[MUSIQUE] [MUSIQUE] Dans la séquence précédente, on a beaucoup parlé de l'hétérogénéité et de comment il y avait finalement peu d'études relativement consistantes qui nous montraient quels étaient les patterns neuroanatomiques qui étaient spécifiques de différents sous-groupes de l'autisme. Il y a une chose qu'on a encore peu évoquée jusque là , c'est le fait qu'il y a quatre fois plus de garçons que de filles qui développent un autisme. C'est quelque chose qui est extrêmement frappant, quand on s'intéresse à l'autisme, de voir qu'il y a un ratio entre les garçons et les filles qui est aussi déséquilibré, avec une prévalence beaucoup plus importante chez les garçons que chez les filles. C'est quelque chose qui questionne énormément pour plusieurs raisons. La première raison, c'est, finalement, est-ce que les manifestations de l'autisme sont différentes chez les garçons que chez les filles. C'est quelque chose qui questionne aussi beaucoup les cliniciens et on a eu beaucoup cette impression, jusqu'à à peu près une décennie, que les filles, quand elles étaient affectées, étaient plus sévèrement affectées. Donc avec cette idée que quand on arrivait à diagnostiquer une fille, c'était une fille qui était généralement plus affectée à la fois dans ses symptômes d'autisme, mais aussi dans son développement cognitif. Maintenant, on se pose beaucoup la question de savoir si on est bon à diagnostiquer toutes les filles ; c'est-à -dire est-ce qu'il n'y aurait pas des filles qui auraient un profil plus léger, qui passent entre les gouttes et pour lesquelles on n'arrive pas à faire un diagnostic, parce que nos outils diagnostics sont développés principalement pour les garçons et parce qu'on sait maintenant qu'il y a un certain nombre de filles qui peuvent avoir un profil moins affecté sur le plan social, sur le plan des compétences de communication, sur le plan du développement de leur langage, mais aussi parce que les intérêts spécifiques que présentent les filles peuvent être différents des intérêts spécifiques que présentent les garçons. On sait, par exemple, que certains intérêts spécifiques des garçons, qui sont extrêmement techniques, sont des choses qu'on connaît bien, et il peut y avoir des intérêts spécifiques chez les filles qui peuvent plus socialement acceptables et plus facilement les mêmes types d'intérêts que d'autres enfants pourraient présenter dans la cour de récréation, mais qui seraient peut-être plus poussés à l'extrême chez une fille qui est sur le spectre de l'autisme. Donc tout ça est vraiment un champ qui est encore en développement, de savoir est-ce que le profil est différent chez les garçons ou chez les filles, et est-ce qu'on diagnostique suffisamment de filles qui sont sur le spectre ou est-ce qu'on n'en rate pas quelques-unes. Cela étant dit, même si on diagnostiquait un petit peu plus de filles, ça nous ferait probablement augmenter un petit peu la balance et diminuer ce déséquilibre, qui est de quatre garçons pour une fille, mais ça resterait extrêmement déséquilibré du côté des garçons qui sont plus affectés. C'est probablement parce qu'il y a des facteurs soit génétiques, soit hormonaux qui jouent un rôle dans la pathogenèse, c'est-à -dire dans l'émergence des troubles de l'autisme. C'est quelque chose qu'on sait encore peu, quels sont ces facteurs qui jouent rôle, mais il y a un certain nombre d'hypothèses qui existent dans le domaine. Une des hypothèses, dont on a déjà discuté dans le module précédent, c'est l'idée qu'il y a cette théorie du extreme male brain theory, la théorie de Simon Baron-Cohen, qui dit qu'il y a quelque chose de masculinisant déjà dans l'environnement in utero, probablement en lien avec la testostérone fœtale, qui fait qu'il y a un effet surmasculinisant du cerveau, avec un phénotype qui va même, chez des filles avec autisme, ressembler plus au profil des garçons, avec quelque chose qui est de l'ordre de moins de compétences d'empathie et plus de compétences de systématisation, et que même chez les garçons qui sont affectés, ils vont présenter quelque chose qu'on retrouve, comme la différence entre les garçons et le filles typiques, mais qui serait aussi plus de compétences de systématisation et moins de compétences d'empathie que des garçons qui ont un développement typique. Donc ça, c'est une des théories. Il y a d'autres théories qui nous disent que probablement d'autres facteurs auraient un effet spécifique au sexe sur le développement cérébral. Par exemple, il y a une théorie par rapport à une théorie immunitaire, donc d'activation, chez la mère, du système immunitaire en lien avec une affection, et que cette activation-là affecterait de manière spécifique le cerveau des garçons, avec un effet particulièrement sur le développement de ce qu'on appelle la microglie, donc dans la matière blanche, qui expliquerait pourquoi les garçons seraient plus affectés que d'autres. Donc tout ça, c'est des théories qui sont évoquées ; on ne sait évidemment pas encore la réponse. Sur le plan génétique, il y a aussi l'idée qu'il pourrait y avoir un effet protecteur chez les filles qu'on ne