[MUSIQUE] Nous avons la chance d'avoir avec nous Amaria BAGHDADLI. Amaria est Professeure des universités à l'Université de Montpellier, légalement praticienne hospitalière au CHU de Montpellier et Responsable du Centre d'excellence en autisme. Amaria est depuis plusieurs années impliquée dans des projets qui visent à la fois au dépistage précoce, à l'accompagnement précoce et à la recherche auprès de personnes à risque de développer un TSA entre autres, et du coup, nous sommes ravis de pouvoir partager avec elle son expérience dans le domaine des jeunes enfants à risque de développer un TSA. Merci beaucoup Amaria d'être ici avec nous aujourd'hui. Comme on a souvent discuté, c'est vrai qu'en France, vous avez des demandes de dépistage et d'accompagnement de jeunes enfants à risque de développer un TSA, qui sont de plus en plus jeunes, ces jeunes enfants justement. Et puis du coup, il y a des enjeux autant au niveau de la clinique, au niveau de l'accompagnement, au niveau du dépistage, au niveau de la recherche. Et voilà, ma question pour toi c'était, dans le contexte dans lequel tu travailles, comment vous vous adaptez à ces demandes et qu'est-ce que vous êtes en train d'envisager comme projets? >> OK, merci [INCONNU] et merci beaucoup de m'inviter à participer à cette session du MOOC. Je suis vraiment ravie et très honorée. Effectivement, en France, il y a un effort important qui est fait depuis plusieurs années pour favoriser l'accès à un dépistage précoce et à un diagnostic précoce des enfants qui ont un risque de troubles du spectre de l'autisme, et de façon plus large de troubles du neurodéveloppement. Et ça fait qu'aujourd'hui, on a quand même beaucoup d'enfants, ce n'était vraiment pas le cas il y a dix ans par exemple, qui nous sont adressés alors qu'ils ont moins de 18, 24 mois, et parfois ces enfants nous sont adressés alors qu'ils ont à peine un an, et c'est le cas en particulier des fratries d'enfants qui ont un diagnostic d'autisme, puisqu'on sait qu'il y a un risque de récurrence qui est particulièrement élevé dans les fratries d'enfants autistes, et on sait que ces enfants constituent aujourd'hui une population à haut risque développemental. Tous ces efforts dont je parle, ils ont d'abord nécessité de clarifier les bonnes pratiques professionnelles en France. Ça s'est fait dans le cadre de notre haute autorité en santé. Il y a des groupes de travail qui ont été organisés et qui clarifient les process de dépistage et de diagnostic en France effectués par les professionnels de santé mais aussi tous les professionnels de la petite enfance. II y a un point qui était très important, qui a concerné la formation spécifique aux signes d'alerte destinés aux pédiatres mais aussi à tous les autres médecins de la première ligne. Et plus récemment, il y a un dispositif je crois qui sera intéressant à discuter peut-être tout à l'heure, qui concerne la mise en place dans des territoires donnés, dans nos départements, de plateformes qui sont des dispositifs dédiés à l'accueil, à l'orientation et à la coordination du parcours de bilans et d'interventions pour des enfants à partir de la naissance et jusqu'à six ans. Et donc, ces dispositifs sont très intéressants parce qu'ils permettent de déclencher ce qu'on appelle un forfait d'intervention précoce, et il y a un enveloppe à peu près de 5 000 euros maximum par an et par enfant qui va permettre de financer des rééducations et des interventions précoces avant même que le diagnostic soit établi. Donc, ça peut être par exemple des rééducations en psychomotricité, de la psycho-éducation, de la guidance des parents qui est faite par un psychologue [INAUDIBLE]. Et l'avantage de ces dispositifs c'est qu'ils s'appuient finalement sur des professionnels qui sont conventionnés avec les plateformes et qui sont convenablement formés et dont les pratiques sont supervisées, avec aussi un partage des informations à partir d'un système informatique commun. Donc, l'enjeu, tu vois, ça a été de permettre qu'il y ait des actions de dépistage mais aussi d'intervention précoce sans délai, parce que le constat en France qui était quand même fortement souligné par les associations de famille c'est qu'il y avait une errance des familles, et ce type de dispositifs permet de limiter cette errance des familles tout en proposant quelque chose qui est essentiel, qui concerne la coordination du parcours des enfants. Après, il y a un autre point qui me paraît important et qui concerne la prise de conscience également en France depuis on va dire une dizaine d'années de l'importance des besoins éducatifs des aidants et notamment des parents des enfants qui ont des besoins particuliers, des enfants à risque d'autisme, des enfants avec un diagnostic d'autisme, des enfants qui ont un autre trouble du neurodéveloppement. Et ces parents, pour nous aujourd'hui en France, ont vraiment des besoins d'apprentissage et donc de formation. Il y a toute une stratégie pour proposer en France dans les territoires, dans le cadre du droit commun, des formations à ces parents. On pense aussi que les parents doivent devenir des partenaires et qu'on a un besoin d'utiliser ces parents comme des collaborateurs dans les formations que nous proposons à d'autres parents ou à d'autres aidants. Donc, il y a une stratégie nationale sur l'autisme et les troubles du neurodéveloppement en France qui est en cours, et qui propose vraiment beaucoup de mesures destinées à la formation des aidants, à la guidance des aidants, à leur accompagnement. Et récemment, nous avons en collaboration avec le ministère de la Santé, la délégation interministérielle sur l'autisme, proposé un rapport sur l'intérêt de l'éducation thérapeutique des personnes avec leurs familles comme un modèle d'accompagnement qui garantit un accès égal d'une certaine façon à toutes les familles parce que c'est pris en charge par l'assurance maladie. Donc, moi je crois que c'est intéressant parce que ça réduit réduit les inégalités. >> C'est super, Amaria. Merci beaucoup. Les points que tu amènes finalement résument quelque part un peu tous les aspects scientifiques que j'ai pu présenter dans ce module. Justement, ça suit bien en fait les nouvelles recherches, ce qui ressort de cette littérature auprès des jeunes bébés à risque. Et puis, justement c'est des recherches assez nouvelles qui sont encore assez débattues, où il n'y a pas encore vraiment énormément de cohérence dans les plans de suivi et d'accompagnement des familles qui se trouvent spécifiquement dans ces groupes à risque. Donc, je te remercie de nous avoir présenté autant dans les détails comment vous êtes en train de réfléchir à ça en France. C'est très intéressant, puis c'est assez similaire aux idées en tout cas que nous avons aussi ici en Suisse. Je me demandais aussi d'un point de vue vraiment purement clinique, quels sont pour vous les enjeux d'accompagner des familles où finalement le jeune enfant n'a pas encore un diagnostic formel. Parce que nous, on voit ici que c'est assez particulier. C'est vrai que c'est des familles qui sont dans des positions particulières avec des connaissances aussi déjà spécifiques dans le domaine, avec des craintes, avec aussi cette position des professionnels qui travaillent avec eux, qui est dans une position de non-savoir parce qu'on ne connaît pas encore grand-chose au développement des bébés à risque. Voilà, est-ce que tu peux partager avec nous un peu ton expérience clinique dans ce domaine? >> Oui, avec plaisir et merci pour cette question qui est importante, parce qu'effectivement, la question ou l'intervention doit se poser avant même qu'on ait eu la possibilité de formaliser de manière extrêmement précise le diagnostic et de l'annoncer aux parents. D'abord, il faut préciser qu'en France, la situation varie encore et parfois beaucoup selon la porte d'entrée du patient, et cela constitue encore un problème en termes d'équité dans les soins. Donc, je vais parler de notre pratique au CHU à Montpellier. Donc, classiquement, les enfants nous sont adressés par un médecin, un médecin de première ligne, donc un pédiatre, un médecin généraliste ou un médecin de la protection maternelle et infantile. Mais dans un nombre encore plus élevé de cas, ce sont les familles qui nous contactent directement parce qu'elles sont préoccupées du développement de leur enfant. Parfois, elles en ont parlé à leur médecin de famille qui lui n'est pas tout à fait inquiet. Les familles ont fait des recherches sur Internet et elles ont observé que le développement de leur enfant est quand même particulier. Donc, dans ce contexte, nous avons mis en place dans notre équipe des consultations qui sont faites par des infirmières ou des puéricultrices qui ont ce qu'on appelle en France, qui font des pratiques avancées, c'est-à-dire qu'il y a une délégation d'un certain nombre d'actions effectuées par le médecin, et donc nos infirmières et nos puéricultrices constituent notre première ligue. Alors, qu'est-ce qu'elles vont faire? Nous on leur adresse après avoir staffé les demandes qui nous sont adressées soit par les médecins soit par les familles elles-mêmes, on les oriente vers nos infirmières qui vont accueillir les parents et l'enfant pour un entretien semi-dirigé qu'on a établi ensemble, médecins et infirmières, et des premières observations cliniques et l'utilisation de tests de dépistage. Et puis, dès ce stade, on dispose donc d'une anamnèse qui est très précise, et les infirmières vont aussi pouvoir orienter les familles vers des premières actions de soins, par exemple vers un ORL pour vérifier l'audition d'un enfant qui ne parle pas, vers une orthophoniste, donc tout ça, ça se fait par délégation du médecin. Et puis, pendant le Covid, ces consultations sont devenues des télé-consultations, et on s'est rendu compte que c'était très intéressant d'avoir ces télé-consultations avec des infirmières ou des puéricultrices parce que ça permettait d'augmenter la disponibilité des parents, à la fois disponibilité matérielle par rapport aux déplacements, mais aussi la disponibilité j'allais dire psychologique. Donc, on a maintenu ces télé-consultations pour favoriser l'accès aux soins. Donc, les enfants sont reçus ensuite en consultation par un pseudo-psychiatre qui les reçoit en consultation après que la situation ait déjà eu un premier niveau d'évaluation. Le médecin ou le psychologue vont faire très attention aux besoins d'examen somatique, on demande souvent un avis neuro-pédiatrique. Et à ce stade-là, alors que le diagnostic n'est pas encore posé, on va se poser la question de la mise en place des soins. Et comme je te le disais tout à l'heure, avant qu'on soit en mesure d'établir un diagnostic précis. Donc, les interventions qu'on propose, on le fait sur la base d'un diagnostic fonctionnel, c'est-à-dire à partir de l'observation du fonctionnement, déjà faite ou commencée par nos puéricultrices et celle que nous pouvons faire nous-mêmes, le fonctionnement moteur, socio-communicatif sensoriel, le niveau d'autonomie, le comportement, l'agitation, des comportements de colère et puis les centres d'intérêt de l'enfant, même des centres d'intérêt inhabituels, même des intérêts envahissants qui peuvent constituer selon nous des leviers d'apprentissage. Et les enfants vont donc bénéficier d'un plan d'intervention qui va être très individualisé et qui du point de vue pratico-pratique va comporter de la rééducation notamment du langage et de la communication non verbale. Dans le cadre de l'orthophonie, on va pouvoir utiliser des systèmes de communication augmentés ou alternatifs selon les résultats des bilans, selon les besoins de l'enfant. On va proposer la rééducation de la motricité et un travail autour de l'intégration sensorielle. Ça habituellement en France, ce sont des psychomotriciens qui le proposent pour les très jeunes enfants, et puis des rééducations des habiletés sociales qui vont utiliser diverses méthodes spécifiques et notamment le Denver ou le [INCONNU] qu'on propose dans le cadre en tout cas pour le Denver de petits ateliers individuels et auxquels nos soignants ont été formés sur ces dernières années. Et en complément, parce que pour nous c'est aussi dans le parcours de soins, en complément des soins spécifiques et des rééducations, les enfants, notre objectif c'est qu'ils puissent être socialisés, à la crèche, en halte-garderie ou bien en toute petite section maternelle. D'une certaine façon pour nous, c'est un challenge parce que ça leur permet de mettre en pratique les apprentissages dont ils ont bénéficié, qu'ils ont effectué dans nos ateliers avec les puéricultrices, avec les psychomotriciens, avec les psychologues du développement. Et puis, un volet aussi très important de la prise en charge de l'enfant qui est l'accompagnement de ces parents, et pour moi aujourd'hui il est impensable de proposer une prise en charge de l'enfant sans proposer une prise en charge du parent dans le cadre soit de l'éducation thérapeutique dont je te parlais tout à l'heure ou bien de guidance avec le Denver volet parental ou bien plus récemment le [INCONNU]. Donc, voilà comment globalement d'un point de vue pratique, on propose la prise en charge avant qu'un diagnostic soit encore posé. >> Merci beaucoup Amaria. C'est très intéressant d'entendre comment vous avez développé ce modèle, puis il y a vraiment cette idée finalement d'aller chercher là où il y a la problématique développementale pour soutenir au mieux le développement de l'enfant, parce que comme comme on l'a vu souvent dans ce module, l'idée c'est aussi de pouvoir anticiper l'aide pour essayer de réduire en fait les difficultés en lien avec un TSA ou un développement atypique sur les apprentissages futurs de l'enfant. Donc, je te remercie vraiment de tout cœur d'avoir passé ce moment avec nous, de nous avoir expliqué un peu tous vos projets, comment vous essayez de les mettre en place, de nous donner ton point de vue à la fois de professeur, de chercheuse, de clinicienne, qui est très riche, et voilà, on espère pouvoir échanger à nouveau très bientôt. >> Merci, merci beaucoup, merci à toi. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE]