[MUSIQUE] [MUSIQUE] Bonjour. Dans cette séquence, nous allons parler de l'accompagnement des familles, et j'échangerai autour de cette thématique avec le professeur Stephan Eliez, professeur de psychiatrie à la faculté de médecine de l'université de Genève. Dans le cadre de cette séquence, nous aurons également la chance de pouvoir visionner des extraits d'un entretien des parents de Vittorio, un jeune de 19 ans qui a reçu un diagnostic de trouble du spectre de l'autisme au moment de l'adolescence. Bonjour Stéphane. On va parler de l'accompagnement des familles. Dans le cadre du MOOC sur le diagnostic, on avait beaucoup parlé de l'accompagnement des familles au moment de l'évaluation et surtout au moment de la pose du diagnostic de TSA. Aujourd'hui, on va parler plus spécifiquement de l'accompagnement tout au long de la vie, et en particulier au moment de la transition à l'âge adulte. Si ça te va, je te propose qu'on commence par visionner un premier extrait des parents de Vittorio. >> Volontiers. >> Ça, c'était vraiment la période autour du moment du diagnostic, mais est-ce qu'il y a eu encore d'autres moments suite à ça où ça aurait été important pour vous de recevoir un accompagnement? >> Oui, après, parce qu'on n'a pas reçu d'accompagnement du tout. Il y avait toujours un suivi et on était toujours dans ce centre privé, et puis cette psychiatre, par contre, elle n'était plus là parce qu'elle travaillait >> Sur Paris. >> sur Paris, donc elle faisait des allers-retours Paris-Genève, puis elle a arrêté de venir à Genève. Donc, c'était son collègue qui a repris le tout, mais il n'y a jamais eu de vraie explication. Oui, quelques petites choses, mais à ce moment-là, moi j'en savais déjà au moins autant, donc ça ne servait >> Tu allais chercher des informations. >> Oui, j'avais lu plein de choses. J'avais vraiment essayé de me documenter. Au final, je m'étais fait toute une bibliographie, et ça ne servait plus de m'expliquer. J'aurais plutôt voulu qu'on m'aide vraiment au niveau très concret et pratique à mettre en place des stratégies. >> Dans cette séquence, on voit bien que finalement, il y a différents besoin de la part des familles, à la fois un besoin d'informations mais aussi un besoin d'avoir des pistes concrètes par rapport à la prise en charge. Dans ton expérience en pratique clinique, comment est-ce que tu abordes ces différentes thématiques avec les familles? >> Comme le dit cette maman, il y a finalement deux phases. Une première phase où elle avait vraiment besoin d'avoir une idée précise du diagnostic, un diagnostic qui ne laisse aucune ambiguité, une certitude diagnostique. Parce que ce n'est qu'à ce prix-là qu'elle va pouvoir s'engager dans ce qu'elle appelle la prise en charge thérapeutique. Là aussi, cette maman dit quelque chose de très juste, c'est-à-dire une capacité à pouvoir poser une stratégie thérapeutique. Elle parle de sa solitude face à ça. Et quand on parle d'une stratégie thérapeutique, on parle de la capacité à un moment donné pour une famille de pouvoir poser des priorités dans ce qu'on va faire pour cet enfant, et de ce à quoi on va aussi devoir renoncer. Et ça, je crois que c'est un élément essentiel. Parce qu'un parent, en tant que tel, s'il n'est pas accompagné, il va, par la force des choses, essayer de faire tout ce qu'il peut. Et dans la plupart de ces situations, on est parti pour des prises en charge au long cours. Pouvoir poser une stratégie thérapeutique c'est être accompagné par un professionnel qui va savoir quels sont les bons traitements, quels sont les traitements efficaces, que le parent puisse engager une confiance avec ce professionnel, et que le choix va être fait en fonction de l'enfant, en fonction de son âge, en fonction de la problématique, en fonction des moyens que les parents pourront mettre en œuvre aussi eux-mêmes, quelles sont les choses qui sont prioritaires, et quelles