[MUSIQUE] Dans la première partie de ce module, nous avons beaucoup parlé des difficultés alimentaires que présentent les personnes qui sont sur le spectre de l'autisme. Maintenant, pour la deuxième moitié de ce module, nous allons nous concentrer sur les difficultés du sommeil. Pour ça, on va voir plusieurs thèmes ensemble. Le premier c'est pourquoi on dort et comment est-ce qu'on mesure le sommeil, ensuite on s'intéressera à quelle est la nature des difficultés de sommeil des personnes qui sont sur le spectre de l'autisme, quelles sont les causes possibles de ces troubles du sommeil et comment est-ce qu'on peut les traiter? Pour toute cette série de séquences, nous avons la chance d'avoir avec nous Carmen Schroder, qui est pédo-psychiatre. Elle est Professeure à la faculté de médecine de l'Université de Strasbourg, elle est aussi Chef du département de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à Strasbourg, et c'est une spécialiste dans les troubles du sommeil. Merci beaucoup, Carmen, d'être avec nous. Est-ce que tu peux nous dire un petit peu pourquoi est-ce qu'on dort? >> Alors, déjà, ce qu'on peut retenir, c'est que le sommeil est une fonction absolument essentielle, parce que si on regarde un peu, on passe environ un tiers de notre vie à dormir, c'est énormément de temps passé à une fonction qui doit donc être forcément essentielle. La plupart des gens savent qu'il faut dormir pour récupérer. On dit d'ailleurs, je suis fatigué, il faut que je récupère. Mais le sommeil a bien d'autres fonctions. Par exemple, il est totalement responsable de notre équilibre thymique. On le sait bien, si on a mal dormi une nuit, on va être de mauvaise humeur, sauf que chez l'enfant ça peut se manifester différemment que chez l'adulte, notamment avec beaucoup d'irritabilité, d'émotivité si on n'a pas bien dormi, donc beaucoup de colère, beaucoup de pleurs. Le sommeil est aussi très important pour maintenir un certain équilibre métabolique, c'est-à-dire que si on ne dort pas assez, on a tendance à prendre du poids, et ces liens entre manque du sommeil et obésité sont maintenant, notamment chez l'enfant, bien relevés. Et enfin, le sommeil est aussi tout simplement important pour grandir chez l'enfant. Pour ne donner qu'un exemple, l'hormone de croissance est sécrétée pendant le sommeil long-profond, et si on a donc une cassure de la structure de la courbe [INCONNU] pondérale, on va d'ailleurs regarder le sommeil de l'enfant pour être sûr que le sommeil ne peut pas être un des facteurs causals. >> Et donc, c'est encore plus primordial chez l'enfant que finalement chez l'adolescent ou l'adulte, c'est juste? >> Tout à fait, parce qu'il y a des fenêtres développementaux qui font que la plasticité cérébrale est particulièrement importante chez le jeune enfant, et il y a des liens très forts entre sommeil et développement, notamment développement cérébral. Finalement, l'organisation du sommeil va coller de très près à l'état de développement de l'enfant. Chez un enfant très jeune par exemple, on va avoir une prédominance des stades de sommeil, des petits sommeils actifs chez les nouveau-nés qui vont plus tard s'appeler le sommeil paradoxal. Et déjà en fin de première année de vie, ces stades de sommeil paradoxal vont diminuer pour laisser plus de place à du sommeil long-profond, et finalement, des cycles alternant du sommeil profond sommeil paradoxal vont de manière optimale soutenir le développement de l'enfant et des apprentissages, que ça soit des apprentissages qu'on appelle procéduraux, c'est-à-dire faire du vélo, apprendre à jouer un instrument de musique, marcher, ou si c'est plutôt épisodique, c'est-à-dire aller à l'école et apprendre des dates d'histoire ou apprendre des mathématiques par exemple. Et donc, par rapport à cet apprentissage et aussi apprentissage scolaire, il faut vraiment dire que le sommeil est essentiel parce qu'il va consolider tout ce que nous avons appris la journée. >> Et du coup, ça se passe comment dans notre cerveau cette période de consolidation, qu'est-ce qui se passe dans notre cerveau quand on dort? >> Finalement, il faut s'imaginer ça comme ça. Si on apprend de nouvelles choses durant la journée, il y a des synapses qui se créent, et un gain synaptique qui va progressivement augmenter. Et durant la nuit, tout ça c'est revisité, et finalement, ce gain synaptique va être réduit sur tous ces synapses. Mais ceux qui se sont bien créés, les connaissances qui se sont déjà bien faites durant la journée vont pouvoir persister alors que les autres vont se défaire, on appelle ça le Pruning synaptique, donc l'élagage en quelque sorte. Ce qui fait que le matin quand on se réveille, les choses apprises de manière significative vont se maintenir et tout ce qui n'était pas si important, on va l'avoir oublié. Donc, le ratio signal/bruit est amélioré, ce qui fait que souvent le matin, on a l'impression d'avoir mieux retenu les choses qu'encore même la veille au soir quand on avait juste fini d'apprendre. >> Donc, du coup en fait, on dort pour oublier et pas pour apprendre. >> En quelque sorte. En tout cas, pour que les différences entre ce qu'on a appris et ce qui est pertinent et ce qui n'est pas important soit plus importantes. >> Super. Et du coup, comment est-ce qu'on mesure le sommeil? >> Alors, il