[MUSIQUE] [MUSIQUE] Nous avons vu dans la dernière séquence comment des interventions comportementales qui sont des interventions intensives et précoces peuvent contribuer à changer les trajectoires de développement de jeunes enfants qui sont sur le spectre de l'autisme. Ça repose principalement sur le principe que finalement, il y a une plasticité cérébrale qui est plus importante relativement précocement. Mais cette plasticité cérébrale, elle est présente à tout âge et elle nous permet d'apprendre. Et c'est vraiment quelque chose sur lequel capitalise ce qu'on appelle la remédiation cognitive. La remédiation cognitive, on va en parler maintenant avec Bronwyn Glaser, qui est docteure en psychologie et qui connaît très bien ce domaine puisqu'elle a développé un outil spécifique de remédiation cognitive. Bron, tu peux nous expliquer un petit peu, s'il te plaît, qu'est-ce que c'est que la remédiation cognitive? >> La remédiation cognitive est une façon de viser des déficits cognitifs, d'intervenir sur des fonctions cognitives qui ont besoin d'être travaillées. On peut faire une remédiation cognitive à travers une activité dans la vie de tous les jours, on peut le faire aussi sur ordinateur. >> Par exemple dans le domaine de l'autisme, ces fonctions qu'on aurait besoin de travailler, ce sont lesquelles en particulier? >> Dans l'autisme, on parle beaucoup de remédier des fonctions socio-communicatives, et puis aussi les fonctions exécutives qui sont très liées au lobe frontal et connectées au reste du cerveau. >> Et là , on va parler de quel âge en particulier? Parce que nous, on a parlé avant beaucoup de jeunes enfants, mais là , quand tu nous a dit on va faire quelque chose sur ordinateur, j'imagine qu'on parle d'enfants un peu plus grands. >> Intervenir sur la cognition, c'est adapté à tous les âges. Ça dépend aussi de l'étape développementale de l'enfant. C'est-à -dire qu'à l'âge préscolaire, on va plus parler d'intervenir sur l'attention spontanée. On va plus remédier les fonctions socio-communicatives à travers une thérapie tête-à -tête avec un adulte. Par contre, à l'âge scolaire, on a vraiment un choix de programmes qui sont sur ordinateur. On arrive aussi à intervenir sur des fonctions cognitives qui sont plus complexes, qui commencent dès l'âge de quatre, cinq ans. >> Et là , l'avantage de l'ordinateur c'est quoi? >> L'avantage de l'ordinateur c'est qu'on peut facilement adapter le niveau des jeux à l'enfant, et aussi faire plus de répétitions sur les compétences qui doivent être plus travaillées par cet enfant en particulier. On peut aussi mettre les jeux en plusieurs langues pour servir plus d'enfants. Et puis, il y a beaucoup d'enfants qui sont sur le spectre autistique mais qui vivent très loin des centres universitaires des hôpitaux. Et donc, c'est une façon aussi de les joindre à travers l'Internet ou l'ordinateur. >> Tu as développé un outil qui s'appelle Vis-à -Vis. Tu peux nous en parler un petit peu? >> Vis-à -Vis est un programme sur ordinateur que l'enfant fait directement avec un adulte. L'enfant est accompagné par un adulte pendant les séances de Vis-à -Vis. Il est fait sur ordinateur 4 fois par semaine, 20 minutes par jour pendant 12 semaines. On sait qu'il faut faire un programme de remédiation cognitive pendant au moins dix semaines pour avoir un effet sur les circuits neuronaux sous-jacents. >> Et tu nous a parlé de jeux. Pendant ce temps-là , l'enfant fait quoi? >> Vis-à -Vis est composé de trois modules différents. On cherche à remédier trois compétences cognitives différentes. La première c'est la mémoire de travail visio-spatial, qui aide aussi le niveau de raisonnement de l'enfant, et donc il y a trois jeux dans Vis-à -Vis qui visent la mémoire de travail visio-spatial. Après, le deuxième module c'est un module qui travaille la reconnaissance émotionnelle et qui cherche à améliorer le vocabulaire émotionnel de l'enfant pour pouvoir s'exprimer. Ce sont des jeux surtout qui travaillent soit des vignettes avec des personnages, ou soit juste une reconnaissance des émotions universelles tout court. Le troisième module de Vis-à -Vis a pour but d'amener le regard de l'enfant vers les yeux, donc de plus se focaliser sur les yeux du visage. Il y a trois jeux dans ce module, qui portent le regard vers les yeux des personnes qu'ils voient sur l'écran. >> Et ça, tu le fais comment, pour amener le regard sur les yeux? >> Il y a différents jeux. Par exemple, il y a un jeu avec de puzzles où, au moment où l'enfant devine l'émotion qui est exprimée seulement à partir de la partie des yeux, il a plus de points dans le jeu. Ou il y a un deuxième jeu où il doit apparier l'expression qui est exprimée dans les yeux à l'émotion. Et puis, il y a un troisième jeu où il doit apparier les yeux au visage de la personne. >> Et donc comme c'est un jeu, j'imagine que les enfants deviennent plus ou moins bons là -dedans. Est-ce qu'il y a aussi un aspect progression? Ils gagnent des points, comme tu nous a dit? >> Comme la majorité des programmes, la plupart des programmes de remédiation cognitive, Vis-à -Vis a un niveau de difficulté croissante. C'est-à -dire qu'on essaie d'augmenter le niveau de difficulté tout au long du programme. C'est aussi très important de toujours donner un retour sur les items qui ont été faits correctement et les items qui doivent être retravaillés, et aussi pour que l'enfant puisse travailler avec l'adulte qui l'accompagne, sur les items qui sont plus difficiles pour lui. >> Et en termes de groupes, qu'est-ce que ça donne comme résultats? >> Ça dépend du module, parce que bien sûr, les trois modules ne travaillent pas la même chose. Par rapport à la mémoire de travail visio-spatial, ça aide avec la concentration et l'attention de l'enfant. Et ça aide aussi avec le niveau de raisonnement non verbal de l'enfant, c'est-à -dire que ça augmente son niveau de fonctionnement cognitif en général. Ça, c'est quelque chose qui a aussi été observé dans d'autres programmes qui travaillent la mémoire de travail. >> Et puis, en termes de résultats sur la plasticité cérébrale, tu as fait une IRM avant et après, est-ce que tu as vu des différences? >> Par rapport aux résultats pour la partie sociale, qui est surtout celle qu'on a testée au niveau cérébral, on a vu que ça augmente beaucoup leur capacité à reconnaître les émotions, mais ça augmente aussi l'activité qu'on voit dans les aires sociales du cerveau, dans le cerveau social, surtout dans le lobe temporal. >> En fait, ce que tu nous dis c'est que même devant un ordinateur, on peut travailler des compétences qui sont des compétences sociales. Nous, on a beaucoup insisté dans ce MOOC sur le fait que quand on mettait des jeunes enfants devant des écrans, ça les coupait de l'interaction sociale et qu'il y avait quelque chose qui était assez délétère dans leur développement. Là , au contraire, tu nous dis qu'on utilise l'écran pour développer ces compétences-là chez un enfant. Est-ce que ce n'est pas paradoxal? >> Oui. Ce ne sont pas des programmes qui sont adaptés à tout le monde. Des enfants qui sont très, très accros des écrans sont parfois des enfants qui ne veulent pas faire de thérapies ou d'autres interventions qui ne sont pas sur ordinateur. Donc, un programme comme Vis-à -Vis peut faire le pont entre l'ordinateur en écran et la vie de tous les jours. Les interfaces des jeux efficaces ou des serious games sont vraiment des interfaces très simples, sans distracteurs, sans vidéos, d'habitude. Et le fait que l'enfant soit toujours accompagné par un adulte dans le cas de Vis-à -Vis, ou accompagné par un psychologue dans le cas d'autre programmes, fait qu'on aide l'enfant à généraliser des compétences apprises sur ordinateur à sa vie de tous les jours. >> Ce que tu dis c'est que finalement, ils ne sont pas seuls devant l'ordinateur, ils sont devant l'ordinateur avec toujours une personne? >> Oui. Il y a un contexte social dans ces programmes de remédiation cognitive, et le fait d'avoir un contact est très, très important, d'être en lien avec des personnes. >> Comment est-ce que tu vois que le champ va évoluer? Parce que là , on a parlé beaucoup de comment ces jeux évoluaient progressivement pour répondre aux compétences de l'enfant. Est-ce que tu vois un petit peu dans les dizaines d'années à venir dans quel sens ça va évoluer? >> Je vois que nos utilisateurs, c'est-à -dire nos jeunes utilisateurs, les enfants, les adolescents, deviennent toujours plus exigeants au niveau de l'interface de jeu etc., parce que ce sont des connaisseurs, vraiment. Et donc, ce qu'on voit souvent dans les recherches ces jours sont des programmes qui sont faits comme des mondes virtuels où l'enfant rentre dans le monde et essaie d'interagir, soit en étant lui-même, soit en étant un autre personnage. On n' a pas encore les résultats de ces recherches pour savoir si ce genre de jeu peut se généraliser à la vie de tous les jours. >> Tu as l'impression que ce domaine pourrait évoluer dans le fait d'avoir des jeux virtuels où les personnes interagissent en ligne, et que ça pourrait être utile pour développer leur compétences sociales aussi? >> Oui, tout à fait. Et puis, je crois que ce qu'on cherche à faire avec ces mondes virtuels c'est vraiment d'avoir aussi une interaction soit avec un autre joueur en live, soit avec quelqu'un à l'extérieur du jeu. Donc, on n'a pas encore vu la fin de cette histoire. >> Super. Merci, Bron. Ce qu'on vient de voir ensemble, je pense que c'est assez intéressant parce qu'on voit vraiment le potentiel de technologies assistées par ordinateur de pouvoir aider des enfants à remédier des fonctions qui sont des fonctions spécifiques. Et ce que ça nous dit, c'est que la période de plasticité est effectivement importante dans le développement cérébral précoce, mais que c'est comme si elle ne se fermait pas et qu'on pouvait quand même apprendre à tout âge et remédier ces fonctions spécifiques à tout âge, ce qui est quand même extrêmement intéressant. [MUSIQUE] [MUSIQUE]