Bonjour Dr. Rogers, merci beaucoup de vous joindre à nous aujourd'hui pour parler du modèle ESDM. Un des points que nous avons abordé dans ce module est de comprendre comment le Early Start Denver Model est un modèle “complet”. Il semble avoir un meilleur effet ou un effet plus approfondi lorsque le programme de l'enfant est complet et bien coordonné. Je souhaiterais que vous nous parliez de ce à quoi cela ressemble dans l'ESDM, de comment l'ESDM est en effet une intervention complète ? Il est complet de plusieurs façons. Tout d'abord, dans la version intensive de l’ESDM, la version en individuel, nous évaluons les enfants dans tous les domaines du développement, et nous écrivons des objectifs et effectuons le traitement dans chaque domaine du développement dans lesquels l'enfant a des difficultés. Dans le modèle bref comme le P-ESDM prodigué par les parents ou le C-ESDM communautaire, nous abordons tous les domaines de développement qui sont typiquement affectés par l'autisme, comme le jeu symbolique et le langage, la communication sociale et les capacités d'imitation. Dans ces versions brèves, nous ne touchons pas à tous les domaines du développement de l’enfant, mais nous touchons à tous les domaines qui sont affectés par l'autisme. Nous évaluons tous ces domaines tous les trois mois, donc nous faisons fréquemment des évaluations et des mises à jour des plans de traitement, que le type d'intervention soit intensif ou bref. C’est ce qui, d’une part, rend l’intervention complète. La deuxième façon est que nous travaillons toujours dans des équipes pluridisciplinaires, donc nous n'avons pas seulement l'expertise du thérapeute principal, mais il y a une équipe pluridisciplinaire qui qui assume un rôle de soutien du thérapeute principal. Parfois, ce sont d'autres personnes dans l'institution, l'ergothérapeute, l'orthophoniste, la psychologue, le phytothérapeute. Ou parfois cela implique une coordination avec d'autres thérapeutes indépendants qui travaillent avec cet enfant pour s'assurer que tous les objectifs et domaines de besoins sont ciblés. Mais c'est une partie très importante de l'ESDM qu'il y ait une expertise pluridisciplinaire derrière l'enfant et derrière le thérapeute principal. Je pense que le quatrième élément qui rend l’ESDM complet, réside dans l'inclusion du parent en tant que membre principal de l'équipe de traitement, et que le domicile et tous les contextes quotidiens soient des lieux dans lesquels sont établis les objectifs de traitement et où les objectifs d’apprentissage de l'enfant seront activement ciblés. En incluant les parents, en veillant à ce que nous travaillions avec le parent pour une généralisation auprès d'autres personnes, d'autres environnements, et d'autres activités, nous nous assurons de toucher les besoins globaux de l'enfant en termes de généralisation de ses compétences à travers les environnements et les autres personnes, afin que l'apprentissage dans tous les domaines soit un apprentissage riche et complet et pas seulement lié à une personne en particulier, une heure particulière, ou un cadre particulier. Cette participation des parents permet aux enfants de profiter d’avantage de leurs routines quotidiennes, leur vie quotidienne avec leurs parents et ces possibilités d'apprentissage se poursuivent tout au long de la journée. Il y a une autre chose que je voulais vous demander : Notre public vit dans des pays francophones et ce que j'ai remarqué depuis mon déménagement ici est qu'il y a moins de formation de base en analyse comportementale appliquée. Quand nous travaillons aux États-Unis, les gens viennent souvent à la formation ESDM avec une bonne connaissance de base en analyse comportementale appliquée. Ce que je vois ici et aussi en France c'est qu'on a beaucoup de thérapeutes qui viennent à la formation ESDM et qui n'ont pas forcement eu d'expérience en intervention précoce ou en ABA. Dans ce module, nous avons parlé de la façon dont l'ESDM se base sur la science du développement et du développement de l'enfant, mais aussi sur la science de l'apprentissage comportemental. Je voulais vous demander de développer ce point. Pourquoi l'ESDM est-il considéré comme un une pratique de l'ABA dans ce sens ? Je veux commencer par décoder ou démystifier le terme ABA. L'analyse comportementale appliquée est une façon d'utiliser les principes de la science de l'apprentissage pour aider les gens. C'est ce que la partie "appliquée" signifie. L'analyse du comportement c'est mettre l'accent sur le comportement en termes d'apprentissage, donc les principes de l'analyse du comportement sont les principes de la science de l'apprentissage, la même science de l'apprentissage qui est à la base de toute l'éducation. Cela décrit comment les humains et les autres mammifères, et même animaux, apprennent dans le monde entier. Les principes de l'apprentissage opérant, que nous apprenons en fonction des stimuli qui se produisent et par les conséquences de nos comportements, s'applique de manière très large. L'apprentissage classique que nous apprenons très vite, les choses qui ont une signification émotionnelle pour nous, les émotions particulièrement négative, les choses qui causent de la douleur, les choses qui provoquent la peur, ce sont des apprentissages en un seul essai pour nous tous, et pour de nombreuses espèces. Ces principes sont ceux de l'apprentissage. Je pense que, notre objectif est d'enseigner aux enfants, d'enseigner aux parents, d'enseigner aux thérapeutes, à apprendre les uns des autres, et nous utilisons toujours les principes de la science de l'apprentissage pour le faire. Plus nous sommes de bons enseignants, plus nous utilisons ces principes de l'apprentissage. J'ai vraiment eu l'occasion de travailler avec les développementalistes avant que j'ai appris à propos du monde de l'ABA, il y a des décennies. Comme j'en ai appris davantage sur l'application des principes de la science de l'apprentissage d'une manière très précise à un programme de développement, je pouvais vraiment voir comment chacun d'entre nous qui avait été formé à l'intervention, y compris mes premiers éducateurs spécialisés pour enfants qui connaissaient si bien cette littérature de l'apprentissage, nous sommes tous devenus meilleurs, plus compétents, et plus précis lorsque nous avons adopté les mêmes pratiques utilisées par les thérapeutes comportementaux, qui comprennent les objectifs très spécifiques qui ciblent les changements attendus et une compréhensions très claire des antécédents que nous utilisons et les conséquences que nous utilisons, et de prendre des données afin d’être précis et de voir si les méthodes que nous utilisons fonctionnaient ou pas. Quand nous avons ajouté ces éléments à notre pratique, et pas de manière très formelle au départ, mais nous l'avons fait pour notre programme de développement qui était déjà en bonne voie et montrait de bons résultats à l'époque. C'était juste tellement clair qu'une ligne de pensée plus précise existe sur l'utilisation des outils de la science de l'apprentissage pour travailler les objectifs de communication, les objectifs cognitifs, de jeu, moteurs, peu importe, la formation des enseignants, le coaching des parents, tout, chaque partie du programme. L'utilisation de la science de l'apprentissage n'a rien à voir avec la façon dont l'opportunité d'apprentissage est maîtrisée. Que ce soit par l'apprentissage en masse ou des essais distincts, donc une façon d'enseigner, ou l'apprentissage naturaliste en suivant la motivation de l'enfant et échanger les rôles, c'est une autre façon de développer les possibilités d'apprentissage. Ces deux façons peuvent être réalisées avec une adhésion de très haute qualité aux principes scientifiques de l'apprentissage. Je pense que l'idée de la précision est importante quand on pense à ce à quoi on a affaire avec les jeunes enfants avec TSA, quand ils commencent l'intervention précoce ils ont déjà des lacunes dans leurs apprentissages. Ils sont en retard par rapport à leurs pairs, et ils ont été probablement en retard par rapport à leurs pairs depuis qu'ils ont neuf mois au moins, nous savons cela grâce aux données issues de recherches sur les nourrissons. Si nous pensons au fait que chaque mois, chaque jour de la vie de ces enfants, ils n'obtiennent pas les opportunités d'apprentissage qui se trouvent dans leur environnement, alors que les enfants sans TSA apprennent, nous savons donc que ces lacunes augmentent d'année en année. Cela signifie également que nous devons augmenter le nombre de possibilités d'apprentissage auquel cet enfant est exposé à chaque jour. Et je n'ai aucun doute, et la littérature est claire que les parents de jeunes enfants avec un TSA qui n’ont pas encore recourt à une intervention spécifique fournissent quand même de nombreuses possibilités d'apprentissage. Il y a très peu de différence entre la façon dont ils font et comment tout autre parent fait. Les différences sont dans les capacités de l'enfant à accéder et utiliser ces opportunités d'apprentissage. C'est ce que notre manière plus précise d'enseigner permet lorsque nous lions les intérêts de l'enfant et les capacités de l'enfant, et plus nous utilisons des moyens prudents de faire passer le message à l’enfant, plus le message est transmis de manière efficace. Cette précision nous permet, tout d'abord, d'accroître les opportunités d'apprentissage parce que nous en sommes tous plus conscients, et deuxièmement, il permet que les opportunités d'apprentissage, grâce à la manière dont elles sont présentées, atteignent l'enfant. Ils enseignent réellement. L'enfant accomplit quelque chose, il en tire des apprentissages et nos données le montrent. C'est l'association entre les sciences du développement et de l'apprentissage qui nous permet de trouver la meilleure façon de fournir des opportunités d'apprentissage et de s'assurer qu’elles sont réceptionnées par l'enfant. Donc c’est ainsi que l’on peut commencer à construire et à combler les opportunités d'apprentissage que l'enfant n'a pas reçues durant le temps qui s'est écoulé, ce qui se reflète dans leur retard de développement. C'est vraiment la précision des principes de l'analyse comportementale appliquée ou la science de l'apprentissage qui nous permet de les augmenter, d'améliorer les opportunités d'apprentissage et d'accroître la capacité de l'enfant à les accueillir. Nous savons qu'il va apprendre. S'il ne le fait pas, nous le voyons très rapidement sur nos données et nous pouvons changer ce que nous faisons. C'est intéressant de vous entendre parler de pourquoi et comment prendre des données et comment mesurer ces interventions plus naturalistes, et en quoi c'était une avancée. Je pense que c'était une véritable avancée de voir ces données et les résultats de votre étude randomisée contrôlée en 2010, Pas étonnant qu'il y ait eu un tel impact et maintenant il y a eu de plus en plus de preuves que ces approches NDBI fonctionnent. En regardant en arrière, vous faites cela depuis bien plus de dix ans, et depuis cette publication de 2010, où en est-on avec l'ESDM ? Quel est le prochain chapitre ? Sur quels besoins faut-il se concentrer maintenant ? Eh bien, je pense qu'en premier nous devons trouver des interventions qui soient efficaces pour tout le monde. Nous devons le faire, ce qui signifie que nous devons sortir des cliniques, nous devons être moins dépendants des professionnels hautement qualifiés, nous avons besoin que l’ESDM soit plus accessible sur l’internet, nous devons étendre l’ESDM à toutes les langues, nous devons mettre des choses directement dans les mains des parents parce que la majorité des parents dans ce monde avec un enfant avec autisme n'auront jamais l'occasion de travailler avec une personne ayant une expertise en matière d'intervention précoce. C'est juste la réalité des ressources. Les parents nous montrent qu'ils peuvent en faire énormément par eux-mêmes. Ils ont l'enfant, ils ont la relation, ils ont toute leur communauté et l'environnement, et les possibilités d'apprentissage ils ont ce que tous les autres enfants qui ont un développement typique dans ces environnements ont. Ce que les parents ont besoin de comprendre c’est de savoir comment transmettre l'apprentissage pour qu'il soit retenu par l’enfant. Ce n'est pas très difficile. Je pense que comme nous développons de plus en plus d'outils, nous avons déjà des outils de dépistage que les parents peuvent utiliser eux-mêmes pour identifier les difficultés des enfants et nous trouvons de plus en plus de moyens, grâce aux parents avec lesquels nous avons travaillés dans des endroits très éloignés qui nous ont montré comment ils accèdent à l'information. Nous avons appris d’eux la façon de transmettre des informations afin qu'ils puissent y accéder, donc principalement par le biais de leurs téléphones. Nous devons distribuer les documents aux familles, nous devons faire de la recherche sur tout ça pour être sûrs que ce que nous faisons aide les parents et leurs enfants. Mais nous devons le faire. Je pense que la deuxième chose que nous devons faire c'est simplifier. Créer des choses qui sont accessibles nécessitera de la simplification, mais nous devons aussi étudier ces simplifications. Nous n'avons probablement pas besoin de quelque chose d'aussi complexe que l'ESDM parce que, c'est le cas, c'est une intervention complexe à fournir. Mais pour savoir ce qu'on peut simplifier, nous devons avoir des données. Enfin, je pense que nous devons augmenter l'efficacité à tous les niveaux. Nous savons qu'il y a des effets positifs. Je suis sûr que nous pourrions obtenir, vous savez les meilleurs effets que nous ayons eus proviennent, je pense, de notre article, l'article de Lovaas, celui d'Amy Wetherby. Oui, Amy Wetherby a publié le même genre de constat. Ce sont probablement les trois études qui ont démontré le plus grand effet sur le QI et le langage. Le QI signifie beaucoup car il mesure l'écart important entre les enfants et leurs pairs. Je pense que nous devons déterminer si nous pouvons aller plus loin dans ce domaine et dans ces interventions intensives et comment obtenir des interventions moins intensives avec ce même niveau d'efficacité. Parce qu'une différence moyenne de QI de 18 à 20 points, c'est une énorme différence pour les enfants. Pour la plupart des enfants avec un TSA, c'est la différence entre "être dans la fourchette normale" et "non dans la fourchette normale" de cognition. Donc ce serait mes trois priorités. C'est encore beaucoup de travail. Bien que ce soit du bon travail. C'est un travail incroyable. Ils sont tous liés. Dans le cadre de la communauté, nous devons simplifier, nous devons augmenter l'effet. Donc c'est vraiment un tout. Dr. Rogers merci beaucoup de nous avoir parlé. Ça va être tellement utile pour la communauté francophone de bénéficier de votre sagesse dans ce domaine. Je tiens vraiment à vous remercier. Je veux vous remercier Dr. Wood pour tout ce que vous faites. Pour ce que vous apportez à la communauté Européenne et la communauté francophone. Merci beaucoup.