y a différentes façons de le mesurer. La première chose c'est vraiment un examen clinique, un entretien où on va parler de tous les aspects du sommeil. Et ce qui est très important, on ne va jamais se focaliser que sur la nuit. Le sommeil, on va toujours le regarder dans son développement sur les 24 heures. Et c'est notamment important chez le jeune enfant qui fait encore des siestes, donc on ne peut que rester focalisé sur la nuit. On va alors regarder à quel moment l'enfant se couche, à quel moment il s'endort, est-ce qu'il y a des réveils nocturnes, combien, à quelle heure, est-ce qu'ils sont accompagnés de pleurs, de repas, etc., à quelle heure l'enfant se réveille le matin et est-ce qu'il fait des siestes la journée, et si oui, combien de siestes, est-ce que ce sont des heures fixes? Donc, ça c'est l'heure de l'entretien. On va après consolider ça par une prise de notes en quelque sorte à domicile qu'on appelle un agenda de sommeil. Donc là, les parents vont nous dire jour après jour, exactement donner ces mêmes informations et comme ça on a un peu une cartographie quand les parents reviennent, du sommeil de l'enfant sur une période donnée, et aussi la variabilité d'un jour à l'autre. Si on veut aller un peu plus loin, on peut vraiment utiliser des outils assez intéressants. Un outil très simple s'appelle une actimétrie. Il faut s'imaginer ça comme une petite montre qu'on porte au bras. Beaucoup d'actimètres sont équipés d'un luxmètre où on va en même temps mesurer l'exposition lumineuse, et on va mesurer quand l'enfant est actif ou non actif. Donc, c'est un accéléromètre, un élément piézoélectrique. Si un enfant est actif, il y a beaucoup de mouvements, s'il n'est pas actif, il n'y en a pas. Donc, il y a des algorithmes qui nous permettent de voir sur de longues périodes, au moins deux semaines à domicile, quand l'enfant dort ou quand il ne dort pas. Donc, c'est une mesure objective mais assez simple des rythmes activité et repos qui correspondent à peu de choses près au rythmes veille et sommeil chez l'enfant. Et parfois, on veut aller encore plus loin, et là il faut mesurer le sommeil, ça c'est avec des enregistrements un peu plus invasifs. Donc, on colle des électrodes sur la tête pour un électroencéphalogramme, on mesure le mouvement des yeux avec un électrooculogramme, le tonus musculaire avec un électromyogramme, ça c'est l'enregistrement du sommeil. Et on appelle ça un polysomnographique parce que souvent, on ajoute d'autres capteurs, la fréquence cardiaque, le mouvement des jambes, la saturation en oxygène. Ces examens peuvent se faire en laboratoire du sommeil surtout si on veut en même temps filmer l'enfant, donc avoir une vidéo polysomnographique. Et parfois si on a des questions plus simples, ça peut se faire aussi à domicile. Et enfin, on peut aller encore plus loin, et là on peut regarder les rythmes hormonaux des enfants. Il y a un rythme que beaucoup de familles vont connaître, c'est le rythme de la mélatonine parce qu'on en entend beaucoup parler aujourd'hui. C'est une hormone du noir, qui est sécrétée au crépuscule et qui va préparer au sommeil, qui va rester très élevée dans le sang toute la nuit, qui va descendre vers le matin et qui théoriquement, en journée, on devrait avoir des concentrations non détectables. Et on peut mesurer bien sûr la mélatonine ou d'autres produits comme le cortisol si ça doit s'avérer nécessaire pour avoir une idée de la rythmicité du rythme circadien. >> Donc, si je t'entends bien, quand une famille vient te voir en consultation avec une plainte de troubles du sommeil, la plupart du temps tu vas rester sur des outils qui sont assez simples, qui sont vraiment des outils de l'entretien et un agenda du sommeil, et c'est seulement dans certains cas particuliers que tu vas aller vers des outils qui sont un peu plus sophistiqués, c'est juste? >> Exactement. Parce que dans la grande majorité des cas, on va en parler tout à l'heure, le tableau clinique qu'on rencontre c'est dans le registre des insomnies ou des retards de phase, et ce sont des diagnostics cliniques. Donc, c'est uniquement basé, et on va en parler tout à l'heure, sur la plainte finalement des parents, souvent de l'enfant, et avec des questions précises, et en plus un agenda du sommeil, ça suffit dans la grande majorité des cas pour décider comment il faut avancer. Et uniquement si on a des points d'appel, c'est-à-dire on suspecte qu'il y a quand même des apnées du sommeil parce que l'enfant ronfle et il transpire beaucoup la nuit, ou on suspecte qu'il y a soit une épilepsie nocturne ou encore des mouvements anormaux parce que l'enfant est extrêmement agité pendant son sommeil, là on va peut-être se poser la question d'un enregistrement polysomnographique. Mais dans la grande majorité des cas, c'est un diagnostic clinique, du tableau clinique, et là-dessus, on peut déjà planifier l'approche thérapeutique. >> Très bien. Merci beaucoup. Je te propose qu'on revienne sur tous ces points dans la séquence suivante. Donc, vous l'avez vu, il y a vraiment plusieurs manières de mesurer le sommeil. Maintenant, ce qu'on va faire dans la prochaine séquence, c'est qu'on va regarder ensemble quelles sont les altérations qu'on retrouve chez un enfant qui est sur le spectre de l'autisme. [MUSIQUE] [MUSIQUE]