[MUSIQUE] [MUSIQUE] Bonjour, cette séance est consacrée au pétrole, un exemple de matière première dont la volatilité du prix a des conséquences majeures pour les pays du sud. [BRUIT] Tout d'abord, nous allons découvrir que le pétrole est une matière première très financiarisée. [BRUIT] Les médias d'information économique font souvent référence au prix du baril de pétrole brut. Le baril, c'était les tonneaux de 159 litres dans lesquels on transportait le pétrole au 19e siècle. Aujourd'hui, le pétrole ne circule plus dans les barils, mais dans de gigantesques oléoducs qui le conduisent du point d'extraction au point de raffinage. Le pétrole raffiné est ensuite acheminé en oléoduc ou en camion ou en bateau ou en wagon-citerne, dans les points de consommation, les usines, les pompes à essence, etc. La formation du prix du pétrole, qui est si importante pour le dévelopement industriel récent, n'a au fond jamais suivi une logique de marché dans le sens où les prix du pétrole n'ont jamais été déterminés par l'ajustement de l'offre et de la demande. Pour simplifier, on peut dire que, jusque dans les années 1950, les grands producteurs américains organisés en un quasi cartel, fixaient les prix au moyen d'une entente en partie illicite. A partir de 1950, le rendement des grands puits américains découverts au cours des années 1930 commence à décliner, car le pétrole facile à extraire a déjà été consommé. La production intérieure américaine ne suffit plus à la consommation et du coup des ressources immenses sont découvertes au Moyen-Orient, de sorte qu'en 1960, l'Iran, l'Irak, le Koweit, l'Arabie saoudite et le Vénézuela fondent l'OPEP, l'Organisation des pays exportateurs de pétrole. [BRUIT] L'OPEP va faire référence à des formules de calcul de prix fixes ou prévisibles jusque dans les années 2000 pour le pétrole. A partir du début du siècle, elle va cesser d'influencer directement les prix, tout en gardant bien sûr une influence déterminante sur les quantités extraites. Du coup les marchés financiers vont avoir beaucoup plus d'opportunités pour proposer aux industriels des produits d'assurance et de couverture du risque d'évolution du prix du pétrole, comme ce fut le cas dans les années 70 pour les taux de change après l'abandon des accords de Bretton Woods. C'est ce qu'on appelle : la financiarisation du marché du pétrole. Quelques exemples de ces produits financiers. [BRUIT] Partons d'une livraison de pétrole raffiné par un cargo russe. Ce pétrole a une valeur sur le marché dite "spot", c'est à dire aujourd'hui. S'il était vendu aujourd'hui, il vaudrait à peu près 45 $ le baril. Mais il n'est pas vendu aujourd'hui car il est en route pour Rotterdam, où il arrivera dans trois semaines. Le client européen fixe dès le départ du cargo le prix qu'il paiera à réception. Il s'agit d'un prix à terme, éventuellement différent du prix spot. Les clients industriels vont chercher à couvrir leurs achats sur la durée la plus longue possible, en utilisant des contrats dits optionnels, qui sont des paris sur les cours futurs. Ces contrats deviennent des produits financiers en eux-mêmes, échangeables sur les marchés que les investisseurs financiers achètent et revendent pour en tirer du profit. Mais, l'évolution du prix du pétrole à terme exerce elle-même une influence rétroactive sur le prix spot, le prix aujourd'hui. Sans quoi, des opportunités d'arbitrage pourraient apparaitre, que les investisseurs s'empresseraient d'exploiter à leurs profits. De sorte que désormais le prix spot du pétrole est en grande partie déterminé par référence au prix des actifs financiers de livraison à terme du pétrole. Le volume des transactions financières sur le pétrole a explosé et aujourd'hui il est d'environ trente fois le volume des transactions physiques. En outre, ce marché est largement dominé par un petit groupe de grandes banques d'affaires nord-américaines. Mais l'activité d'achat et de vente de produits financiers sur le pétrole est l'une des activités principales des sociétés pétrolières elles-mêmes. D'importance égale aujourd'hui à celle de la production, de l'exploration ou du raffinage. [BRUIT] [BRUIT] En 2014, l'Arabie saoudite a soudainement décidé de cesser de restreindre la quantité de pétrole qu'elle mettrait sur le marché. Dans un contexte d'instabilité générale, ce mouvement a déclenché une très forte chute du prix de référence du pétrole qui est passé pour le Brent de 120 $ le baril au début de 2014, à 45 $ à l'été. Le prix est légèrement remonté depuis lors, mais se situe toujours aujourd'hui dans cette zone de 45 $. Cette forte chute n'avait absolument pas été anticipée. La recherche économique, historiquement, a accordé peu d'attention au prix de l'énergie en raison de l'usage erroné de ce qu'on appelle en anglais le théorème du "cost share". Celui-ci prétend que, puisqu'en moyenne, le prix de l'énergie représente 8 % du prix total d'un produit fini dans les pays du nord, la contribution de l'énergie au PIB doit être de 8 % environ, et par conséquent, doit être négligeable. Pour le dire plus précisement, ce théorème prétend que l'élasticité du PIB par rapport à la consommation d'énergie doit toujours être égale à la part de l'énergie dans le PIB, à savoir, 8-10 %. Or, il s'agit d'une lourde erreur de raisonnement, car sans énergie, il n'y a tout simplement pas de PIB. Au contraire, la croissance du PIB est largement imputable à la croissance de la dissipation d'énergie par une économie. La référence en matière d'analyse des marchés de l'énergie et notamment du pétrole est l'Agence internationale de l'énergie. Créée en 1974, à la suite du premier choc pétrolier, l'AIE est une agence autonome de l'OCDE. Elle a son siège à Paris et elle compte 29 pays membres. Tous les pays membres de l'OCDE sauf cinq d'entre-eux : le Chili, l'Islande, Israël, le Mexique et la Slovénie. Malgré l'expertise de ses équipes, l'AIE n'a jamais réussi depuis les années 2000 à prévoir le cours du pétrole correctement, comme l'indique le graphique que vous voyez apparaitre. Cela illustre notre point précédent. A partir des années 2000, le prix du pétrole est déterminé essentiellement par les marchés financiers que l'AIE n'a pas pour mandat d'analyser. Elle se concentre sur la connaissance du pétrole physique, ses réserves, sa production, etc. La volatilité du prix du pétrole n'est importante que depuis le premier choc pétrolier de 1973. Auparavant, le prix du pétrole est resté très stable pendant presque tout le 20e siècle, puisqu'il était fixé en réalité au terme d'une négociation entre grandes firmes pétrolières. On peut observer aussi que le prix que nous connaissons depuis 2014 semble très bas à l'échelle des deux dernières décennies, mais qu'il est relativement élevé si on considère la moyenne historique des prix sur une longue durée. Enfin, la volatilité que l'on observe depuis le premier choc pétrolier de 1973 est très importante. Les mathématiciens français, Nicolas Bouleau et Christophe Chorro ont étudié spécifiquement ce phénomène et ont montré qu'une volatilité élevée des prix liée par exemple à la financiarisation du marché, peut rendre impossible toute prévision des cours. Mathématiquement, cela provient du fait que toute semi-martingale positive ayant une volatilité suffisamment élevée, tend nécessairement presque sûrement vers zéro. On peut résumer ce résultat en disant que la financiarisation du prix du pétrole détruit l'information du signal pris dans l'économie en particulier pour une denrée aussi fondamentale que le pétrole. Ceci est lourd de conséquences, puisque sans signal pris pour orienter leurs décisons, les chefs d'entreprise et plus largement, tous les décideurs de l'économie réelle, sont dans l'incapacité de prendre des décisions, en particulier sur le long terme. De plus, les variations rapides du prix du pétrole ont des conséquences lourdes, immédiates, sur des pays entiers. Le secteur de la production du pétrole de schiste américain a été touché de plein fouet par la chute des cours avec un arrêt quasi total de la production, puisque les coûts unitaires de production du schiste sont très élevés, environ 35 $ par baril, à comparer à un coût de quelques dollars par baril pour le pétrole conventionnel d'Arabie saoudite. Au niveau des pays, les impacts de cette volatilité du cours du pétrole ont été très importants. La difficulté de prévoir le cours du baril est majeure pour les nombreux pays du Sud qui dépendent du pétrole, soit comme importateurs, soit comme exportateurs. La fragilité qui en découle génère également des mouvements de capitaux importants qui sont, certes, des opportunités de profit pour les investisseurs, mais aussi des facteurs d'instabilité pour l'ensemble de la sphère financière. [BRUIT] Examinons à présent l'impact des variations du prix du pétrole sur les pays du Sud importateurs. Le pétrole représente presque 40 % des importations de l'Inde 30 % de celles du Sénégal, du Mali et de l'Ukraine, 20 % de celles de l'Ouganda, de l'Afrique du sud, du Chili, de l'Indonésie, des Philippines et de la Chine. Ces pays certes ont bénéficié d'une amélioration de leur balance commerciale en 2014, grâce à la chute du cours et d'une réduction de leurs besoins en devises fortes. Certains d'entre-eux en ont profité, d'une manière vertueuse, pour supprimer les subventions à l'usage des carburants d'origine pétrolière pour les entreprises et les ménages. C'est le cas de l'Indonésie en particulier. Dans certains contextes macro-économiques, comme celui de l'Egypte, qui connait une très forte inflation et une économie déjà ralentie par de graves pénuries, c'est beaucoup plus difficile à faire. Le coût pour l'Etat égyptien des subventions à l'usage des combustibles fossiles était de plus de 10 % du PIB en 2013. La croissance de l'économie indienne, quant à elle, a été fortement dopée par la chute des prix du pétrole, et cet effet semble s'être prolongé sur l'année 2015. [BRUIT] A présent, regardons l'impact des variations du prix du pétrole sur les pays du Sud exportateurs. Les pays exportateurs de pétrole sont souvent extrêmement dépendants de la ressource pour leur balance commerciale. C'est-à -dire que le pétrole représente, pour la plupart d'entre eux, plus de 60 % de leurs exportations. C'est tout le problème d'un modèle de développement global centré sur les industries fossiles. Ces économies ont été orientées bien plus vers l'exportation de la ressource que vers le développement d'une société autonome. Ainsi, en est-il de la plupart des économies du Moyen-Orient, de la Russie ou du Nigéria. Ces pays ont donc été touchés de plein fouet par la chute du cours avec des conséquences différentes pour le Moyen-Orient, qui a de quoi voir venir, et d'autres pays qui eux ont moins de réserves en devises. On peut noter néanmoins que l'Arabie saoudite a réalisé le premier emprunt de son histoire sur les marchés financiers et qu'elle a lancé le processus d'appel aux capitaux internationaux pour sa société pétrolière nationale, Aramco, qui devra à cette occasion publier le chiffre de ses réserves. Le PIB de la plupart des pays exportateurs s'est fortement contracté à partir de 2014, 2015. La Russie, par exemple, a connu une contraction majeure. La baisse du pétrole a dévasté le Vénézuela directement par un manque à gagner de près de 80 milliards $, une chute de 8 % de son PIB, la plus violente du monde. Et indirectment, parce que les investisseurs internationaux ont cessé de lui prêter. L'Etat vénézuélien a répondu en imprimant de la monnaie pour faire face à ses besoins immédiats, entraînant une hyper inflation de presque 500 %. La privation de devises a entrainé des pénuries de produits alimentaires et sanitaires de première nécessité qui illustrent, s'il en était besoin, combien les économies axées sur la rente pétrolière sont vulnérables. La crise vénézuélienne devrait nous inviter à construire rapidement, particulièrement au sud, des modèles de développement économique peu ou moins dépendants des énergies fossiles. En effet, la volatilité du prix du pétrole ne doit pas nous faire oublier la réalité physique. Le rendement des puits de pétrole américains a fortement décliné à partir de 1950. Il arrivera mécaniquement la même chose aux puits d'Arabie saoudite pendant la première moitié de ce siècle. Les autres réserves qui existent sont beaucoup plus difficiles d'accès. Donc, fournissent un carburant moins rentable énergétiquement. Indépendamment de toute considération de prix, une énergie dont le rendement énergétique est nul ou négatif ne peut pas conduire à une croissance économique. Le pétrole se renchérira donc nécessairement et drastiquement et s'épuisera au cours de ce siècle, et ce pour des raisons géologiques, même en l'absence de taxe carbone ou d'interdiction d'extraction pour des raisons liées au climat. Il est donc impératif de réduire rapidement la dépendance des pays du Sud dont la crise de 2014 a montré qu'elle pouvait coûter si cher. Et de construire le développement des économies émergentes en dehors de cette ressource polluante. [BRUIT] [AUDIO_VIDE]