[MUSIQUE] [MUSIQUE] Nous avons aujourd'hui la chance de pouvoir présenter une interview de Joseph Chovannec qui a bien voulu participer dans le cadre de ce MOOC et présenter un certain nombre de réflexions sur le diagnostic ou sur le parcours de vie d'une personne avec TSA. Joseph Chovannec, est-ce que vous voulez bien vous présenter? >> Bonjour. Je m'appelle Joseph Chovannec mais tout le monde m'appelle Joseph et c'est très bien comme ça. J'ai actuellement 37 ans, et donc ça fait déjà de longues années que je milite dans le domaine de l'autisme. En clair, ma petite vie se passe à aller d'un lieu à un autre pour rencontrer des gens. Je suis un peu saltimbanque. >> Est-ce que vous militez comme TSA ou personne avec TSA? Est-ce que vous pouvez nous raconter votre parcours d'enfant et vos souvenirs, le moment où vous avez commencé à sentir que vous étiez différent et comment ça s'est progressivement révélé? >> Je pense qu'on sent très vite qu'on a un enfant différent ou qu'on est soi-même différent. Le défi c'est de mettre un qualificatif plus juste, plus exact. Le mot bizarre est plaisant mais il n'est pas très précis. Et c'est plutôt ça le défi. On sait que la personne autiste, diagnostiquée ou non, est étrange, mais de là à comprendre les choses, c'est encore autre chose. Dans mon cas particulier, il y a eu évidemment mille et une hypothèses. Je suis né une époque au siècle dernier où ces choses-là n'étaient pas réellement connues. >> Et comment ça s'est passé pour vous spécifiquement? >> Spécifiquement, pour dire peut-être une sorte de panorama mi-diagnostique, quand j'étais enfant, je ne mangeais rien. Ça, c'était vraiment la première source de trouble dans la famille, comment me faire manger? On me surnommait parfois [INCOMPRÉHENSIBLE] étant donné que j'étais anorexique de façon extrême, mais pas anorexique au sens où je voudrais imiter telle ou telle vedette. Ce n'est pas du tout ça le mécanisme. C'est un problème alimentaire beaucoup plus élémentaire. D'autre part, en termes de motricité, ce n'était pas ça. Impossible de faire des pratiques sportives, du moins celles qui sont le plus souvent présentes dans les écoles. Jeux de ballon, impossible. D'autre part, ce qui plaisait plutôt aux gens, ce qui plaisait à mes parents évidemment c'était des centres d'intérêt particulier. J'ai eu la chance ou la malchance de ne pas avoir un centre d'intérêt unique toute la vie, mais d'avoir des centre d'intérêts changeants, c'est-à-dire tous les deux ou trois ans peut-être [DIAPHONIE] >> Ce qui n'est pas mal aussi. >> Ça permet d'explorer un certain nombre de domaines peut-être, de devenir plus fort soi-même. Lorsqu'on a un intérêt pour la lecture de livres, ça permet d'acquérir des trucs sociaux, mais du coup, on est moins spécialisé, ce qui est plus fâcheux pour avoir un métier plus tard. Donc il y a des avantages et inconvénients. Évidemment, en termes de relations avec les camarades de classe, c'est un mot d'ailleurs faux puisque je n'en avais pas, des camarades de classe au sens [DIAPHONIE] >> Jamais ?>> À l'université mais pas à l'école. Et donc un certain nombre de profils plus toutes sortes de bizarreries, par exemple la suspicion que j'étais sourd parce que je ne réagissais pas à l'appel de mon prénom. Mes parents, >> Vos parents ont su? À un moment donné, ils ont compris que vous aviez un trouble du spectre de l'autisme? >> Non, pas le terme mais le profil de fonctionnement de leur enfant, mes parents le connaissent inévitablement. Ils n'avaient pas ce label. Ça, c'est sûr. Je n'ai eu ce label qu'au tout début de l'âge adulte, dans des circonstances pas forcément plaisantes. Mais durant mon enfance, étant donné que mes parents avaient compris mon mode de fonctionnement, qui après tout n'était pas si compliqué que ça à comprendre, mais étant donné que mes parents avaient compris, ils avaient plus ou moins bricolé l'environnement. Lorsque le directeur du petit établissement scolaire est un ami de famille qui vient un dimanche sur deux ou presque, il y a des solutions qu'on peut créer, parfois sans façon très officielle, mais toutes sortes d'explications. Mes parents ont bidouillé pour faire avaler un peu la pilule de l'étrangeté aux autres personnes, par exemple en disant que j'étais bizarre sur le plan alimentaire et vestimentaire parce que j'étais étranger. Être étranger, c'est une explication géniale. Après, pour ce qui est de l'adolescence, il y a plusieurs cas de figure. Dans mon cas particulier, personnel, j'étais passionné par la programmation. C'était vraiment ça mon truc. J'ai passé quelques années complètement à re-bidouiller, reprogrammer les premières calculatrices graphiques. Ça fait certains décalages, mais d'une certaine façon, j'ai été un petit peu mieux accepté qu'au tout début de la scolarité, donc vers l'enfance [DIAPHONIE]. >> Parce que les gens ont vu que vous aviez ces talents? >> Ils voyaient que j'étais capable de faire fonctionner la calculatrice autrement qu'eux, et que je pouvais par exemple leur programmer un jeu qu'ils ne pouvaient pas programmer. Ces tous ces facteurs-là. Évidemment, ça n'évitait pas le mépris ou les insultes. Mais après, les gros mots, je ne les connaissais pas. J'ai appris le langage avec les livres, donc les insultes, [RIRE] je ne les comprenais même pas, en général. Peut-être pour moi, c'était plus facile que pour d'autres, je pense. Finalement, on ne m'a jamais donné de réponse ou de raison claire pourquoi tout ça. Contrairement à une légende, je n'ai jamais été diagnostiqué schizophrène sur le plan formel. Il n'y a jamais eu de papier marqué Joseph schizophrène. Ça, il n'y a jamais eu. Peut-être un doute. En tout cas, les médicaments qu'on m'avait prescrits correspondaient plutôt à [DIAPHONIE] >> Des neuroleptiques. >> Voilà. Aussi après, il y a eu des dérives. À un moment donné, j'en prenais trois en même temps, ce qui normalement ne pas être le cas même pour un patient schizophrène agité. Et j'ai aussi servi de cobaye. J'ai été l'un des premiers malheureusement, triste titre de gloire, l'un des premiers en Europe à prendre l'Abilify qu'on appelait Abilify à l'époque parce qu'on ne prononçait pas l'anglais, pas forcément. C'est là que l'un des psychiatres que j'avais avait émis tout d'abord l'hypothèse que peut-être je pourrais avoir, je me souviendrai de sa formulation. Il avait parlé du syndrome d'Asperger, et puis il avait fait une tête bizarre et il avait dit, en tout cas, ça y ressemble. >> Vous pensez qu'aujourd'hui il y a un sur-diagnostic? >> Clairement. Je pense, notamment dans le cas de certains profils, je pense, dans le cas des profils d'adultes. Après, je ne sais pas comment tourner ma phrase, mais peut-être on peut citer adultes au féminin aussi. Il y a clairement, on peut considérer, après, quelle est la proportion de diagnostics vrais ou faux, je ne suis pas le bon Dieu, et puis ça dépend de toutes sortes de facteurs, mais cette proportion tend à devenir conséquente. Et il y a des situations de compassion, des diagnostics de compassion. J'avais une longue discussion avec [INCOMPRÉHENSIBLE] personnes sur ce sujet-là. Lorsque vous êtes face à une personne qui est dans une situation personnelle, sociale désespérée, objectivement parfois, vous pouvez tenter de l'aider. >> Mais alors, qu'est-ce que vous dites à ces professionnels? Qu'il faudrait simplement qu'ils disent qu'ils ne savent pas? >> Le professionnel peut être animé de la meilleure volonté au monde. Il veut aider la personne en situation de démence, en situation d'errance personnelle, d'alcoolisme, des choses compliquées. On veut donner un diagnostic d'autiste pour que la personne rejoigne une communauté etc. Mais ces professionnels-là ne voient pas toujours les conséquences que cela a sur la communauté, ce petit monde de l'autisme, à savoir donc que finalement, des gens débrouillards sur le plan des compétences sociales reçoivent des ressources qui étaient et devraient être destinées à des personnes particulièrement exclues, brutalement exclues sur le plan médical et autres, avec un phénomène à ça, c'est un peu exagéré ce que je m'apprête à dire, mais un phénomène d'éviction. De nos jours, obtenir le diagnostic notamment à l'âge adulte est devenu tellement compliqué que ce sont les moins autistes qui sont les seuls à faire toutes les démarches jusqu'au bout. >> Mais dans quel sens? Je ne suis pas sûr de bien comprendre. >> C'est exagéré, mais c'est un phénomène, on pourrait parler d'effet d'éviction. Lorsque vous avez peut-être trois, quatre ans d'attente dans certains lieux pour obtenir un diagnostic adulte d'autiste, la plupart des personnes autistes >> [INAUDIBLE] ne vont pas persister. >> ne vont jamais faire les démarches, ne