sont les choses qui ne le sont pas ou même pas nécessaires, et quelles sont les choses qu'on laissera à plus tard. >> On voit vraiment que cet aspect de coordination, il est vraiment essentiel. Je te propose qu'on regarde un deuxième extrait avant d'entendre ton commentaire. >> Ok. >> Et j'imagine qu'à un certain moment, il y avait plusieurs prises en charge de manière un petit peu de manière simultanée, si on peut dire, à la fois peut-être pour des problèmes de santé somatique et puis pour les soins psychiques. Qui a pour vous joué ce rôle de coordonner peut-être entre eux tous ces différents suivis? >> [INAUDIBLE] c'était un peu nous, mais [RIRE] >> Oui, à la base, c'était nous. >> On a débuté avec la [DIAPHONIE] >> Mais je dois dire que nous, on a eu la chance ici sur Genève de tomber sur une pédiatre extraordinaire. Et c'est elle qui a tout vu. Elle avait une sensibilité particulière par rapport à ces cadres un peu particuliers aussi, donc elle a tout de suite vu, et c'est elle qui a après très bien géré et l'aspect physique, parce que Vittorio a dû être traité aussi >> Par hormone de croissance >> oui, par hormone de croissance parce qu'il avait justement >> Un déficit partiel. >> un déficit partiel idiopathique. C'est elle qui a pris en charge ça au début, parce qu'avant, ça non plus n'avait pas été pris en charge de façon adéquate. Et là, après, elle a vraiment vu aussi tout le reste, tout l'aspect psychique qui était là, et c'est elle qui nous a donné des pistes et qui a un peu coordonné tout ça et qui a été notre vrai soutien. >> Oui, parce que ce qu'on entend souvent, c'est qu'effectivement, c'est beaucoup les parents qui jouent ce rôle de coordinateurs, et c'est très précieux de pouvoir avoir quelqu'un qui aide. Dans cet extrait, on voit que c'est la pédiatre qui a joué un rôle important dans la coordination, mais que c'est quand même une famille qui s'est retrouvée assez isolée, au final. >> Oui. Et je pense qu'il y a deux élément qui sont vraiment importants que cette maman relève. Le premier c'est de dire qu'ils ont développé une expertise. Et je crois que cette expertise que les parents invariablement développent par rapport à la connaissance du trouble ou de la maladie, parfois la maladie génétique de l'enfant qui cause l'autisme, elle doit être profondément respectée, pour qu'ils n'aient pas à lutter pour être reconnus aussi dans leur expertise, dans la connaissance de leur enfant. Le deuxième élément c'est ce rôle de coordinateur. Ce coordinateur qui va mettre en œuvre la stratégie thérapeutique, ici, ça a été le pédiatre, parce qu'il y avait beaucoup de problèmes somatiques, et probablement, ça faisait sens que ce soit le pédiatre. Il se peut aussi que dans une deuxième étape du développement de l'enfant ça puisse être un pédopsychiatre, un psychologue ou un psychopédagogue, une personne qui connaît vraiment, qui a légitimité dans laquelle les parents vont avoir confiance, et qui va vraiment faire ce rôle de coordinateur Pourquoi? Parce que sans ça, les parents vont se retrouver fragmentés dans la multiplicité des intervenants. Et puis aussi, ça sera très difficile pour eux de garantir qu'il y ait une vision d'ensemble de la stratégie thérapeutique par un ensemble des participants. Très souvent, tous les thérapeutes, comme toutes les personnes, voient midi à leur porte. Elle ont souvent l'impression que leur traitement est vraiment essentiel, mais ils ne se rendent pas forcément compte que la somme des traitements est parfois, selon les phases de vie de l'enfant, tout à fait excessive par rapport à ce qu'un enfant peut fournir et une famille peut porter. Et donc, le coordinateur va être garant de la cohérence, et que la somme de la thérapie est cohérente et possible pour une famille donnée. >> On voit que les parents, surtout quand l'enfant est petit, au moment de la pose du diagnostic, les familles sont investies de manière très intense dans la prise en charge de leur enfant. Qu'est-ce que ça peut avoir comme impact sur la dynamique de la famille? >> Il y a plusieurs éléments là de nouveau. D'abord, on peut parler de dynamique de couple ou de dynamique de l'ensemble de la famille. Ce qui est sûr c'est qu'avoir un enfant différent est une source de stress immense pour une famille. C'est aussi une charge pour une famille. Dans la plupart des situations, par l'enchaînement des choses, c'est souvent la maman qui va s'occuper, devenir la coordinatrice, qui va porter la prise en charge. C'est quand même la règle. Qu'on le veuille ou non, c'est comme ça. Ça peut changer dans le futur. Et c'est souvent un accord qui est pris entre les parents. C'est quelque chose qui est réfléchi : le père continue son activité professionnelle, la mère qui est en congé de maternité ou qui a réduit son activité. Ça crée de facto une iniquité. Et je crois qu'elle est acceptée par la famille, elle est acceptée par le couple, mais c'est très important qu'elle soit reconnue, cette iniquité et qu'elle soit prise en compte pour pas qu'on continue comme si de rien n'était, comme si la situation était restée à l'équilibre. Parce que dans la reconnaissance de cette différence, dans la reconnaissance du poids relatif que vient la possibilité de le porter sur la durée. Il faut que les mamans en général, mais le partenaire du couple qui porte la charge principale, puisse vraiment être reconnu dans ce qu'il fait. Sans ça, ça peut devenir très difficile dans la dynamique du couple. >> Et donc, quand les enfants grandissent, finalement le rôle des parents est amené à évoluer aussi et puis à être plus dans un soutien à l'autonomie et à la vie indépendante lorsque c'est possible. Je te propose qu'on regarde un dernier extrait. >> Ok, volontiers. >> Et souvent, on a un petit peu la représentation que, dans la prise en charge en tout cas des soins psychiques chez les enfants et chez les adolescents, souvent les parents sont un petit peu plus impliqués, ou en tout cas, les professionnels ont plus l'habitude de travailler en collaboration avec les familles, et un petit peu moins, évidemment, dans le monde des adultes. Est-ce que vous, vous avez ressenti ce changement-là? >> Oui. >> Oui. Mais moi, on peut dire aussi, c'est ambigu. Parce que d'un côté, c'est un souci de se dire : là, je ne peux plus participer autant, donc il faut que je laisse un peu le contrôle à d'autres personnes, à d'autres figures professionnelles. Ça, c'était un peu un souci pour moi au début. Ensuite, je me suis dit, c'est aussi un soulagement. Je me suis dit, ce n'est plus moi qui dois être tout le temps derrière et tout le temps en contrôle. >> [INCOMPRÉHENSIBLE] >> Là, lui, il est quand même adulte. Il faut aussi qu'il s'autonomise un peu. Et je pense que ça fait du bien aussi au niveau de la dynamique familiale, ce passage. C'est positif dans le sens que je suis obligée de faire un pas en arrière, on peut dire ça comme ça, et de le laisser un peu plus faire avec ses moyens, et aussi responsabiliser un peu plus d'autres figures professionnelles qui le prennent en charge. De ce côté-là, c'est un peu ça. C'est vrai que maintenant, à la maison, il y a un peu des moments de tensions, des moments où je lui dis: tu dois d'autonomiser, tu dois gérer. Par exemple, très concrètement, tes rendez-vous de psychothérapie, c'est toi. >> Tu as un agenda. >> Voilà, sur un agenda, on lui a expliqué, on lui a montré ça. On lui a dit comment le faire. Toi, tu marques dans ton agenda tes rendez-vous avec ton psychologue, et tu les gères. Ce n'est pas moi qui dois te dire : là, c'est l'heure que tu y ailles, ou il faut que tu te souviennes que c'est pour demain ton rendez-vous. Tu l'as dans ton agenda et tu gères. Et quand tu sors de ton rendez-vous, tu prends le rendez-vous suivant. Et c'est toi qui dois voir quand cela