être aspiré et de rester coincé sur une chose plutôt qu'une autre. >> Et qui semble effectivement assez facile à appliquer à des bébés. >> Clairement, c'est quelque chose qui est très facile à appliquer depuis l'âge de... Il y a plein d'études qui montrent qu'à partir de l'âge de deux, trois, quatre mois, on arrive à avoir des données qui sont fiables. >> Merci beaucoup, Marie, pour toutes ces explications très intéressantes. Nous arrivons maintenant à la fin de cette leçon. On remercie la doctoresse Schaer d'avoir été avec nous. Dans la prochaine leçon, nous allons voir plus spécifiquement des extraits cliniques et de mises en place pratiques de types d'accompagnements de jeunes bébés à risque de développer un TSA. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE]