[MUSIQUE] [MUSIQUE] Dans la séquence précédente, nous avons vu ce qu'était le microbiote et comment les nouvelles techniques de biologie moléculaire nous permettent de mieux le comprendre. Voyons à présent comment le microbiote peut interagir avec le cerveau. Au cours de la première anoxie, un microbiome intestinal idiosyncratique est déjà stabilisé chez le nourrisson. À l'âge adulte, ce que l'on appelle la biose, qui est l'état des communautés intestinales saines et équilibrées, est marqué par la présence d'un certain nombre de bactéries de différentes espèces. Très rapidement, une relation entre le microbiome, l'intestin et le cerveau a été postulée. On parle ici du Gut Brain Axis. Celui-ci se base sur la preuve qu'il existe des liens étroits entre le microbiome, l'intestin et le cerveau et que la communication est croisée et régulière. Par exemple, le système nerveux central exerce un contrôle sur la composition microbienne de l'intestin par l'intermédiaire de pectides, des petites protéines qui sont envoyées au centre de la satiété et vont affecter la disponibilité en nutriments. Dans un autre exemple, l'axe entre l'hypothalamus, l'hypophyse et les glandes surrénales libère du cortisol qui régule la mobilité et l'intégrité des intestins. Les voies immunitaires et neurales régulent la sécrétion du mucus par les cellules épithéliales de l'intestin, dont on sait qu'elles vont exercer à leur tour un contrôle sur les populations de microbes de l'intestin. À l'inverse, dans l'autre direction, il a été démontré que le microbiote intestinal contrôle les activités du système nerveux central par différents mécanismes neuronaux, endocriniens, immunitaires et métaboliques. Les études précliniques ont très vite montré un effet entre le stress psychologique, qui induit des changements dans la composition microbienne intestinale à l'aide de différents modèles animaux. Il a aussi été montré que certaines infections intestinales, par exemple un campylobacter jejuni, entraînaient une élévation des comportements d'anxiété chez la souris. Au départ, le lien supposé entre les Troubles du Spectre de l'Autisme et le microbiote provenait en partie de l'observation de la fréquence symptomatologique gastro-intestinale chez les enfants et chez les adultes avec autisme. En effet, on retrouve une proportion marquée d'enfants atteints de TSA qui présentent des symptômes gastro-intestinaux qui peuvent ressembler à ceux du côlon irritable. Ces symptômes comprennent fréquemment la diarrhée, la constipation, les vomissements, le reflux ou encore des douleurs ou des malaises abdominaux ; d'autres enfants présentent des flatulences ou des selles nauséabondes. Les études cliniques ont aussi montré des anomalies, comme une altération de la motilité gastro-intestinale ou encore une perméabilité intestinale accrue. Une large étude sur plus de 14 000 personnes atteintes de TSA a mis en évidence une prévalence plus élevée des maladies inflammatoires de l'intestin et des troubles gastro-intestinaux chez les patients atteints de TSA. La prévalence exacte des symptômes gastro-intestinaux chez les enfants autistes n'est pas claire, mais on estime qu'elle va de 10 à 70 %. Elle est évidemment en lien avec la grande hétérogénéité de la population de personnes affectées par le TSA. Les personnes qui présent un Trouble du Spectre de l'Autisme et des symptômes gastro-intestinaux peuvent présenter plus d'irritabilité, d'anxiété ou encore un retrait social plus élevé que celles qui n'ont pas de difficultés gastro-intestinales. Les problèmes de comportement, comme l'automutilation et l'agressivité, les troubles du sommeil ou l'irritabilité, peuvent être des manifestations comportementales de douleurs abdominales ou d'inconfort chez les personnes atteintes de TSA. Enfin, des études ont montré une association entre le dysfonctionnement intestinal et la gravité de l'autisme dans tous les domaines, y compris la parole, les comportements sociaux et les troubles du comportement. Bien sûr, ces observations ne définissent pas forcément une relation de cause à effet, mais elles soulignent toute l'importance de pouvoir soulager les symptômes gastro-intestinaux chez les enfants autistes. Cette symptomatologie peut être considérée comme un facteur d'exacerbation ou d'aggravation chez les patients atteints de TSA. Il se pourrait également que ces symptômes indiquent une relation beaucoup plus fondamentale. Ainsi, l'intestin pourrait jouer un rôle central dans l'étiologie des TSA, ou au moins auprès d'un sous-groupe d'entre eux. Plusieurs mécanismes d'action ont été proposés, qui vont de