[MUSIQUE] [MUSIQUE] Dans la séquence précédente, vous avez vu qu'il y a eu des cas historiques de déprivation extrême sur le plan de la socialisation qui ont amené, finalement, à des cas de quasi autisme ; ce sont donc des cas dans lesquels ces enfants présentaient des symptômes d'autisme, mais qui étaient réversibles lorsqu'on remettait en place une stimulation sociale adaptée. Actuellement, heureusement, ce type de cas sont des cas historiques qui ne se présentent plus, mais il y a autre chose qui nous rappelle qu'il est important d'avoir une stimulation sociale adaptée dans les premières années de vie, c'est vraiment la problématique des écrans. Maintenant, on voit de plus en plus arriver en consultation des enfants qui présentent un tableau qui ressemble à de l'autisme. C'est-à-dire que ce sont des enfants qui ont des difficultés dans les interactions sociales, qui peuvent avoir des stimulations sensorielles et qui, souvent, ont un retard de langage. Ceci a amené un certain nombre d'auteurs à proposer que, finalement, l'exposition aux écrans pouvait générer de l'autisme. Vous allez le voir, on va en discuter pendant cette séquence, en fait, ce n'est pas quelque chose qui génère de l'autisme, mais la surexposition aux écrans nous montre que, finalement, on peut générer un tableau qui ressemble à de l'autisme. Mais pour bien comprendre cette problématique, il faut vraiment comprendre qu'il y a depuis la dernière décennie environ une augmentation énorme de l'accès aux écrans pour les enfants dès le plus jeune âge, parfois même dès les premiers mois de vie. Et quand on parle d'écrans, on ne parle plus seulement de la télévision, qui est plutôt une exposition passive où l'on regarde les images et qui existe depuis des décennies, mais on parle de toutes ces nouvelles technologies, de ces smartphones, de ces tablettes, et de l'aspect interactif de ces écrans, avec la possibilité de toucher, d'avoir quelque chose qui se passe, avec des applications spécifiquement développées pour des jeunes enfants, du contenu, comme, par exemple, des comptines et des vidéos qui sont extrêmement développées pour des jeunes enfants. Et c'est cet aspect interactif, plus le fait que tout ceci est vraiment adapté pour les jeunes enfants et intuitif, qui les rend complètement addictifs. Si on parle de chiffres, pour la télévision uniquement, qui existe depuis longtemps, il y a déjà une dizaine d'années, l'exposition à la télévision était extrêmement importante. Certaines études nous disent que jusqu'à 40 % des enfants à l'âge de trois mois étaient exposés régulièrement à la télévision ; à l'âge de deux ans, c'est quasiment 90 % des enfants qui avaient une exposition quasi quotidienne à la télévision. Et pour ces enfants qui étaient exposés à la télévision, c'étaient aussi des durées importantes, puisqu'on parle de pratiquement une heure par jour pour des enfants qui sont en dessous de l'âge d'un an et à peu près une heure et demie par jour à l'âge de deux ans. Donc vous voyez que rien que pour la télévision, où il y a moins cet aspect addictif et interactif, on est déjà dans des durées importantes. Pour tout ce qui est des écrans plus intuitifs, les smartphones ou les tablettes électroniques, on a moins de chiffres actuels, parce que ce sont des technologies qui sont un peu plus récentes, mais les chiffres qu'on a nous montrent que ce sont aussi des choses auxquelles les enfants sont exposés de manière extrêmement précoce. Il y a, par exemple, une étude assez récente qui nous a montré qu'avant l'âge de deux ans, les enfants passent pratiquement une heure et quart par jour devant un Ipad, une tablette électronique ou un téléphone à jouer à des choses qui sont souvent des contenus qui sont prévus pour leur âge, mais qui n'en restent pas moins des contenus qui les coupent des interactions sociales pendant le temps qu'ils passent devant l'écran. Entre l'âge de deux et cinq ans, c'est quasiment jusqu'à trois heures par jour pour beaucoup des enfants qui étaient analysés dans cette étude. Ce qui est frappant, c'est que les parents ne réalisent pas forcément le potentiel délétère que peuvent avoir les écrans sur le développement de leur enfant. En fait, si on leur demande quelles sont les raisons pour lesquelles ils exposent leur enfant, soit à la télévision, soit à des tablettes électroniques, en général, ce qui arrive en tête de liste, ce sont les aspects éducatifs. C'est-à-dire qu'en proposant ce type d'applications ou ce type de moments devant les écrans à leur enfant, ils ont l'impression que c'est un moment dans lequel l'enfant va apprendre des choses qui vont lui être utiles ; apprendre à reconnaître l'alphabet, reconnaître les couleurs, apprendre l'anglais ou une autre langue ; il y a vraiment cette idée qu'il y a un contenu éducatif qui va le préparer à des apprentissages qui seront importants. Le deuxième élément qui est apporté par les parents est un élément de distraction ; c'est-à-dire l'idée que c'est quelque chose qui plaît à l'enfant, que ça lui fait plaisir, et que c'est un moment dans lequel il peut se relaxer. Finalement, le dernier élément que les parents rapportent, c'est l'idée que le moment où l'enfant est devant les écrans leur permet à eux de pouvoir se concentrer sur autre chose. C'est intéressant de voir que, finalement, la première raison que les parents invoquent, ce sont ces aspects éducatifs là. C'est comme si on vivait dans un monde extrêmement technologique dans lequel il pourrait paraître de bonne augure de préparer ses enfants aux technologies de demain en les amenant directement et dès le plus jeune âge à pouvoir apprendre via des tablettes électroniques. Cependant, ce que les parents ne réalisent pas, c'est qu'à ce moment-là, quand l'enfant est devant son écran, il est vraiment coupé du monde social et que c'est un âge dans lequel il est critique pour lui de faire l'expérience du monde social. Et c'est particulièrement vrai dans les deux ou trois premières années de vie, pendant lesquelles l'enfant devrait au minimum être exposé à ce type d'écrans, et en particulier à des écrans interactifs. Ce que je vous propose maintenant, c'est qu'on voie ensemble l'extrait vidéo d'une maman qui nous raconte qu'elle a exposé son enfant relativement précocement à un écran et qui s'est rendue compte un peu tardivement que, finalement, c'est quelque chose qui n'était pas très bon pour le développement de cet enfant. C'est une maman qui est venue consulter parce qu'elle se posait la question de pourquoi commençait à parler plus tard que les autres et s'il n'y avait pas des particularités dans le développement social de son enfant. Le pédiatre même se posait la question d'un Trouble du Spectre de l'Autisme. [MUSIQUE] >> Noa a deux ans. Elle a été surexposée aux écrans depuis toute petite. Ses parents ignoraient totalement les répercussions que cela pouvait avoir sur son développement. >> Elle n'était pas là, elle ne parlait pas avec nous, elle ne te montrait pas un jeu, elle ne voulait pas jouer avec toi ; elle voulait qu'être dans son monde, avec sa télévision, avec ses dessins. Les seules choses qu'elle répétait, c'étaient les chansons des vidéos qu'elle entendait. Il n'y avait pas de communication. Elle était tellement dans ça qu'elle n'était pas avec nous. >> Les inquiétudes de sa maman ne s'apaisent pas avec la consultation chez sa pédiatre pour le contrôle à un an. [MUSIQUE] >> Quand on y a été, elle a directement dit qu'il y avait un souci de type autisme. Du coup, c'est un choc très grand qu'on a. Puis on lui a raconté aussi qu'elle avait des écrans dans sa vie. Elle nous a dit qu'il fallait tout de suite arrêter, que ce n'était pas du tout conseillé pour les moins de trois ans, et on a tout de suite arrêté. >> En raison du doute qui subsiste sur son diagnostic, Noa est aujourd'hui suivie par le centre de consultation spécialisé en autisme à Genève. L'avalanche de nouveaux écrans a beaucoup compliqué la tâche des professionnels dans l'identification d'éventuels troubles. >> Dans le cas de cette petite fille, vous avez vu qu'après l'arrêt des écrans et après la mise en place d'une socialisation plus adaptée et plus intense, par exemple, dans des crèches, ou pour certains enfants c'est le moment où l'école commence, on voit que les symptômes régressent. Il y a vraiment cette idée que pour une petite fille comme celle que vous avez vue, il ne s'agissait pas d'un autisme, mais bel et bien d'une surexposition aux écrans qui avait ralenti son développement dans certains aspects. Du coup, l'avis général est que la surexposition aux écrans ne crée pas de l'autisme, mais peut mimer un tableau qui ressemble à de l'autisme ; et au moment où on enlève les écrans, on se rend compte que, finalement, ce tableau régresse dans la plupart des cas. Mais c'est vrai que ce n'est pas toujours aussi simple, parce qu'on peut aussi avoir un enfant qui a des difficultés sur le spectre de l'autisme et qui, de par ses difficultés sur le spectre de l'autisme, va être plus enclin à regarder des écrans et à devenir un peu accro à ces écrans. Il peut aussi y avoir le fait que ce soit plus difficile pour les parents de trouver une activité qui soit facile à faire avec leurs enfants, et que, des fois, dans une certaine solution de facilité, on ait proposé l'écran à l'enfant et qu'il soit devenu très difficile de l'enlever, parce qu'on rentre dans un engrenage où arrêter les écrans devient compliqué. Donc il peut aussi y avoir des cas dans lesquels un enfant qui était sur le spectre de l'autisme a été surexposé aux écrans, et dans ce cas, il est sûr que ça ne va pas améliorer ses symptômes, il va avoir encore plus de difficultés de socialisation ; et au moment où on enlève les écrans, il va rester un certain nombre de symptômes puisque l'autisme est toujours là, mais en général, les symptômes vont aussi s'améliorer énormément puisque les écrans étaient quelque chose qui empêchait cet enfant d'avoir une expérience sociale au quotidien. Donc vous réalisez bien, maintenant, en regardant l'ensemble de ces données, qu'il est vraiment très important de pouvoir faire de la prévention auprès du grand public, pour pouvoir prévenir les parents que quand ils exposent leur enfant à des tablettes électroniques extrêmement jeune dans le développement de cet enfant, ils ne sont pas en train d'aider l'enfant dans leur développement en leur donnant des outils éducatifs, mais ils sont au contraire en train de le couper du monde social dans une période dans laquelle il est critique pour cet enfant de pouvoir développer une expérience de ce monde social. Il y a donc de plus en plus de guidelines qui émergent avec l'idée qu'avant trois ans on devrait au maximum éviter l'exposition aux écrans chez ces jeunes enfants. Ça devient vraiment un problème de santé publique qui est un problème important. En conclusion, on voit maintenant, avec l'omniprésence des écrans, des tableaux cliniques qui changent, avec des enfants qui présentent des symptômes qui ressemblent à de l'autisme. Mais ce sont des parents qui ont voulu bien faire en proposant des techniques d'apprentissage à leur enfant qui sont adaptées à la société dans laquelle on vit, en leur montrant des tablettes électroniques dans lesquelles ils leur proposent des outils d'apprentissage, mais en faisant cela, ils ne se sont pas rendus compte qu'ils avaient coupé leur enfant du monde social dans une période dans laquelle il est critique pour cet enfant de pouvoir avoir des interactions sociales. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE]