[MUSIQUE] [MUSIQUE] Dans la séquence précédente, nous avons vu que les résultats de structure du cerveau étaient assez variables d'une étude à l'autre, quand on s'intéresse aux altérations qui sont associées à l'autisme. Ce qui est assez intéressant, c'est de se poser la question, si ça pouvait pas être variable parce que les trajectoires sont différentes. Le premier qui s'est posé cette question, c'est Courchesne, qui a suggéré, comme je vous l'ai dit dans la séquence précédente, qu'il y avait une augmentation de la croissance cérébrale dans les premières années de vie, et donc que ceci pouvait s'associer au fait que si on regardait des enfants d'âge préscolaire, ils avaient un volume cérébral qui était augmenté, et puis qu'ensuite, ceci serait associé à une dégénération, donc à une diminution du volume cérébral plus rapide des enfants qui sont sur le spectre de l'autisme, que dans les groupes des enfants qui ont un développement typique, et que ceci pourrait se traduire par le fait qu'on ait soit plus de différence à l'adolescence et à l'âge adulte, soit au contraire, une légère diminution dans certaines régions en particulier. C'est quelque chose qu'Eric Courchesne a pu montrer dans ce qui était à l'époque une des études les plus importantes sur près de 600 enfants qui étaient sur le spectre. Le problème de ces études, quand on prend un certain nombre de personnes qui sont sur le spectre, c'est que souvent c'est des études qu'on appelle cross-sectionnelles. C'est-à -dire qu'on va prendre une personne qui a deux ans, une personne qui a cinq ans, une qui a quinze et une qui a soixante ans. Et on va comparer ces personnes entre elles. Mais rien ne nous dit que c'est la trajectoire du développement de cette personne-là . Rien ne nous dit que quand la personne qui a deux ans a grandi elle sera équivalente à celle qu'on avait dans notre échantillon qui avait cinq ans à l'époque de l'analyse. La seule manière de pouvoir répondre à cette question, c'est de faire ce qu'on appelle une étude longitudinale. C'est très pertinent dans le domaine de l'autisme, parce qu'on peut imaginer que les enfants qui sont les plus sévères, ou qui ont des profils les plus affectés soient ceux qui sont diagnostiqués le plus tôt. Et donc que dans notre échantillon les enfants de deux, trois, quatre ans soient des enfants qui aient un phénotype un peu plus sévère que des enfants qui sont diagnostiqués plus tard, d'une part, et surtout qui peuvent aussi rester dans l'IRM, c'est-à -dire rester calmes et suivre les instructions pendant une certaine durée un peu plus tard. On peut aussi imaginer qu'un adolescent ou un jeune adulte qui a un profil un petit peu plus affecté ait aussi des difficultés à passer un examen d'IRM, et qu'il soit sous-représenté dans les études de neuroimagerie. Qu'il y ait donc un effet de biais de population, où on aurait les enfants plus jeunes qui soient des enfants plus affectés, et des enfants, adolescents, adultes plus âgés qui sont moins affectés et que ceci pourrait modifier la manière dont on interprète les résultats. Pour ceci, c'est important, comme je vous le disais, d'avoir des études longitudinales dans lesquelles on revoit la même personne au cours du temps. C'est quelque chose qui commence tout juste à émerger dans le domaine de l'autisme. Il y a une étude intéressante qui a été publiée il y a quelques années par Zielinski qui a montré qu'on pouvait mesurer l'épaisseur du cortexte de manière répétée chez des enfants à partir de l'âge de deux ans jusqu'à l'âge de jeunes adultes qui avaient entre 30 et 35 ans, et qui a montré qu'il reproduisait ce que Courchesne avait suggéré. Donc, ça tend à répondre à la question, du fait que c'est pas forcément que on est en train de regarder des enfants qui sont différents dans leur profil que les adolescent et les adultes, mais c'est qu'il y a quelque chose qui caractérise les trajectoires de développement qui s'associent d'une augmentation dans les premières années de vie avec une accélération d'une diminution, une diminution qui est plus rapide que les personnes qui ne sont pas sur le spectre, pendant l'enfance déjà , et pendant l'adolescence. Une des questions qu'on peut se poser c'est quand est-ce que ces trajectoires de développement elles commencent à diverger dans le développement des enfants qui vont développer un autisme. Pour répondre à ce type de question, ce que font la plupart des études, c'est qu'elles regardent des groupes d'enfants, qu'on appelle des groupes d'enfants à risque d'autisme. S'ils sont à risque d'autisme ces enfants, c'est qu'ils ont un frère ou une soeur aîné qui est affecté d'autisme, et cela les met à un risque de 20 %, à peu près, de développer un autisme eux-mêmes quand ils attendront l'âge de deux ou de trois ans. Ces études-là regardent ces enfants pendant les tout premiers mois de vie, à partir de l'âge de trois, quatre, cinq, six mois. Elles vont regarder s'il y a des différences dans le développement de leur cerveau qui prédisent l'émergence des symptômes plus tard. Il y a quelques études qui sont assez intéressantes. Celles qui sont, à mon sens, les plus frappantes, c'est des études qui ont été faites par Marc Shen et qui montrent que c'est des paramètres extrêmement simples qui sont différents déjà très tôt dans le développement de ces enfants-là . Et ce paramètre-là , c'est la quantité de liquide, le liquide céphalo-rachidien, le liquide dans lequel notre cerveau baigne, qui est augmenté de manière assez substantielle à l'âge de six mois, uniquement chez les enfants qui vont développer un autisme quand ils auront l'âge de deux ou trois ans. C'est assez intéressant parce que ce liquide-là qui est augmenté, souvent, dans la plupart des maladies cérébrales, quand on a une augmentation du liquide, c'est que le liquide remplace de la substance cérébrale, du tissu cérébral, qui aurait disparu par le processus, par exemple, d'une maladie dégénérative. En général, le liquide prend la place d'un endroit dans lequel il y avait du tissu cérébral. Par contre, dans le cas de ces enfants-là , au contraire, il y avait plus de liquide, mais il y avait aussi plus de volume cérébral. C'est-à -dire qu'il y avait une corrélation positive entre la taille du cerveau et la quantité de liquide, comme si ce liquide n'était pas là pour remplacer le tissu cérébral, mais qu'il était là en plus. Il y a quelques hypothèses. On ne sait pas encore de manière claire quel est le mécanisme qui est associé à ça, mais on pense que c'est parce que ce liquide céphalo-rachidien a pour rôle de nettoyer l'environnement dans lequel le cerveau baigne, et qu'il y a un certain nombre de facteurs de croissance qui sont à l'intérieur de ce liquide céphalo-rachidien qui pourraient expliquer une augmentation de la croissance du cerveau pendant les premières années de vie, ou alors qu'il y a des produits du métabolisme du cerveau, qui sont des produits qui peuvent être inflammatoires pour le cerveau qui ne sont pas évacués parce qu'il y a une certaine stagnation de ce liquide, et qui pourraient expliquer pourquoi est-ce qu'il y a un effet un peu toxique sur le cerveau et un développement cérébral qui est atypique. Ce qui est assez intéressant, même si on ne connaît pas les mécanismes, c'est que ça pourrait nous amener un indice qui est relativement facile à identifier sur une IRM chez des jeunes enfants qui ont à peu près l'âge de six mois, pour distinguer ceux qui vont ou non développer un autisme. On est pas en train de pouvoir dire que sur le plan de la clinique on va pouvoir l'utiliser d'une manière fiable, puisqu'on a pas encore une sensibilité et une spécificité qui sont exceptionnelles dans ce test, mais ça semble être quelque chose qui soit assez flagrant chez une grande partie des enfants qui vont développer un autisme. Donc, il y a un certain nombre de recherches qui commence à s'intéresser à cet indice-là . Très clairement, vous l'avez compris, il y a des trajectoires de développement cérébral qui sont différentes chez des enfants qui sont sur le spectre de l'autisme, comparé à des enfants qui ont un développement typique. C'est des trajectoires qui commencent à émerger extrêmement précocement. Maintenant, toute la question, c'est de savoir si avec des interventions précoces on va pouvoir influencer ces trajectoires-là . C'est pas aussi clair quand on parle, par exemple, du liquide céphalo-rachidien de savoir s'il y a un lien entre ça et la manière dont l'enfant traite l'information sociale. Mais vous avez vu, parce que je vous l'ai dit de manière répétée, qu'une des raisons pour lesquelles les régions qui traitent l'information sociale est vraiment altérée, c'est parce que ces enfants regardent moins les informations sociales depuis le plus jeune âge, et donc que ces régions cérébrales ne se spécialisent pas dans le traitement de l'information sociale. C'est un des objectifs d'un certain nombre de traitements qui sont des interventions précoces et intensives de pouvoir baigner l'enfant dans un milieu dans lequel on essaie de réorienter son attention vers des stimuli sociaux pertinents, et de ce fait, pouvoir aider son cerveau à se spécialiser dans le traitement de l'information sociale. Il y a toute une question de savoir est-ce qu'avec ce type de traitement on va pouvoir modifier et partiellement restaurer les trajectoires de développement des régions en particulier qui traitent l'information sociale chez ces enfants-là . Il y a beaucoup d'études qui sont en cours. Il y a encore à ce jour relativement peu d'études qui sont publiées. Il y a une étude qui a été publiée par Geraldine Dawson qui a montré qu'en utilisant l'EEG on arrivait à mettre en évidence que des enfants qui avaient reçu une intervention précoce intensive selon le modèle de Denver, pendant 20 heures par semaine, avaient une certaine normalisation de leur activité cérébrale quand ils regardaient des visages. C'est une étude prometteuse qui tend à montrer qu'avec ce type d'intervention on arrive partiellement à restaurer les trajectoires de développement. Il y a aussi une autre étude par Jones et collaborateurs qui montre qu'avec simplement une intervention qui est médiée par les parents, donc quand on apprend aux parents à réorienter les enfants vers un certain nombre d'informations sociales, on arrive aussi à modifier durablement l'activité cérébrale de ces enfants, quand ils regardent aussi des stimuli visuels relativement simples comme des visages. C'est des études qui sont encore peu nombreuses, qui sont à leur début, mais il y a tout un champ de recherche de savoir si on va pouvoir influencer les trajectoires de développement cérébral avec des stratégies, qui sont des stratégies uniquement comportementales, et pas des stratégies de médication pharmacologique. Toutes ces études-là s'intéressent en particulier à la petite enfance, puisqu'on sait que c'est le moment où le cerveau est le plus plastique et probablement le plus réceptif à une stimulation, en particulier quand on parle de stimulation sociale. Mais vous verrez, parce qu'on en discutera aussi dans une séquence suivante, qu'on peut continuer à agir sur la plasticité cérébrale aussi chez des enfants qui sont plus grands et chez des adolescents, ou encore des adultes avec des paradigmes qu'on appelle des paradigmes de remédiation cognitive. [MUSIQUE] [MUSIQUE]