[MUSIQUE] [MUSIQUE] Bleuler nous intéresse donc au concept de la schizophrénie et ouvre le champ pour une conception neurodéveloppementale qui ne mène pas à la démence nécessairement. Et par la suite, au cours des années 1920, 1930 et 1940, les cliniciens et les chercheurs vont s'intéresser plus particulièrement à la souffrance chez l'enfant. Pourquoi? D'une part parce qu'au niveau du système scolaire, l'éducation pour tous est de plus en plus généralisée, et il y a un besoin d'identifier ceux qu'on appelle aujourd'hui les déficients intellectuels, et aussi ceux qui souffrent de troubles du comportement et qui perturbent les classes dans l'enseignement ordinaire. D'autre part, il y a un intérêt plus particulier pour une intervention auprès de ces enfants. On le voit typiquement dans les années 1920 avec l'invention de la psychanalyse des enfants de Melanie Klein et d'Anna Freud. Du coup, le concept de schizophrénie de Bleuler va être en quelque sorte appliqué à l'enfant. L'enfant qui semble être pris dans ses pensées, dans son imaginaire, va être caractérisé comme schizophrène infantile, ou enfant schizophrène. Dès lors, la conception de cet enfant est un enfant qui est d'une part pris dans ses pensées, et d'autre part qui potentiellement est en train d'halluciner. Le concept d'hallucination est très proche de l'idée qu'on se faisait de la schizophrénie à l'époque. Plusieurs descriptions de cas dans les années 1920 et dans les années 1930 vont parler de ces enfants schizophrènes, et deux descriptions plus particulièrement vont nous aider à situer ce qu'on appelle aujourd'hui les comportements autistiques au sein de cette population. D'abord, l'article de Leo Kanner, l'article princeps qui, il a souvent été dit, a décrit pour la première fois 11 cas d'enfants avec autisme, va bien sûr retenir notre attention. Mais récemment, certains historiens ont identifié Louise Despert, une psychologue américaine, qui aurait, elle, décrit des cas d'enfants schizophrènes se rapprochant des comportements autistiques et ce avant Kanner, en 1938. Donc nous allons nous pencher sur la contribution de Louise Despert. En 1938, Louise Despert décrit dans son article sur la schizophrénie chez l'enfant une série de comportements qu'aujourd'hui nous attribuerions à l'autisme. Je vous cite un exemple. L'enfant est caractérisé par une asociabilité, un retrait, une tendance à la rêverie, une peur de nouveaux contacts affectifs, de l'irritabilité, parfois une hyperactivité ou agressivité, une tendance à vivre dans leur propre monde. C'est donc très proche de la description qui sera reprise en 1943 par Leo Kanner. Deux éléments aux hypothèses de Louise Despert sont importants à retenir. Le premier élément est pourquoi elle est si importante au niveau historique. C'est qu'elle caractérise deux formes d'émergence de ces comportements, une forme qu'elle va appeler soudaine ou aiguë, qui vient un peu de nulle part, et une autre forme qu'elle va appeler insidieuse, qui est progressive. Mais au travers de ces descriptions, un deuxième élément est à retenir, c'est qu'elle fait l'hypothèse que la schizophrénie chez l'enfant est présente dès la naissance. Et ceci va à l'encontre des thèses psychanalytiques qui suggèrent qu'un temps de développement normal doit précéder l'arrivée de la schizophrénie chez l'enfant. Et donc elle ouvre une brèche avec cette proposition, brèche que Leo Kanner va exploiter. Louise Despert aura donc une influence importante sur Leo Kanner, notamment au travers de cette thèse de la présence de la schizophrénie infantile dès la naissance, de ces types d'émergence, et aussi, d'une certaine manière, de leurs fondements qui seraient potentiellement liés. Bien que Kanner a insisté pour dire que l'autisme était différent de la schizophrénie surtout dans le fait que l'enfant autiste, selon lui, n'hallucine pas, il mettra quand même un certain temps à distinguer l'autisme et la schizophrénie. Je vais vous citer un de ses écrits de 1949 qui donne en exemple le lien qu'il opère en schizophrénie et autisme. L'autisme, dit-il, est tellement intimement lié à la nature fondamentale de la schizophrénie infantile qu'on ne peut les distinguer en particulier les cas d'émergence insidieuse décrits par Ssucharewa, Grebelskay-Albatz, et Despert. Et donc, pour conclure, on voit que les premières utilisations du mot autisme s'inscrivent dans une clinique de la schizophrénie qui est plus une clinique de l'adulte. Il a fallu des pionniers comme Louise Despert et comme Leo Kanner pour ramener cette description à l'enfant et pour oser contredire un certain nombre de thèses et proposer que l'autisme était présent dès la naissance. Et au travers de son travail, Leo Kanner va progressivement être de plus en plus précis quant à ce qu'il veut dire par l'autisme infantil, et c'est ce qui lui conférera une influence durable dans l'histoire de l'autisme jusqu'à aujourd'hui. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE]