[MUSIQUE] Dans la leçon précédente, nous avons parlé des modèles animaux et de comment est-ce qu'ils peuvent nous aider à comprendre les altérations cérébrales qui sont associées à l'autisme. Maintenant, nous allons vraiment nous concentrer sur les altérations cérébrales chez l'humain. Pour ça, chez l'humain en général, la technique de choix pour mesurer les différences dans la structure et dans la fonction du cerveau, c'est en général l'IRM, l'imagerie par résonance magnétique. Les premières études qui ont été faites en IRM, elles s'intéressaient à un paramètre qui est un paramètre relativement simple, qui est le volume du cerveau. Là , il y a eu des études déjà dans les années 2000, par le groupe de Eric Courchesne et par le groupe de J. Piven, qui ont montré que chez des jeunes enfants qui venaient de recevoir un diagnostic d'autisme, donc des enfants entre deux et quatre ans, ce qui les caractérisait c'était vraiment une augmentation du volume cérébral total. Et là , Courchesne a vraiment posé cette idée de dire, en fait, une des caractéristiques de l'autisme c'est qu'il y a une accélération de la croissance du cerveau, qui se manifeste d'une part par un cerveau qui est plus grand, quand on le mesure entre l'âge de deux et quatre ans, mais même on pourrait aussi mesurer le périmètre crânien, donc simplement le tour de crâne en centimètres de ces enfants-là depuis la naissance, et voir que leur tête va grandir plus vite. Donc, ce qu'il a montré, c'est qu'en fait, à la naissance, ils avaient un tour de tête qui était même plus petit que des enfants qui n'avaient pas développé d'autisme, et que leur tête grandissait plus vite dans ces deux premières années de vie, et que ça c'était associé à un volume cérébral qui était plus grand à l'âge de deux ans, donc comme s'il y avait un mécanisme d'accélération de la croissance cérébrale déjà très tôt dans le développement de l'enfant. Courchesne, c'est aussi lui qui ensuite s'est intéressé à savoir qu'est-ce qui changeait dans la structure du cortex de ces enfants-là et qui a montré à l'aide d'études post-mortem, donc vraiment des études dans lesquelles on regarde au microscope la structure du cortex, que cette augmentation du volume du cerveau, elle était associée à une augmentation du nombre de neurones, et ceci en particulier dans des régions très frontales. Alors, si le groupe de Courchesne et le groupe de J. Piven ont montré déjà très précocement une augmentation du volume cérébral, ce qui est intéressant c'est que finalement, il y a aussi après beaucoup d'autres études qui ont été faites et qui n'ont pas toujours reporté exactement la même augmentation de ce volume cérébral. C'est par exemple le cas d'études qui ont été publiées par l'Université de UC Davis en Californie, qui a maintenant le projet le plus ambitieux de collecter des IRM chez des jeunes enfants d'âge scolaire, ça s'appelle le Autism Phenome Project. Ils ont des centaines et des centaines d'enfants qui ont été collectés avec des images IRM dans leurs premières années de vie, et eux n'ont pas reproduit cette augmentation du volume cérébral chez tout le monde. Par contre, ils ont mis en évidence qu'il est possible qu'il y ait un sous-groupe uniquement d'enfants qui aient une augmentation du volume cérébral, et que ce sous-groupe, ce soit le sous-groupe d'enfants qui ait finalement une apparition régressive de leurs symptômes, c'est-à -dire des enfants qui auraient développé par exemple un langage en étant tout petits, ou des compétences sociales, et qui auraient perdu ces compétences sociales, ou ce qu'on appelle une apparition régressive de l'autisme. Donc, ça c'est vraiment l'idée que finalement, il est possible que dans le spectre, il y ait des hétérogénéités, des sous-groupes qui aient un profil particulier et pas d'autres, et c'est quelque chose sur lequel on reviendra dans une des séquences suivantes. Donc, ça c'était pour vous montrer ce qui s'est passé chez des jeunes enfants. Maintenant, si on fait des analyses IRM chez des enfants plus grands, d'âge scolaire, chez des adolescents ou des adultes, il y a eu énormément d'études qui ont été publiées, et il y a finalement peu d'études qui ont montré de manière consistante un type d'implication de différentes régions cérébrales ou d'une augmentation ou d'une diminution de ces régions cérébrales. Donc, en fait, malgré le fait qu'il y a eu beaucoup d'études qui ont été publiées, il n'y a pas quelque chose de très consistant qui est sorti de toutes ces études. Et si on regarde par exemple des méta-analyses qui ont été publiées, qui mettent ensemble toutes ces études singulières, on retrouve qu'il y a finalement très peu d'altérations de la structure du cerveau qui sont caractéristiques, qui sont donc une signature de l'autisme. Donc, si on s'intéresse vraiment à la structure du cerveau, je viens de vous le dire, il y a assez peu d'études qui montrent que de manière consistante, il y a un certain type de régions qui sont altérées. Par contre, maintenant, si on regarde la fonction du cerveau, c'est beaucoup plus clair. Il y a beaucoup plus d'études qui montrent qu'il y a une altération d'un certain type de régions. Et ces régions-là , c'est vraiment les régions qui traitent l'information sociale comme on a pu le discuter dans les modules précédents. Donc, en fait, si on montre à la personne pendant qu'elle est dans l'IRM un stimuli de type social, c'est-à -dire par exemple un visage, on va voir que les régions qui traitent l'information sociale, qui traitent ce visage, vont être moins activées dans le cerveau de la personne qui est sur le spectre comparé à une personne qui a un développement typique. Donc, ce que nous dit la recherche actuellement, c'est vraiment que de manière extrêmement claire, toutes les régions qui sont des régions qui traitent l'information sociale sont finalement très différentes dans leur activation chez des personnes qui sont sur le spectre comparé à des personnes qui ne sont pas sur le spectre. Et ça, c'est probablement un effet de cascade comme on a pu le discuter plusieurs fois, du fait qu'en fait ces personnes regardent moins les stimulus sociaux depuis leur jeune âge, et donc se spécialisent moins et en fait, les régions cérébrales qui traitent cette information spécialisée vont se développer d'une manière différente. Ça c'était pour quand on s'intéresse à des régions individuelles, et maintenant quand on fait de l'imagerie fonctionnelle et aussi tout un champ qui a évolué au cours des dernières années, qui est le champ de l'analyse des réseaux cérébraux. Là , l'idée c'est de se dire que, au lieu de regarder vraiment une région en particulier, notre cerveau, il fonctionne en intégrant les informations de différentes régions à la fois, et qu'on va pouvoir analyser ça en regardant comment est-ce que ces régions se co-activent, c'est-à -dire comment est-ce qu'elles travaillent ensemble pour faire une même activité. Et souvent, cette activité qu'on demande à des personnes de faire, c'est simplement de se reposer dans le scanner. C'est ce qu'on appelle du Default mode, c'est-à -dire vraiment un moment de repos dans lequel la personne est dans le scanner, on ne lui demande rien de particulier. On ne va pas lui demander de compter, on ne va pas lui demander de regarder des visages, on va simplement lui dire, essayez de vous reposer. Et à ce moment-là , il y a différentes régions cérébrales qui s'activent ensemble, différents réseaux cérébraux, et celui qui s'active le plus pendant le moment de repos c'est ce réseau du default mode. Et ce réseau du default mode, on sait qu'il est impliqué dans la réflexion introspective, qu'est-ce qui est en train de se passer pour soi, et vraiment un lien entre ce qu'il se passe pour soi et ce qu'il se passe à l'extérieur de soi. Et ça, toutes les études ont montré que chez les personnes qui sont sur le spectre de l'autisme, il y a aussi des altérations qui sont des altérations assez particulières dans ce réseau du default mode, de manière extrêmement consistante, qui pourraient vraiment être en lien avec les difficultés de la cognition sociale de ces personnes-là . Donc, il y a vraiment tout un champ qui s'est ouvert dans l'analyse des réseaux, qui est quelque chose de relativement nouveau dans le spectre de l'autisme, et qui nous donne des indications qu'un certain type de réseaux sont particulièrement affectés. Une autre région cérébrale qui est importante pour vraiment déterminer comment est-ce qu'on passe d'un réseau à un autre, d'un état cérébral à un autre, c'est la région de l'insula. Ça c'est aussi une région qui a été montrée comme étant très altérée chez les personnes qui sont sur le spectre. Donc, une région qui va intégrer les stimulis externes et les stimulis internes, donc ce qu'on ressent, ce qu'on est en train de penser, et déterminer finalement comment est-ce qu'on passe d'un état cérébral à un autre. Et ça c'est tous les travaux de Lucina Uddin, qui nous ont montré qu'il y avait une sous-activation de cette région-là de l'insula chez les personnes qui sont sur le spectre de l'autisme, et qui pourraient par un effet de cascade agir sur une modification de la connectivité cérébrale chez des personnes qui sont sur le spectre. Donc, au total, on a vraiment un tableau dans lequel les altérations structurelles qui sont liées à l'autisme ne sont pas encore très claires, elles semblent être extrêmement hétérogènes. D'ailleurs, ça a amené le champ à proposer un certain nombre de consortiums, c'est-à -dire vraiment de groupes dans lesquels il y a plusieurs groupes de recherche qui décident de partager leurs données IRM pour qu'on puisse avoir des grandes bases de données, ce qu'on appelle du Big data, dans lequel on puisse finalement essayer de comprendre quels sont les facteurs qui sont liés à l'hétérogénéité dans le spectre et voir s'il y a des sous-groupes particuliers. Et donc, pour voir s'il y a les sous-groupes particuliers, il faut vraiment qu'il y ait des échantillons qui soient des échantillons de grande taille. Des exemples de ce type d'initiative, ça peut être par exemple l'initiative de ABIDE, qui a une version 1 dans lequel il y a eu à peu près 1 000 personnes qui ont partagé leurs IRM, et la version 2 de ABIDE où on a à peu près la même quantité d'IRM qui sont disponibles. Il y a aussi des consortiums comme par exemple ENIGMA qui vise aussi à avoir un nombre vraiment très important d'IRM qui sont collectés et rassemblés pour qu'on puisse savoir quelles sont les différences cérébrales qui sont vraiment spécifiques d'un sous-groupe de personnes qui sont sur le spectre. Vous avez vu aussi que sur le plan fonctionnel, on a pu voir que de manière beaucoup plus claire, il y a des altérations qui sont vraiment associées de manière claire à l'autisme. Mais tout ceci, ça nous donne finalement assez peu d'informations sur quels sont les mécanismes qui sont les mécanismes neurobiologiques qui sont associés à ces différences-là . Et pour ça, c'est là qu'il devient intéressant de pouvoir avoir des études histopathologiques, c'est-à -dire des études dans lesquelles on va regarder le cortex au microscope pour mieux comprendre quelle est la structure du cortex. Et ce type d'études bien évidemment, il ne peut se faire que post-mortem, donc sur un cerveau qui est un cerveau qui est découpé et fixé. Dans le domaine, il y a finalement encore assez peu d'études qui utilisent des cerveaux post-mortem pour regarder quelle est leur structure. Comme c'est quelque chose qui a été reporté par David Amaral, il y a actuellement moins de 100 cerveaux qui ont vraiment été publiés dans la littérature, et à chaque fois dans des études qui avaient au maximum dix cerveaux à la fois. Mais il y a quand même quelques études qui sont intéressantes. Par exemple, l'étude de Stoner, qui nous a montré qu'il y avait comme des patchs dans la structure corticale, qui ont une structure très différente comme s'il y avait un espèce d'îlots qui avaient mal migré dans les couches du cortex, et qui restaient comme ça au milieu des couches du cortex, et qui pouvait expliquer pourquoi est-ce que les différentes régions corticales n'arrivent plus à fonctionner entre elles, et éventuellement expliquer l'augmentation du risque d'épilepsie. Donc, ça c'est vraiment quelque chose qui nous montre que c'est comme si à l'intérieur du cortex, il y avait des îlots qui avaient mal migré donc très tôt dans le développement in utero, et que ceci pouvait expliquer un certain nombre des altérations qui sont en lien avec l'autisme. Et de manière assez intéressante, il y a une autre étude qui a été publiée dans Nature, et qui a montré que ce type de patchs d'îlots corticaux, on pouvait le reproduire dans des modèles de souris quand on induisait une infection pendant la grossesse. Donc, ils ont montré que l'inflammation qui est associée à l'infection pendant la grossesse fait en sorte qu'il y a un problème dans la migration des neurones, et que ceci se traduit par des patchs, des îlots qui restent à l'intérieur du cortex et qui probablement perturbent l'activité du cortex. De manière aussi assez intéressante, ils ont montré que la quantité et la taille de ces îlots étaient directement corrélés aux capacités de la souris à interagir sur le plan social avec ses congénères. Donc, il y a vraiment quelque chose qui pourrait amener un mécanisme qui serait en lien avec l'émergence des symptômes d'autisme. Donc, vous voyez que ce type d'études post-mortem, elle peut aussi nous donner des indications qui sont des indications assez intéressantes pour comprendre quels sont les mécanismes associés à l'émergence de l'autisme. Mais encore une fois, comme toutes ces études, elles sont finalement publiées sur des échantillons qui sont des échantillons relativement petits. Il est encore difficile de savoir si c'est vraiment quelque chose qui est caractéristique juste des personnes qui faisaient partie de cet échantillon ou si c'est une caractéristique qui touche toutes les personnes qui sont sur le spectre. Donc, de la même manière que dans l'imagerie cérébrale, il y a maintenant des consortiums open access qui proposent de distribuer vraiment des grandes bases de données d'IRM qui ont été collectées par différents groupes de recherche, sur le plan aussi des études post-mortem, il y a maintenant toute une initiative qui a été lancée par l'Université de UC Davis qui s'appelle Autism Brain Net, qui vise à collecter un maximum de cerveaux d'enfants qui seraient décédés ou d'adultes qui seraient décédés, pour pouvoir regarder sur le plan de la structure de leur cerveau est-ce qu'il y a des différences qu'on arrive à identifier. Donc, vous voyez que finalement, le champ de la recherche en autisme dans le domaine de la neuro-imagerie d'une part, ou dans le domaine d'identifier des altérations sur des cerveaux post-mortem, il est progressivement en train de s'organiser pour aller vers des consortiums qui soient des consortiums larges, qui recoupent un large nombre de données, vraiment le champ de ce qu'on appelle le Big data, puisque l'idée ça va être de pouvoir regarder quels sont les facteurs qui sont liés à l'hétérogénéité à l'intérieur du spectre, est-ce qu'il y a des facteurs spécifiques qu'on retrouve chez toutes les personnes qui sont sur le spectre, ou est-ce qu'il y a au contraire des sous-groupes différents qui pourraient nous donner aussi des indications sur les mécanismes biologiques qui sont associés à ces sous-groupes et éventuellement la manière de proposer un traitement ciblé pour ces sous-groupes uniquement. Et ça, c'est vraiment le concept de l'hétérogénéité, qui est aussi un concept sur lequel on reviendra dans une des leçons suivantes. [MUSIQUE] [MUSIQUE]