t'arrange. Tu as ton agenda sur toi, tu regardes. Ce n'est pas moi qui suis là avec mon agenda et qui regarde, et qui gère ton emploi du temps. Des petites choses comme ça qui d'un côté me soulagent aussi. De l'autre côté, ça a amené des fois à des oublis. >> Il faut encore le surveiller un peu. >> Voilà, il faut surveiller un peu par derrière, mais j'essaie de le faire de façon un peu plus cachée pour qu'il s'autonomise. Parce que ça, c'est mon souci à moi aussi, le fait de voir mon enfant qui grandit mais qui ne s'autonomise pas. Moi, j'aimerais le voir un peu voler avec ses ailes, parce qu'en tant que parent, ça me rassurerait. On n'est pas encore là mais j'essaie d'aller dans cette direction. >> On voit dans cet extrait qu'il y a comme un espèce d'équilibre à trouver entre la promotion de l'autonomie et la protection d'un jeune adulte qui peut avoir encore des difficultés. Comment est-ce qu'on peut accompagner une famille dans la recherche de ce bon équilibre? >> Ce qui est très frappant c'est que quand on échange, on parle avec les familles, on voit que pour la très grande majorité des parents, une des préoccupations qu'ils verbalisent toujours c'est la question de qu'est-ce qui va se passer plus tard, et sous-jacente, bien sûr, la question pour tout parent c'est : que se passera-t-il quand je ne serai plus là ou que je n'aurai plus la force pour accompagner mon enfant? C'est évidemment une question qu'on comprend. Elle est profondément légitime, mais en même temps, il y a quelque chose qui souvent est décalé avec la réalité. Parce que quand on voit ces parents, ce qu'on voit aujourd'hui c'est que la plupart de ces parents vont accompagner leur enfant, vu l'augmentation de la durée de vie, presque jusqu'au moment où cet enfant aura lui-même 50 ans. Et donc, au fond, même si on comprend la préoccupation de ces parents, je pense qu'il y a aussi une réalité qui veut qu'ils vont l'accompagner longtemps. Mais le souci sous-jacent des parents c'est : qu'est-ce qui se passera quand je ne suis plus là? Cette maman le dit, elle met en place des stratégies d'autonomisation. Et c'est ce qu'on souhaite, bien sûr. Mais elle dit aussi une autre chose qui aussi me semble très juste, c'est qu'il faut pouvoir faire confiance. C'est-à-dire qu'il faut pouvoir faire confiance à cet enfant qui va trouver ses solutions, et il faut aussi pouvoir faire confiance au réseau autour de l'enfant, que ce soit peut-être le groupe d'accompagnement, les professionnels qui accompagnent cet enfant, ou s'il est placé dans une institution semi-autonome, les gens qui sont impliqués dans cette gestion. Un élément qui est important c'est que dans le choix du projet futur il n'y ait pas une anticipation qui veille à complètement blinder le projet d'autonomisation. C'est-à-dire qu'on essaie de mettre aujourd'hui en place un dispositif dont on pense qu'il répondra à toute éventualité dans 15 ans. Pourquoi? Parce qu'en général, ceci va conduire à mettre en place un dispositif très serré, très compact, et qui ne prend pas nécessairement en compte la capacité de développement du jeune et l'autonomisation qu'il va faire. C'est, au fond, un dispositif par sécurité. Et je crois que, même si c'est difficile comme parent d'entrer dans cette démarche, il y a une forme d'acceptation du risque, d'accepter que sur le chemin de l'autonomie, il y a parfois des choses qui vont moins bien se passer, mais que le jeune, le réseau qui entoure le jeune a aussi la capacité de transformer l'essai et l'échec. Et qu'un échec n'est pas forcément un échec définitif. On peut le retravailler et aller vers le sens d'une autonomie. Et en offrant une ouverture dans les possibilités, on va vraiment construire le projet qui va potentialiser au maximum l'autonomie future du jeune, et aussi son sentiment de pouvoir être au plus proche de ce que font les autres. >> Merci beaucoup, Stephan. [MUSIQUE] [MUSIQUE]