connaît pas encore. C'est par exemple démontré par des études qui montrent que, si on regarde des échantillons de filles et de garçons, on se rend compte que les filles ont besoin d'avoir plus de mutations pour développer les systèmes ; en général, quasiment jusqu'à cinq fois plus de mutations, selon les études, que les garçons qui sont affectés. C'est probablement parce que, même avec ces mutations, il y a quelque chose qui va protéger les filles de développer ces symptômes-là , et c'est quelque chose qui est assez intéressant à pouvoir investiguer ; parce que si on arrivait à investiguer, on pourrait mieux comprendre quels sont les facteurs protecteurs, les facteurs de résilience et, potentiellement, pouvoir développer des stratégies qui sont des stratégies de prévention secondaires chez les enfants qui sont à risque. Une dernière chose, qui est très en lien avec le fait que les filles ont en général plus de mutations que les garçons, c'est que si, dans une famille, il y a une fille qui est affectée, les plus jeunes frères et sœurs issus de cette famille vont avoir un risque plus important de développer un autisme que si c'est un garçon qui est affecté. Ça va de nouveau avec l'idée que, finalement, il y a quelque chose de génétique qui est probablement plus affecté chez les filles que chez les garçons quand elles sont affectées, ou probablement quelque chose qui les protège si elles avaient moins de mutations génétiques. Sur le plan neurobiologique, ce qu'on peut voir, c'est qu'en termes de neuro-imagerie, il y a nettement moins d'études qui ciblent les filles. Parce que, forcément, si on a un ratio qui est d'à peu près quatre garçons pour une fille, si vous faites une étude avec 50 participants, vous allez vous retrouver avec 40 garçons et seulement 10 filles ; et 10 filles, ce n'est pas quelque chose qui permet de faire des analyses sur des statistiques suffisamment puissantes pour qu'on puisse bien comprendre quelles sont les anomalies spécifiques qu'on peut retrouver chez ces filles-là , et en particulier dans le contexte dont on vient de discuter dans la leçon précédente, d'avoir une hétérogénéité qui est importante sur le spectre. Donc ça, c'est quelque chose qui explique pourquoi à ce jour on sait encore peu quelle est la signature cérébrale des filles qui sont sur le spectre par rapport aux garçons ; est-ce qu'il y a une différence entre les deux. Les premières études qui avaient été publiées, c'est exactement ce cas de figure. Elles avaient moins d'une dizaine de filles qui étaient sur le spectre, et certaines de ces études ont montré que les filles avaient une structure cérébrale qui était plus affectée que les garçons ; c'est-à -dire que les filles sur le spectre de l'autisme avaient plus d'anomalies cérébrales que les garçons sur le spectre de l'autisme par rapport à un groupe contrôle. Donc ça, c'est que les premières études ont montré. Après, il y a eu d'autres études, avec des échantillons un tout petit peu plus gros, qui ont montré que, finalement, c'était peut-être l'inverse ; c'est-à -dire que les garçons auraient eu une altération qui est du type augmentation de la croissance cérébrale, mais que chez les filles, on n'arrivait pas à retrouver cette augmentation de la croissance cérébrale chez des petits qui ont entre deux et quatre ans. Il y a donc eu à la fois des études qui ont montré qu'il y avait plus d'altérations chez les filles, d'autres qui ont montré qu'il y en avait moins ; mais probablement que toute cette hétérogénéité est en lien avec le fait qu'on avait à chaque fois des échantillons relativement modestes, dans un trouble dont on sait que c'est un trouble qui est extrêmement hétérogène aussi cliniquement. Pour pallier à ceci, ce qu'on a fait il y a quelques années, c'est qu'on a pris un énorme consortium de données de neuro-imagerie, qui était le plus grand à l'époque et qui avait à peu près 1000 sujets ; et à l'intérieur de ces 1000 sujets, on a pu identifier un groupe de filles qui était de beaucoup plus grande ampleur que ce qui avait été publié précédemment, le désavantage étant que pour avoir un groupe si grand, on avait collecté des IRM à des endroits différents et donc on introduisait, finalement, une certaine variabilité dans ces données. Mais avec ces données, ce qu'on a pu faire, c'est qu'on a pu regarder un échantillon de 53 filles et femmes, de l'âge de 8 ans à l'âge de 30 ans, qui étaient sur le spectre de l'autisme et les comparer avec un échantillon équivalent de garçons sur le spectre de l'autisme, puis de filles et de garçons avec un développement typique. On a regardé un certain nombre de choses : le volume du cerveau, le plissement et l'épaisseur. Et on s'est rendu compte qu'il y avait certaines différences dans le cerveau qui étaient des différences qu'on retrouvait préservées dans l'autisme ; c'est-à -dire qu'il y a une différence chez la personne typique et une différence entre les garçons et les filles dans le développement de leur cerveau, et cette différence-là , on arrive à la retrouver de manière préservée dans l'autisme. Ce que ça suggère, c'est qu'une partie de ce qui explique l'émergence des symptômes d'autisme n'est pas forcément uniquement en lien avec le sexe. En particulier, la région qu'on avait pu identifier était une région qui est dans le lobe temporal supérieur, qui est vraiment une région très importante pour la compréhension du langage, et on s'est rendu compte que cette région-là avait un volume qui était relativement plus important chez les filles, qu'elles soient sur le spectre ou qu'elles aient un développement typique, que chez les garçons. C'est quelque chose qu'on peut mettre en lien avec le fait qu'on sait que, typiquement, par exemple dans les premières années de vie, dans la période préscolaire, les filles sont en général meilleures sur un certain nombre d'indices de communication, elles tendent à apprendre à parler plus vite ; du coup, ça donne une signature que c'est quelque chose qu'on peut retrouver au niveau cérébral avec une augmentation du volume des régions qui est en lien avec ce type de processus. Et si on s'intéresse en particulier à l'autisme, même si, comme je vous le disais avant, on connaît encore peu les différences entre les filles et les garçons, il semblerait effectivement que les filles qui sont sur le spectre apprennent quand même à parler un peu plus vite et à développer un langage un peu plus rapidement que les garçons qui sont sur le spectre. Ceci nous permet finalement de reproduire une différence qu'on observe typiquement entre les garçons et les filles, aussi à l'intérieur du spectre, qui est probablement une des différences qui expliquent pourquoi on va moins diagnostiquer les filles ; parce que, finalement, elles développent un langage un petit plus vite, elles ont des compétences de communication qui sont un petit peu meilleures que les garçons, et donc ce sont des choses qu'on va rater sur le plan diagnostic parce qu'on ne va pas identifier aussi précocement les symptômes d'autisme chez ces filles-là . Donc ça, c'était vraiment une première partie de l'histoire pour vous dire qu'on arrive à identifier des différences entre les garçons et les filles qui sont préservées, même chez les personnes qui sont sur le spectre de l'autisme. L'autre chose qu'on a vue, c'est que, par contre, il y a d'autres régions dans lesquelles il y a quelque chose de spécifique d'une interaction entre le sexe, donc garçon/fille, et le diagnostic autisme ou développement typique. C'est quelque chose qu'on a vu typiquement dans une région qui est une région du cortex orbito-frontal, une région importante pour identifier quelles sont les choses pertinentes à regarder, en particulier les stimuli d'ordre social ; une région qui est pertinente aussi pour la théorie de l'esprit et pour un certain nombre d'autres processus, comme par exemple la récompense sociale. Et là , ce qu'on a vu, c'est que les garçons avaient une diminution du plissement beaucoup plus importante dans cette région-là s'ils étaient sur le spectre de l'autisme que les filles, ou même que les personnes avec un développement typique. Il y avait donc quelque chose qui affectait spécifiquement les garçons sur le spectre de l'autisme dans cette région qui est pertinente pour l'information sociale. Donc ça, ça nous donne aussi une indication du fait qu'il y a vraiment quelque chose de consistant qui est différent entre la neuroanatomie associée à l'autisme chez les garçons et la neuroanatomie associée à l'autisme chez les filles. C'est quelque chose qui a maintenant été reproduit par d'autres études qui ont montré que de manière consistante il y a vraiment une signature différente associée à l'émergence de l'autisme chez les garçons et chez les filles, et qui a en particulier été reporté par des études d'imagerie fonctionnelle qui montrent que, très clairement, l'autisme chez les garçons ne se manifeste pas avec les mêmes mécanismes neurobiologiques que l'autisme chez les filles. Je vous le disais, c'est un sujet qui est assez intéressant à explorer et qui émerge actuellement du fait qu'on commence à reconnaître, plus au cours de la dernière décennie, quels sont les signes spécifiques de l'autisme chez les filles, et on commence à reconnaître le fait que c'est un groupe qui a été peu étudié et qu'il est important d'étudier. Il y a maintenant des initiatives assez importantes pour pouvoir essayer d'avoir des cohortes importantes de filles qui sont sur le spectre de l'autisme ; par exemple au MIND Institute, l'initiative de pouvoir collecter une cohorte qui s'appelle GAIN, qui est une cohorte à grande ampleur de filles uniquement sur le spectre pour mieux comprendre quelle est la signature de l'autisme chez les filles. Tout cela a évidemment une implication à la fin puisque si on arrive à identifier quels sont le facteurs protecteurs qui protègent les filles de développer un trouble du spectre de l'autisme, on pourrait probablement exploiter ces facteurs-là pour exploiter des facteurs de résilience chez des enfants qui sont à risque d'autisme et potentiellement pouvoir utiliser ces facteurs pour prévenir l'apparition des troubles du spectre de l'autisme alors qu'ils grandissent. [MUSIQUE] [MUSIQUE]