la dégradation de l'intégrité de la barrière intestinale liée à la dysbiose, on parle ici de l'altération du microbiote intestinal, ou encore la production de toxines, les aberrations dans le processus ou les produits de la fermentation du microbiote et, enfin, les anomalies immunologiques et métaboliques. La barrière intestinale digestive est maintenue par des jonctions serrées qui contrôlent la circulation des molécules entre le tube digestif et la circulation sanguine. Le microbiote permet le maintien des jonctions entre les cellules de la barrière du tube digestif. Dans des cas d'altération du microbiote, de dysbiose, on observe des défauts de la barrière gastro-intestinale. On a ainsi comparé cette altération à un intestin qui fuit, lequel est associé à un large éventail de troubles gastro-intestinaux, mais permet aussi un passage accru de bactéries, de toxines et de métabolites dans le sang qui peuvent, à leur tour, entraîner une réaction immunitaire inflammatoire. Cette réaction immunitaire inflammatoire va produire à l'intérieur de l'organisme la sécrétion de cytokines pro-inflammatoires. Ces cytokines sont nécessaires à leur tour au développement neurologique normal et leur perturbation peut affecter ce processus. Des niveaux accrus de cytokines ont été signalés chez les enfants TSA, en particulier ceux qui présentent des sous-types régressifs de la maladie. Il a notamment été observé une augmentation de concentration plasmatique de cytokines pro-inflammatoires, de facteurs inhibiteurs de la migration des macrophages et des facteurs de croissance. Ces changements de profil immunitaire ont été associés à la gravité des stéréotypies, de l'hyperactivité et des déficits de communication. Récemment, il a été découvert qu'une réponse neuro-inflammatoire tend à activer chez le fœtus en développement des déséquilibres entre la croissance des différentes populations neuronales avec, à ce moment, un excès de cellules gliales qui jouent aussi un rôle dans le développement des synapses et dans le développement du système nerveux central normal. Ces recherches, qui mettent en évidence un déficit de la microglie et des troubles neurologiques du développement, conduisent, à la fin, à une réduction de la microglie durant la période postnatale, une moindre transmission synaptique, une connectivité cérébrale fonctionnelle réduite et à une altération des interactions sociales et des comportements autistiques chez les modèles animaux. Un autre mécanisme par lequel on imagine que le microbiote peut avoir un effet, c'est par l'augmentation de toxines bactériennes circulant dans le sang, dont la diffusion est augmentée par la perméabilité intestinale et qui entraîne des effets neurologiques directs. Ces substances influencent la fonction du système nerveux central et changent la synthèse et la libération de neurotransmetteurs. Certaines de ces substances, comme l'acide propionique ou d'autres acides gras, sont actuellement très étudiées, car on voit qu'elles induisent chez les modèles animaux un retard, une régression du développement, un plus grand risque de révulsion, une altération du comportement social et intellectuel, ainsi que des comportements anormaux et des intérêts restreints. Elles augmentent la réponse neuro-inflammatoire du cerveau. Finalement, le microbiote, par son interaction avec le tube digestif, est susceptible de modifier la sécrétion des neuropeptides neuromodulateurs par l'intestin, comme par exemple la sérotonine. Sur la figure, nous voyons la muqueuse digestive dans son intégrité avec un microbiote équilibré. En cas de changement du microbiote, de dysbiose, on voit qu'il y a une altération des jonctions serrées du tube digestif et une pénétration de bactéries, de toxines et de métabolites directement dans la circulation sanguine et, à son tour, celle-ci influence l'intégrité cérébrale. De plus, la pénétration du microbiote dans la paroi digestive va également augmenter les cytokines, des facteurs pro-inflammatoires qui en passant dans le sang vont également avoir une influence sur le bon fonctionnement cérébral. Enfin, comme nous l'avons vu, des neuropeptides neuromodulateurs sont directement sécrétés par la paroi du tube digestif et la qualité du microbiote va influencer cette sécrétion. En dérégulant le microbiote, c'est donc tout un système en cascade qui est susceptible d'avoir à son tour un impact complexe aussi bien sur le développement que le fonctionnement du cerveau. Dans la prochaine séquence, voyons ensemble par quels mécanismes d'action le microbiote peut interagir avec le cerveau. [MUSIQUE] [MUSIQUE]