[MUSIQUE] [MUSIQUE] Bonjour. Dans cette séquence, nous allons parler de la question de l'autodétermination et de la promotion de l'autodétermination chez les jeunes avec un trouble du spectre de l'autisme. J'aurai la chance d'être accompagnée dans cette séquence par madame Céline Chatenoud, qui est professeure à la faculté des sciences de l'éducation à l'université de Genève. Bonjour Céline. >> Bonjour. >> Merci beaucoup d'être avec nous dans le cadre de >> C'est un plaisir. >> ce MOOC. >> C'est toujours un plaisir de parler de nos jeunes ayant un trouble du spectre de l'autisme, nos jeunes adultes. >> Pour introduire ce sujet de l'autodétermination, est-ce que tu pourrais nous dire déjà ce qu'on sait de la recherche sur l'autodétermination dans le cadre des troubles du spectre de l'autisme? >> Pour parler d'autodétermination des jeunes adultes ayant un trouble du spectre de l'autisme, je pense que c'est important de revenir aux racines de la naissance de cette préoccupation. En fait, ce n'est pas une préoccupation nouvelle. Elle est née avec l'intérêt de réfléchir pour toute personne, quelles que soient ses capacités, ses forces et aussi ses limites, de vivre dans le même environnement que toutes les autres personnes, donc le principe de normalisation. Le principe est venu dans les années 1972 en Scandinavie avec Bengt Nirje, qui a parlé justement de l'importance de prendre en compte les intérêts, les choix, les désirs de la personne pour le soutenir dans son projet éducatif et de finalement l'aider à construire son identité. Après, depuis ces années, il y a eu 30 ans de recherches sur l'autodétermination, et maintenant, il y a eu des grands chercheurs, des chercheurs qu'on connaît quand on parle de l'autodétermination, en psychologie et en éducation. En psychologie, il y a des chercheurs qui s'appellent Deci et Ryan, qui sont des théoriciens de la motivation, et qui ont expliqué qu'en fait, l'autodétermination est vraiment liée à la motivation intrinsèque de la personne. On est autodéterminé quand on fait des choix, qu'on est en cohérence avec nos valeurs et qu'on ne ressent aucune pression indue. Et à l'inverse, c'est un continuum d'autodétermination, on est moins autodéterminé quand on fait une tâche sous pression et qu'on n'a pas décidé de faire la tâche et qu'on ne ressent pas d'intérêt pour cette tâche. On va même aller, chez certaines personnes, vers ce qu'on appelle l'amotivation. C'est-à-dire, une personne qui fait la tâche mécaniquement mais qui ne sait pas trop pourquoi, et finalement ne fait plus rien. Ce qui arrive chez les adultes qui ont un trouble du spectre de l'autisme où, à un moment donné, on a des éducateurs qui nous disent : Je ne sais plus. Il ne fait plus. Si on regarde au-delà de la psychologie et dans les recherches en éducation, en pédagogie, on va plutôt aller vers des chercheurs comme Wehmeyer aux États-Unis et Lachapelle, qui ont beaucoup travaillé et réfléchi à comment faciliter l'autodétermination chez les personnes ayant un trouble du développement. Et ces deux chercheurs définissent l'autodétermination comme l'ensemble des habiletés et des attitudes requises chez une personne, lui permettant directment d'agir sur sa vie en effectuant des choix qui ne sont pas influencés par des agents externes indus. On se rend compte dans cette définition que évidemment ce sont des habiletés, des compétences, mais il y a tout un aspect attitudinal qui est associé à l'autodétermination. Après ce bref détour, pour revenir à ce qu'on sait, la question qui était posée sur l'autodétermination, moi je dirais qu'on sait trois choses. On sait que les adultes qui ont un trouble du spectre de l'autisme ou un autre trouble du développement, d'ailleurs aussi en déficience intellectuelle, sont beaucoup moins autodéterminés dans leur vie que toute autre personne en comparaison, on fait des études en controlled group, que des pairs du même âge. On sait ça. Ce qu'on sait aussi sur le plan de la recherche et avec des métasynthèses qu'on aime bien en recherche, des métasynthèses, des méta-analyses, c'est que les programmes qui favorisent l'autodétermination, ceci dès le plus jeune âge, parce qu'on a vraiment sur la durée des jeunes qui sont moins autodéterminés, ou au sein des curriculum, donc des formations qui favorisent l'autodétermination chez les élèves et des adultes vont améliorer le niveau d'autodétermination. Donc, en gros, ça s'entraîne. Puis, la troisième chose qui est intéressante pour moi, parce que je suis plutôt intéressée par l'éducation précoce spécialisée, c'est que si on travaille avec des jeunes enfants dès le plus jeune âge, on l'a expérimenté en recherches, on va voir que cette autodétermination, elle augmente au cours du temps. Et plus on travaille jeune, plus on a une continuité, plus on va avoir des jeunes adultes autodéterminés. >> Tu disais tout à l'heure qu'en moyenne, si on prend la population des adultes avec un trouble du spectre de l'autisme, ils ont tendance à être moins autodéterminés. Qu'est-ce que ça veut dire dans leur vie de tous les jours? >> Pour expliquer ça, j'aime bien prendre le schéma de Wehmeyer et Lachapelle, qui nous permet de voir quelles sont les composantes de l'autodétermination. Les composantes de l'autodétermination, elles sont au nombre de quatre. D'abord, il faut être autonome, autorégulier. Ça, ça se situe en haut du schéma, du petit cercle que l'on voit. Et aussi il y a l'empowerment psychologique et l'auto-réalisation. C'est un ensemble de composants qui font qu'au final, on va être autodéterminé. Quand on réfléchit aux adultes qui ont un trouble du spectre de l'autisme, parfois l'autonomie est présente, c'est-à-dire qu'on peut faire des choix, on peut faire un choix entre a et b, mais après, il y a une certaine auto-régulation dans un contexte surtout contrôlé, nos jeunes qui ont un trouble du spectre de l'autisme, on leur apprend à agir souvent dans des environnements qui sont auto-contrôlés, mais au niveau de l'empowerment psychologique et de la décision de suivre des intérêts qui nous sont propres et de faire des choix qui sont en toute connaissance de cause nos choix, on a un déséquilibre. En gros, c'est tout le bas du schéma qui va être à réfléchir. C'est de dire : comment on peut favoriser chez ces jeunes qu'ils aient plus confiance en leurs capacités : je peux et je sais ce que je veux, et je vais le faire. Être moins autodéterminé, c'est l'ensemble de ces choses. Quand on parle d'autodétermination, on parle souvent d'autonomie. Ce n'est pas seulement l'autonomie, et ce n'est pas seulement l'autonomie dans un certain contexte. C'est vraiment d'aller un peu plus loin et de réfléchir avec eux à ce qui vraiment va les rendre autodéterminés. >> Et qu'est-ce qu'on sait des facteurs qui vont influencer le niveau d'autodétermination chez les jeunes? >> C'est sûr que comme pédagogue et aussi psychologue, les facteurs principaux, au-delà des caractéristiques individuelles, ce sont les facteurs contextuels. Ce que l'on sait c'est que d'une part, la première chose c'est qu'on entraîne beaucoup l'autonomie ou les choix. Il y a beaucoup le vocabulaire autodétermination des termes de choix mais on réfléchit peu aussi à l'empowerment, et puis le fait d'aller chercher ce qui est derrière un choix. Je donne un exemple. On va dire : on va lui proposer un choix en deux collations, les goûters. Mais est-ce qu'il a faim? On n'a pas réfléchi à ça. Spontanément, avec un enfant neurotypique, on va lui demander s'il a faim, et là, on va plutôt agir sur l'autodétermination. Là, on va le faire plutôt sur l'autonomie que l'autodétermination. L'autre chose c'est qu'on ne le développe pas assez tôt, et il y a plusieurs auteurs, dont Palmer et ses collaborateurs, qui ont démontré qu'il y a trois précurseurs de l'autodétermination, dont évidemment la capacité à faire des choix sans contradiction, de dire que c'est important quand même, l'auto-régulation. L'auto-régulation, c'est un terme important, parce que l'auto-régulation, c'est aussi de dire : dans une situation qui n'est pas habituelle, on va prendre des décisions qui vont faire qu'on va rester quand même émotionnellement stable. Et puis, la troisième chose c'est l'engagement dans la tâche. Comment on propose des tâches à ces élèves dès le plus jeune âge qui sont motivantes pour eux? Puis, l'autre chose que j'aimerais dire c'est qu'un facteur écologique c'est aussi notre société. C'est-à-dire que si on pense aux adultes qui ont un trouble du spectre de l'autisme, puis qu'on dit : oui, pour favoriser leur autodétermination et voir ce qu'ils peuvent faire, il faut être à leur écoute et il faut leur proposer des choix qui peut-être vont nous surprendre en termes de profession, en termes de choix, et qui sont étonnants. Nous, au Québec, j'ai travaillé 15 ans au Québec, il y a des chercheurs qui ont un trouble du spectre de l'autisme et qui travaillent dans nos équipes à leur manière. Alors, il faut qu'on s'adapte nous aussi comme société. >> Sur le terrain, quand on accompagne des jeunes avec un trouble du spectre de l'autisme, comment est-ce qu'on peut favoriser leur autodétermination? Par quels types de mesures? >> Ce que j'aurai envie de dire c'est qu'au niveau des attitudes, parce qu'on va beaucoup travailler en pédagogie sur les représentations et les attitudes, je pense qu'actuellement, si on interroge n'importe quel praticien qui travaille avec ces jeunes, ils vont être pour le fait qu'ils soient autodéterminés. Maintenant, en action, c'est beaucoup plus difficile. Donc, il va falloir réfléchir à comment être à l'écoute de ces jeunes-là. Quand il y a des difficultés comportementales, ça peut devenir encore plus complexe de vraiment écouter leur voix, leur aspiration, et aussi de travailler en même temps sur l'empowerment et l'auto-régulation, comme je disais tout à l'heure, qui est importante. Puis, il faut beaucoup de patience. Ça prend vraiment des pédagogies interactionnelles, des outils qui nous permettent d'entendre leur voix dès leur plus jeune âge. Et puis, j'ai en tête Temple Grandin, qui a été une célèbre personne qui a un trouble du spectre de l'autisme, mais d'un côté du spectre qu'on appelait Aspergers, qu'on n'appelle plus Aspergers, mais qui a pris du temps pour faire entendre sa voix dans tout ce qu'est l'agronomie alimentaire et la sensibilisation au bien-être animal. C'est vraiment s'ouvrir pour l'écoute, et ça prend plus de temps que l'on pense. Du point de vue de la recherche, évidemment, nous, comme chercheurs seuls, on ne peut pas grand-chose, donc c'est aussi créer des réseaux qui vont permettre non seulement de changer notre conception de l'autodétermination, de permettre aux praticiens de bien comprendre ces différentes composantes de l'autodétermination qu'on avait, mais aussi de la mettre en action. Et justement, on a travaillé avec mon collègue Martin Kawat au Québec, avec des enseignants sur une communauté d'apprentissage professionnel pour favoriser l'autodétermination des élèves. C'était une prérogative. Il y a un nouveau programme éducatif au Québec destiné aux élèves qui ont une déficience intellectuelle, et au centre il y a l'autodétermination. C'est accompagner les praticiens pour dire quelles pratiques on peut mettre en place, en souhaitant qu'on devienne une communauté qui avons mieux d'outils pour de nouveau être à l'écoute de cette voix qu'on a du mal à écouter, en raison de toutes les caractéristiques de ces personnes, mais aussi du contexte dans lequel elles évoluent, qui n'est pas du tout adapté à la prise en compte de leur voix. >> Merci beaucoup, Céline, pour cet échange. >> J'en dirais encore bien plus. Puis, j'espère qu'on aura l'occasion de le voir plus en pratique à une autre occasion. >> Volontiers. Dans cette séquence, on a appris beaucoup d'éléments au sujet de l'autodétermination, et dans la séquence suivante, on entendra le témoignage de madame Catherine Charette, qui est conseillère pédagogique, qui sera interviewée par Céline Chatenoud au sujet de ces communautés d'apprentissage. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE]