[MUSIQUE] [MUSIQUE] Dans la dernière séquence où nous avons regardé ensemble quelles étaient les causes possibles des troubles du sommeil, nous avons vu qu'il y avait d'une part un aspect qui était un lien avec des aspects vraiment comportementaux, des aspects d'habitude du sommeil, et puis il y avait d'autre part, aussi, des causes biologiques qui sont possibles. Alors maintenant, ce que nous allons faire, c'est que nous allons reprendre quelles sont les interventions thérapeutiques qui sont les interventions adéquates pour des enfants qui ont des difficultés du sommeil. Carmen, en général quelle est la stratégie thérapeutique que tu utilises quand tu reçois une famille? >> Alors, globalement on a trois grands blocs de thérapie qu'on va utiliser, et on va toujours commencer par l'hygiène du sommeil, ou les bonnes habitudes du sommeil. Après, un volet de thérapie comportementale adapté au sommeil et adapté à l'enfant avec TSA, et si ce n'est pas suffisant, on va ajouter la pharmacothérapie. C'est vraiment quelque chose qu'on recommande parce que les études ont montré qu'on a une meilleure efficacité, même de la pharmacothérapie, si on a au préalable fait l'hygiène du sommeil et les approches comportementales. Donc l'hygiène du sommeil, ça veut dire quoi? On vérifie que l'enfant mange assez et assez régulièrement la journée, qu'il est bien exposé à la lumière la journée, et que en soirée, finalement, les choses sont bien structurées et qu'il n'a pas des comportements qui vont le maintenir éveillé. Ça peut être trop de tablette, trop de smartphone, trop d'écran, trop de lumière, par exemple, donc on va veiller à ça. Bien sûr, on est moins rigides dans nos propositions comparé à d'autres populations d'enfants parce qu'on sait bien que ces enfants ont beaucoup de particularités. Donc c'est en discutant avec les parents qu'on va trouver des astuces et des petites choses à améliorer. L'idée c'est de restructurer, à partir du dîner, toute la soirée, bien la ritualiser, soutenue par des supports visuels, pour que ce soit vraiment extrêmement régulier. Donc les rythmes réguliers sont vraiment quelque chose qu'on conseille avec un endroit pour dormir et un enfant qu'on aimerait bien arriver à ce qu'il s'endorme seul parce que c'est ça aussi qui est un bon prédicteur pour sa réaction au moment des réveils nocturnes. Donc on commencera avec ces bonnes habitudes du sommeil avant de passer à la partie thérapie comportementale. >> Mais des fois on dit qu'un enfant n'est pas fatigué à l'heure à laquelle il devrait aller se coucher, qu'est-ce qu'on peut faire dans ce genre de cas? >> Justement, parmis ces approches comportementales est une qui s'appelle en anglais faded bedtime, ou bedtime fading. En gros, ce qu'on fait, on constate qu'un enfant, au moment du coucher, n'est jamais fatigué, et du coup il perd complètement confiance en ses capacités de pouvoir s'endormir. Pour lui, le fait de se coucher ce n'est pas associé avec le fait de dormir mais avec un tas d'autres choses. Parfois, une stratégie peut être, et il faut bien discuter avec les parents, de coucher l'enfant à un moment où il s'endort naturellement, c'est-à -dire que les parents auront rempli un agenda de sommeil et on voit qu'il ne s'endort jamais avant onze heures. Donc du coup, tant pis, on couche l'enfant à onze heures. Attention, c'est transitoire, ce n'est pas pour toujours. On couche l'enfant à onze heures mais on le réveille à la même heure le matin, ce qui fait que, au moment où on couche l'enfant, l'enfant a beaucoup moins de résistance, il va avoir plus de propension au sommeil naturellement, il va plus facilement arriver à s'endormir. Et le matin on le lève à la même heure, ça fait donc une petite restriction du sommeil, ce qui permet d'augmenter la propension du sommeil la journée et le lendemain soir pour améliorer à nouveau l'endormissement. Si on fait ça sur une période donnée, très vite, comme l'enfant avec autisme est très ritualisé, il va prendre d'autres habitudes, il va se dire, je me couche je vais arriver à m'endormir, donc il y a à nouveau l'association entre les stimulus se coucher et l'endormissement, et une fois que c'est bien stable, on va tout doucement commencer à avancer à nouveau les horaires de coucher, jusqu'à l'heure souhaitée en tenant compte des besoins du sommeil de l'enfant. Donc c'est une technique comportementale qui est vraiment très facilement utilisable et qui provoque aussi moins de résistance chez l'enfant. >> Donc il y a beaucoup d'approches comportementales comme nous a dit. Quand on arrive un peu à court d'idées avec ces approches comportementales ou qu'on veut aller vers une approche pharmacologique, qu'est-ce qu'on peut faire? >> Donc il faut se dire, à titre comparatif, les thérapies par hygiène du sommeil et comportementales sont efficaces dans environ 25 % des cas, comparé à plus que 80 % voire 90 % de cas d'enfants à développement typique. Donc il faut les faire, mais ils ne sont souvent pas suffisants donc on va très vite considérer les approches pharmacologiques. Aujourd'hui, par rapport à toutes les molécules que nous avons à notre disposition, la molécule de loin la mieux validée c'est la mélatonine, notamment avec les dernières études sorties ces trois dernières années. On sait que c'est un traitement qui marche extrêmement bien, même encore s'il faut savoir l'utiliser parce qu'il y a différentes formes et dosages de mélatonine qui sont disponibles. >> Alors tu vas nous expliquer un petit peu, du coup, les différentes formes, les dosages, et puis quand est-ce qu'on le prend par rapport au moment du coucher? >> Donc il y a deux grands galéniques disponibles : il y a la mélatonine à libération immédiate et la mélatonine à libération prolongée. Mais avant de commencer à parler de ça, il faut dire aussi il y a la mélatonine en vente libre dans les pharmacies, pas en Suisse mais dans certains pays, aux États-Unis, maintenant en France, par exemple, et du coup, ces molécules en vente libre sont considérées comme des compléments alimentaires. En France, c'est par exemple en dessous d'un certain dosage. Nous, en tant que médecins, nous ne pouvons pas vraiment encourager de prendre ces molécules parce que des études ont montré que leur dosage n'est pas du tout aussi fiable que dans une production pharmaceutique, le contrôle qualité n'est pas le même, et on a des variations entre moins 70 % à plus que 450 % de la dose indiquée finalement. Donc ça nous pose des questions et donc on met un peu en garde. On ne peut pas se prononcer pour chaque producteur individuellement mais on met un peu en garde. Donc on va plutôt partir sur soit une préparation magistrale, ou des molécules existantes sur le marché. Donc la libération immédiate de mélatonine, si on veut très vite comprendre comment ça fonctionne, c'est comme une molécule qu'on utilise pour le jet lag, c'est-à -dire qu'on va pouvoir bouger la phase de sommeil de l'enfant. Ça peut être très bien pour un enfant qui a un problème à l'endormissement, qui a un retard à l'endormissement, et qui, le matin, a du mal à se lever, mais qui dort plutôt pas mal la nuit. Du coup, on donne la mélatonine immédiate au moment du coucher. Un petit dosage est souvent suffisant, entre 0,5 et deux milligrammes pour vous donner un ordre d'idée, et ça va avancer toute la phase du sommeil, surtout si on le donne régulièrement à cette heure-là , ce qui est conseillé, et l'enfant va pouvoir s'endormir bien et se réveiller mieux. Par contre, si on a des enfants qui ont du mal à s'endormir mais qui vont se réveiller très tôt, on risque, du coup, d'encore plus avancer le réveil matinal, et d'ailleurs des études à grande échelle menées par Paul Gringras ont montré ça : ça avançait l'heure du coucher, donc c'était bien pour la latence d'endormissement, mais ça avançait également l'heure du réveil donc le temps total du sommeil n'était pas significativement différent avant et après traitement avec la mélatonine à libération immédiate. Ça c'est l'avantage de la mélatonine à libération prolongée : on est pas dans une logique d'avance de phase, on est là plutôt dans une logique de substitution d'un déficit de sécrétion interne. Cette molécule doit être donnée un peu plus en amont, une demi-heure voire une heure avant le coucher, parce que la biodisponibilité tout de suite n'est pas tout à fait la même, et ça a montré des effets sur la latence d'endormissement mais aussi sur les réveils nocturnes et sur le réveil matinal. Donc là on arrive à augmenter le temps total de sommeil la nuit. Cette molécule existe pour l'instant sous la forme du Circadin, c'est la seule molécule sur le marché mais qui n'avait autorisation que pour la personne avec une insomnie de plus de 55 ans. Il y a une nouvelle molécule, le Slenyto, qui va sortir, qui a une indication pédiatrique déjà maintenant par l'Agence européenne du médicament pour les enfants avec TSA entre deux et 18 ans et qui est vraiment adaptée en libération prolongée à cette population. >> Et en terme de longueur de traitement, est-ce que tu fais des recommandations particulières? Est-ce que tu fais un traitement court et ensuite on essaye de s'en passer? Est-ce qu'on est plutôt sur des traitements au long court? >> On va déjà , du coup, optimiser le dosage. Donc pour la libération prolongée, contrairement à la libération immédiate, comme on est dans une logique de substitution, là on utilise parfois des posologies plus importantes. On commence toujours avec une petite posologie de deux milligrammes, mais dans les études, on a pu montrer que parfois, pour certains enfants, il fallait augmenter jusqu'à dix milligrammes, c'est quelque chose qu'on ne ferait jamais avec la libération immédiate par exemple. Après on aimerait bien avoir une phase avec un sommeil très stable, consolidée, de quelques mois, surtout chez un enfant qui a très mal dormi. Après on peut rediscuter avec les parents. La majorité des parents qui ont eu un enfant très mauvais dormeur vont souhaiter garder la mélatonine, surtout qu'il y a quasi pas d'effets secondaires décrits, donc les données de sécurité sont très bonnes, donc on reste dans un bon bénéfice-risque et les parents souhaitent poursuivre. Ce qu'on conseille en général, quand même, c'est de faire au minimum, une fois par an, une pause, par exemple pendant les mois des vacances d'été où il n'y a pas d'enjeux scolaires ou un besoin que l'enfant soit particulièrement éveillé durant journée, ce qui nous permet de réévaluer le rythme du sommeil de base et la qualité du sommeil de base. Et parfois on se rend compte avec l'âge qu'il peut y avoir quand même une certaine amélioration chez certains enfants, qui du coup ne vont plus réintroduire le traitement après l'été. Donc du coup au moins une fois par an, mais ça peut être fait déjà après une première phase de stabilisation, par exemple de trois, quatre mois si les parents le souhaitent, en tous cas on leur propose. Mais comme dit, la majorité des parents tiennent, du coup, aux molécules qui marchent et qui n'ont pas beaucoup d'effets secondaires, c'est vrai. >> Merci beaucoup Carmen d'avoir partagé ton expertise. >> Merci à vous. >> Donc vous l'avez vu, les troubles du sommeil, c'est vraiment une situation qui est complexe, qui touche un certain nombre d'enfants, qui peut aussi se manifester par des répercussions qui sont très importantes sur le plan familial, avec, comme Carmen nous l'a dit, beaucoup de parents qui doivent arrêter de travailler pour s'occuper de leur enfant, mais il y a un certain nombre de stratégies qu'on peut utiliser : d'abord des stratégies comportementales, qui aident beaucoup d'enfants, et puis si ces stratégies ne fonctionnent pas on a des approches pharmacologiques qui sont très efficaces, avec l'utilisation de la mélatonine. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE]