[MUSIQUE] Nous allons maintenant nous intéresser à l'hypothèse qu'une diminution de la motivation sociale pourrait être responsable de l'émergence des symptômes d'autisme. Ce que cette hypothèse postule, c'est qu'en fait les personnes qui sont sur le spectre de l'autisme s'intéressent moins à des stimuli qui sont socialement pertinents, et ça dès le plus jeune âge. Et donc, par un effet de cascade, ça va diminuer leur apprentissage social et leur capacité à pouvoir reconnaître ces stimuli. Mais avant qu'on vous explique en détail comment ça se passe dans le spectre de l'autisme, on va peut-être s'intéresser d'abord au développement typique de l'orientation sociale. Pour n'importe lequel d'entre vous qui aurait déjà tenu un nouveau-né dans ses bras, ce qui vous a peut-être déjà frappé c'est qu'un nouveau-né regarde dans les yeux vraiment depuis son plus jeune âge, depuis la première heure de vie, depuis le premier jour de vie. Et ça c'est quelque chose qu'on connaît vraiment depuis des décennies, mais qui a été formellement testé pour la première fois en 1975 par Goren, qui a utilisé des plaquettes relativement simples, des plaquettes qui ressemblent à ceci, sur lesquelles elle a reproduit, des plaquettes en carton où elle a reproduit un stimuli relativement simple du visage avec deux yeux, un nez et une bouche. Et ce qu'elle a fait, c'est qu'elle a pris des nouveau-nés en bonne santé dans la première dizaine de minutes de leur vie, elle leur a montré ces plaquettes et elle a déplacé ces plaquettes devant leurs yeux pour voir si ces nouveau-nés fixaient quelque chose qui ressemblait à un visage et puis pouvaient aussi tourner la tête pour suivre ceci au cours du temps. Donc, il y avait des plaquettes qui ressemblaient à un visage, il y avait quelque chose qui avait les mêmes éléments de configuration que le visage mais de manière désordonnée pour pouvoir avoir exactement le même type de stimuli visuels mais pas dans une configuration qui ressemble à un visage, et puis il y avait aussi des plaquettes qui étaient blanches pour avoir juste la forme du visage mais pas l'intérieur. Et ce qu'elle a montré, c'est que déjà à neuf minutes de vie, l'enfant a vraiment une préférence très forte pour quelque chose qui ressemble à un visage. C'est comme s'il était né, programmé pour dès la naissance pouvoir regarder dans les yeux la personne. Ça c'est assez intéressant parce que ça a aussi été reproduit un peu plus tard par un autre groupe qui a décidé de se poser la question, est-ce que même avant la naissance, c'est-à-dire avant d'avoir été exposé une seule fois à un visage, est-ce qu'un bébé était déjà programmé pour regarder quelque chose qui ressemble à un visage. Alors, ce qu'ils ont fait, ce groupe, c'est le groupe de Reid, c'est qu'ils ont dit, pour qu'on puisse montrer quelque chose à un bébé qui ne peut pas voir, ce qu'on va faire c'est qu'on va projeter une lumière à travers la paroi du ventre de la maman, à travers la paroi de l'utérus, puisque le bébé a déjà la capacité à le voir. Et ce qu'ils ont fait, c'est qu'ils ont utilisé un faisceau lumineux, trois faisceaux lumineux rouges, qu'ils ont projeté soit dans une configuration de quelque chose qui ressemble à un visage, donc avec deux yeux et le nez ou la bouche, et qu'ils ont ensuite déplacé très lentement sur la paroi du ventre de la maman pour voir si le bébé avait la capacité de tourner la tête de la même manière que Goren l'avait fait avec les bébés qui étaient nés plusieurs années auparavant. Et ensuite, il ont retourné ce stimuli pour qu'il y ait exactement la même quantité d'informations, mais dans quelque chose qui ne ressemble finalement plus à un visage de par sa configuration. Et de manière assez fascinante, ils ont montré que déjà à 33 semaines de gestation, donc à peu près huit mois de grossesse, près de six semaines avant la naissance, le bébé préférait déjà suivre des yeux quelque chose qui ressemble à un visage. Donc, c'est comme si on était programmé extrêmement précocement finalement pour pouvoir regarder dans les yeux et pour être déjà prêt pour ces premières minutes de vie dans lesquelles le bébé va finalement regarder dans les yeux de l'adulte. Donc, c'est comme s'il y avait un réflexe qui est un réflexe très important comme un réflexe primitif, ces autres réflexes primitifs qu'on retrouve chez le nouveau-né, qui était là et déjà extrêmement précocement chez tous les bébés. Maintenant, on peut se poser la question, est-ce que ce type de réflexe c'est quelque chose qui dure dans le temps? Et ça c'est la question que s'est posé Johnsen en 1991 et ce qu'il a fait, c'est qu'il a réutilisé exactement les mêmes plaquettes qu'avait utilisé Goren, mais cette fois il les a montrées non pas seulement à la naissance, donc où il a répliqué les résultats de Goren de 1975, mais il les a aussi montrées quand les bébés grandissaient, donc à un mois, deux mois, trois mois jusqu'à l'âge de cinq mois. Et ce qu'il a pu montrer de manière assez intéressante, c'est que finalement cette préférence pour quelque chose qui ressemble à un visage qu'on a vue auparavant c'est quelque chose qui disparaît à peu près autour de l'âge de un mois. C'est comme si après l'âge de un mois, le bébé finalement ne préférait plus ceci par rapport à ces deux-là. Et ça, cliniquement, ce n'est pas quelque chose qu'on connaît puisqu'on sait qu'un bébé continue à s'intéresser à regarder dans les yeux, à regarder le visage, mais c'est comme si finalement, quelque chose qui était trop stylisé, qui était trop statique, était quelque chose qui n'attirait plus le bébé au-delà de l'âge de un mois. Et ça, ça a amené un certain nombre d'auteurs à se poser la question, est-ce que finalement ce n'est pas un réflexe primitif très basique de regarder quelque chose qui a la configuration d'un visage et quelque chose qui arriverait déjà très tôt dans le développement, avec lequel le bébé serait né puisqu'il est programmé déjà pour ça plusieurs mois, plusieurs semaines avant sa naissance? Et puis qu'après, à l'âge d'un mois, il y a progressivement quelque chose d'autre qui prend le relai, donc ce réflexe primitif disparaîtrait comme beaucoup d'autres réflexes primitifs du nouveau-né. Et il y aurait un relai qui est repris par des mécanismes de contrôle qui sont des mécanismes de contrôle plus avancés qu'on appelle plus corticaux, qui mettent en jeu probablement un mécanisme de contrôle qui est en lien par exemple la contingence, c'est-à-dire l'idée de pouvoir regarder s'il y a une réaction du visage de l'autre côté, est-ce que le visage en face sourit, bouge ses yeux, et que là il y aurait quelque chose qui soit quelque chose de plus contrôlé par le bébé, qui arrive exactement au même moment que par exemple l'émergence du sourire social et qui serait basé sur d'autres types de mécanismes, qui ne serait donc plus un réflexe primitif, mais quelque chose de plus secondaire basé sur des mécanismes plus complexes de contrôle. Donc, en fait, on peut se poser la question de pourquoi est-ce que c'est si important pour un bébé dans son premier mois de vie déjà de pouvoir regarder dans les yeux et pouvoir être attiré comme ça par les visages. Il y a probablement deux explications à ce facteur, même si finalement on ne sait pas quelle est la réponse principale. La première c'est peut-être que c'est important d'avoir un attachement qui se forme avec la personne qui va s'occuper de ce bébé, en général la mère, et que de pouvoir regarder dans les yeux la mère dès les premières minutes de vie, c'est vraiment un facteur qui va induire un attachement extrêmement fort de la part de la personne qui s'occupe de ce bébé. Donc, ça c'est pour le côté personne qui s'occupe du bébé, mais du côté du bébé, il y a probablement aussi un avantage extrêmement fort à regarder les visages dès les premières minutes et les premières heures de vie, parce que ça veut dire que ce bébé va tout de suite développer les réseaux cérébraux qui sont importants pour apprendre à traiter les visages. Il va apprendre à reconnaître un visage, savoir que c'est quelque chose qui est pertinent à regarder avant même qu'il soit capable, lui, de pouvoir orienter son attention de manière flexible, de voir qu'il y a finalement une réaction quand il regarde ce visage, et qu'il y a des mécanismes plus complexes qui se mettront en route. Donc, il y a probablement l'idée que ça, ça permet d'avoir une empreinte qui est très forte et très précoce des visages dans notre cerveau dès les premières minutes de vie et les premières heures de vie. Maintenant que je vous ai expliqué un petit peu comment ça se passait dans l'orientation typique, ce qui est intéressant de se poser comme question, c'est qu'est-ce qui se passe pour les personnes qui sont sur le spectre de l'autisme. Ce qui est très clair c'est que quand on pose le diagnostic d'autisme, en général entre l'âge de un, deux, trois ans, la personne, l'enfant qui est sur le spectre regarde moins dans les yeux, c'est d'ailleurs l'un des critères diagnostiques. Donc, probablement que déjà à cet âge-là, il y a une diminution très forte de ce réflexe de regarder dans les yeux. La question qu'on peut se poser c'est, est-ce que ces bébés sont nés en regardant déjà moins dans les yeux ou est-ce que c'est quelque chose qui s'est passé plus tard qui a fait qu'ils se sont désintéressés des yeux. C'est une question que s'est posé le groupe de Klin, et avec ses collaborateurs, ils ont utilisé une technique qu'on appelle l'eye-tracking, qui est une technique qu'on détaillera plus dans le module suivant, qui permet de suivre exactement où se pose le regard de l'enfant. Et ce qu'ils ont montré à ces bébés dès les premiers mois de vie, c'est finalement une personne, une jeune femme qui interagissait avec eux de manière enjouée comme une maman pourrait le faire avec son enfant. Ils ont regardé est-ce que ces bébés-là regardaient dans les yeux ou regardaient ailleurs, que ce soit en dehors du visage, ou même s'ils regardaient dans le visage, est-ce qu'ils regardaient par exemple la bouche. Donc, ça ils l'ont fait avec des bébés qui étaient des bébés à risque d'autisme où une partie d'entre eux ont développé un autisme plus tard. Et ce qu'ils ont pu identifier, ce que vous voyez ici sur ce graphe, c'est qu'en fait, des bébés qui vont plus tard développer un autisme, ceux que vous voyez sur la ligne rouge ici, en fait dans les premiers mois de vie, ils regardaient dans les yeux quasiment de la même manière si ce n'est plus qu'un enfant qui a un développement typique. Donc, ce que ça nous montre, c'est qu'en fait un enfant qui va développer un trouble du spectre de l'autisme a un réflexe primitif relativement préservé de regarder dans les yeux dans les premiers mois de vie. Et vous voyez en bleu le développement typique où il commence à peu près avec un intérêt autour de 40 % et que là ça tend à augmenter légèrement, c'est-à-dire qu'il y a de plus en plus d'intérêt pour les yeux dans le développement typique, alors qu'au contraire, ces bébés qui allaient développer plus tard un autisme avaient un désintérêt progressif de regarder dans les yeux. C'est comme si pour une raison qu'on ne connaît pas encore, ce réflexe primitif était maintenu chez des jeunes enfants qui sont sur le spectre, mais que dans les premiers mois de vie, il n'y a pas de relai par des mécanismes plus complexes pour faire en sorte qu'il y ait une maintenance de cet intérêt pour regarder dans les yeux, et que progressivement il y a un désintérêt. Et ce désintérêt-là fait que ces bébés vont moins regarder les stimuli sociaux, ils vont donc moins apprendre. Jour après jour, ils vont rater un certain nombre d'opportunités d'apprentissage sur le développement des compétences sociales et c'est quelque chose qui va faire qu'à peu près un an plus tard, on va avoir l'émergence de ces symptômes d'autisme. Donc, ça c'est vraiment ce que postule l'hypothèse de la motivation sociale, qu'il y a quelque chose d'une cascade avec comme vous le voyez sur ce graphe, à l'origine une diminution de l'intérêt pour les stimuli qui sont socialement pertinents, qui font que finalement la personne va moins les regarder, elle va moins apprendre, elle va aussi moins développer toutes les régions sociales qui sont des régions sociales qui sont spécialisées dans le traitement de cette information sociale comme on le verra dans le module suivant aussi plus en détail. Et ça, ça arrive finalement à terme au fait que les personnes apprennent moins d'une part, elles développent moins leurs régions sociales qui traitent cette information sociale, ça c'est toute la cascade que vous voyez sur la droite en rouge. Et puis maintenant, puisqu'on apprend aussi en interaction par les autres, c'est aussi une hypothèse qui nous permet de comprendre comment est-ce qu'il pourrait y avoir une diminution des capacités cognitives de certains de ces enfants puisque finalement, elles n'entrent pas forcément en relation socialement de manière complètement adéquate avec les autres, et comme on apprend beaucoup en étant avec les autres, on apprend aussi à suivre les consignes et à pouvoir exprimer qu'est-ce qu'on attend de nous, il est possible que ces personnes ne développent pas leur potentiel cognitif, non pas parce qu'elles n'en ont pas, mais parce qu'elles n'arrivent pas à l'exprimer d'une manière où finalement on arrive à le quantifier. Donc, ça c'est vraiment une cascade qui est assez intéressante parce que c'est une cascade qui nous explique comment est-ce qu'on va pouvoir intervenir avec différents types d'interventions précoces qui ont pour but de pouvoir réaugmenter l'intérêt social par exemple en rendant les aspects sociaux relativement ludiques, comme ça peut être le cas dans la thérapie de Early Start Denver model, où on essaie de réorienter l'enfant vers les stimuli sociaux. On essaie aussi de lui apprendre un certain nombre de ces compétences sociales, on peut travailler aussi un petit peu en aval de cette cascade avec l'idée qu'on va réussir en agissant sur cette cascade, diminuer un petit peu l'impact de l'autisme dans les années à venir, avoir une diminution des symptômes d'autisme et aussi une amélioration assez importante des compétences cognitives. Donc, vous voyez, toute cette hypothèse de la motivation sociale est finalement assez attractive, parce que non seulement elle nous permet de comprendre l'origine des symptômes d'autisme dans une certaine mesure, mais aussi elle nous permet de comprendre comment est-ce qu'on va pouvoir agir là-dessus avec un certain nombre de thérapies spécifiques comme toutes ces thérapies qui visent en fait une intervention qui soit précoce et intensive, et en particulier le Early Start Denver model. Malgré tout, il y a quand même quelques limites à cette hypothèse de la motivation sociale. La première grosse limite c'est que finalement, on ne comprend pas quelle est l'origine d'une diminution de l'intérêt pour les autres personnes. On sait que c'est probablement quelque chose qui se passe dans les premiers mois de vie au moment où le réflexe primitif disparaît, mais on ne sait pas quelle est la nature finalement de cet événement. Donc là, il y a encore beaucoup de recherches qui s'intéressent à ça. Et puis, la deuxième limite de ce modèle c'est que finalement, il explique tous les symptômes sociaux relativement bien, mais il explique nettement moins bien les autres aspects de l'autisme, l'autre ligne de symptômes qui sont les comportements répétitifs et les intérêts restreints. Donc, il ne donne pas vraiment une vision d'ensemble de tous les symptômes d'autisme. Et ça, on verra aussi dans la séquence suivante comment est-ce qu'on pourrait combiner éventuellement cette hypothèse la motivation sociale avec d'autres hypothèses pour expliquer de manière un petit peu plus globale tous les symptômes d'autisme. [MUSIQUE] [MUSIQUE]