vont pas pleurer au bon moment, ne vont pas déployer toute la gamme des attitudes autistiques lors de l'entretien. Vous voyez? Alors, que la personne, pour parler très pudiquement, peu autiste, parfois autiste comme je suis [INAUDIBLE], aura une persistance parfois absolument saisissante, aura tous les critères, voilà. Je me souviens très bien d'un professionnel anglais, le professeur Tamtam, il a un nom rigolo, mais c'est un scientifique des plus sérieux. Il avait dit il y a quelques années lorsque la personne présente tous les traits de l'autiste, c'est qu'elle ne l'est pas. C'est bien sûr une forme de boutade, mais qui a un fond. Bon, pardon d'entrer dans des choses qui ne sont pas forcément plaisantes à exposer. >> Peut-être que les choses sont très différentes dans le monde des enfants >> Tout à fait. >> et dans le monde des adultes. >> En effet. J'ai l'impression que certains professionnels sont réticents à faire des diagnostics à l'âge adulte justement pour éviter un certain nombre de problèmes de ce type, travaillent dans le diagnostic, je dirais, des enfants, peut-être d'une certaine façon beaucoup plus proche d'un idéal professionnel. Pour parler très cyniquement, si je devais être professionnel du diagnostic, ce que je ne suis pas et Dieu merci, je travaille dans le domaine de l'enfance, très clairement, ou alors dans le domaine des personnes âgées, dont on ne parle jamais. Bref, les gens autistes ont souvent une difficulté en termes de généralisation. On peut apprendre à ânonner des salutations dans un cabinet de tel ou tel professionnel. C'est une chose, mais en situation, c'en est une autre. Donc, peut-être qu'on devrait vraiment essayer de faire des apprentissages d'habileté sociale, le plus possible en situation. >> Naturaliste, le plus naturalistique possible. Il y a autre chose que vous dites au fond, c'est que c'est une chose d'apprendre à une personne à s'ouvrir, mais il faut pouvoir lui apprendre à s'ouvrir et à prendre en compte ce que cette capacité d'ouverture peut aussi représenter une mise en danger de la personne. >> Tout à fait. Vous voyez, dans la société humaine, il y a deux types de gens. Les gens qui sont considérés comme handicapés et les gens qui sont considérés comme valides. Les gens adoptent telle ou telle grille de lecture en fonction de leur vision qu'ils ont de vous. Donc, si par exemple, pardon pour la caricature, je ne vous regarde pas et je fais un certain nombre de gestes bizarres, vous croirez à une personne handicapée, donc vous serez par exemple très gentil avec moi. Vous allez me donner ma limonade, vous m'accompagnerez à la gare, du moins je l'espère. Par contre, si mettons je joue une forme de comédie d'anormalité, vous penserez que je suis fonctionnel. Peut-être à juste titre d'ailleurs. Mais du coup, il n'y aura pas forcément ce type de prévenance, de petites solutions. L'écueil pour les personnes autistes qui ont suivi beaucoup de groupes d'habileté sociale, c'est qu'on les prend un peu trop facilement pour normaux, si j'ose dire. C'est là qu'il y a des situations très compliquées qui surgissent. Une amie, Morgane Aubineau, a soutenu sa thèse de doctorat de psychologie il y a un an à peu près sur justement ce sujet-là. Une thèse qui a été primée d'ailleurs. Je vous invite à la regarder, c'est passionnant. Comment certains apprentissages ont des effets pervers. Ce n'est pas spécifique à l'autisme. Si vous apprenez pas exemple le japonais de façon très, très poussée, vous pourrez tenter de passer des entretiens d'embauches entre japonais. Mais là, on ne pardonnera aucun de vos petits couacs. Par contre, si vous apprenez un tout petit peu de japonais, juste les deux, trois mots de base, là peut-être vous serez embauché plus facilement. Parce que vous passerez dans la procédure pour par exemple expatriés occidentaux au Japon. Maintenant, il suffira de savoir dire deux, trois mots de base et ce sera tout, vous voyez? Donc, il y a je dirais des aptitudes de la personne et il y a le jugement de la société. Il ne faut pas que la personne autiste soit perdante par rapport aux apprentissages qu'elle a réalisés. >> Josef Schovanec, merci beaucoup de ce moment d'échange et aussi de la sincérité, de la chaleur de vos réponses. On retrouve nos étudiants pour la suite de ce MOOC. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE]