[MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] >> Dans le meurtre de Meredith Kercher, une des difficultés principales vient du fait que sur le crochet du soutien-gorge et sur le couteau, seules des faibles quantités d'ADN ont été détectées. Vous le savez, avoir du matériel génétique en faible quantité ne veut pas dire que les analyses sont impossibles par principe. Mais c'est plus difficile, et comme mentionné par Tacha précédemment, on peut observer des phénomènes stochastiques qu'on n'observe pas habituellement quand on est face à de plus grandes quantités d'ADN. Typiquement, on observera plus de variations que lorsqu'on a de l'ADN en quantité et de qualité optimale. L'ADN sur le crochet du soutien-gorge était en quantité infime. L'expert ayant fait l'analyse a confirmé qu'à cause de la petite quantité d'ADN retrouvée, des effets stochastiques peuvent intervenir. Il faut noter que dans ce cas, il est préférable de faire l'analyse une deuxième fois, mais cela n'a pas été le cas dans cette affaire. Lorsque cela est possible, faire un replica, c'est-à-dire analyser l'extrait une deuxième fois, peut être très utile. Cela peut aider dans l'interprétation, puisque les phénomènes de drop-in ou de drop-out par exemple ne sont pas reproductibles. Les experts de la défense ont déclaré dans cette affaire, l'affaire qui nous occupe, que la police n'avait pas suivi le protocole préconisé et qu'ils auraient été biaisés vis-à-vis du suspect. L'information sur la quantité d'ADN a seulement fait surface lorsque, sur l'ordre du juge, les experts ont dû fournir à la défense les données brutes, c'est-à-dire les données originales, les électrophorégrammes. Un autre problème a été celui de la pollution. On dit qu'il y a pollution de la trace ADN lorsqu'une trace est mélangée avec d'autres matériaux génétiques. On peut alors observer des pics additionnels. Cette pollution peut arriver pendant qu'on prélève la trace ou les pièces à conviction, ou encore pendant l'analyse au laboratoire. La pollution implique que plusieurs sources contribuent au matériel ADN retrouvé. C'est donc bien différent du drop-in dont Tacha nous a parlé tout à l'heure. Ici, à cause de la quantité limitée d'ADN retrouvé sur les objets saisis dans cette affaire, l'affaire Knox-Sollecito, et aussi à cause de la présence de protagonistes sur les lieux, il était essentiel de prendre des mesures appropriées pour éviter toute pollution. Il est possible que la police ait pris ces mesures, mais elles n'étaient pas clairement documentées. Cet élément a permis à la défense d'affirmer qu'il était possible qu'il y ait eu de la pollution. Selon le jugement, certains policiers ont déclaré avoir mis des gants sur la scène du crime, mais ont admis qu'ils ne les avaient pas changés avant de toucher au nouvel objet. Un expert révéla même qu'il y avait 12 personnes dans la chambre de la victime pendant la première intervention de la police scientifique. Certains étaient allés d'une pièce à l'autre sans changer leurs couvre-chaussures. Dans de telles circonstances, il y avait des doutes quant aux conditions dans lesquelles s'étaient déroulés le prélèvement et l'analyse de ces ADN retrouvés en faible quantité. Un autre élément préoccupant était que le crochet du soutien-gorge que la victime portait apparemment au moment des faits avait été prélevé sur la scène du crime six semaines après les faits et non pendant le premier état des lieux le lendemain du meurtre. De plus, sur le document pris six semaines après les faits, c'est-à-dire lorsque la police est retournée sur les lieux, on pouvait voir que le crohet du soutien-gorge était un mètre plus loin que sur la photo originale prise durant le premier état des lieux. L'expert forensique à qui l'on fit remarquer cet élément déclara qu'elle ne pouvait pas expliquer comment le soutien-gorge avait bougé. Cet aspect a fait l'objet de sévères critiques de la part de la Cour suprême italienne dans son jugement final. Le problème concernant la décision de savoir quels pics représentaient les allèles et quels pics caractérisaient des artefacts ont également été discutés au procès. Les aspects concernant l'accréditation et l'utilisation de standards internationaux ont également étés discutés et critiqués au procès. Mais notre principale inquiétude est que les experts n'ont pas utilisé une approche probabiliste pour évaluer la valeur des profils ADN et n'ont pas considéré l'impact de possibles artefacts. Ainsi, par exemple, ils n'ont pas considéré les possibilités de drop-ins et de non drop-ins, de drop-outs et de non drop-outs, la présence possible de stutters élevés et celle de vrais allèles. Tout ceci est pour le moins problématique. >> Les conclusions concernant l'analyse de la composante masculine retrouvée sur le crochet du soutien-gorge étaient les suivantes. L'analyse du chromosome Y a permis de déterminer l'haplotype Y de l'ADN extrait de la trace B. Ces résultats confirment aussi la présence d'ADN appartenant à Raffaele Sollecito dans la trace analysée. En effet, l'haplotype Y obtenu est le même que celui de Raffaele Sollecito. Même si on pourrait argumenter que le terme confirme exprime un degré de croyance, cette conclusion suggère clairement que l'ADN est celui de Sollecito. Cela va donc à l'encontre des directives du guide ENFSI. De plus, il n'y a pas d'alternative claire, et il ne semble pas que les scientifiques se prononcent sur la trace en termes de probabilité. Mais comme soulignent par exemple les articles dans les journaux juridiques italiens, le verdict rendu par le tribunal montre que ce dernier était surtout concerné par la possible pollution des traces. Le fait que les preuves aient pu être compromises a joué un rôle déterminant dans la décision de ne pas tenir compte de l'ADN. Le verdict a également provoqué un changement dans la jurisprudence. Chaque juge doit maintenant vérifier que la science ait correctement été appliquée. >> En effet, à ce sujet, nous avons justement interrogé le professeur Luca Luparia de la faculté de droit de l'université Roma Tre. Notons qu'il est également le président de la section italienne de l'Innocence Project. Il va nous en dire également deux mots dans son interview. Professeur Luparia, bonjour et bienvenue ici parmi nous. Vous êtes professeur de procédure pénale à l'université italienne de Roma Tre à Rome, et vous êtes également le président de la section italienne du projet nommé Innocence, très connu aux États-Unis sous le nom de Innocence Project. Auriez-vous l'amabilité de nous expliquer le but de ce projet et pouquoi cette initiative en Italie? >> Le Italy Innocence Project est un projet né en 2013 après des années de travail épuisant et déterminé avec certains des plus importants centres juridiques américains parmi lesquels l'Ohio Innocence Project et le Rosenthal Institute for Justice. Comme nous le savons, la réalité de Innocence Project a eu origine aux États-Unis d'Amérique et ce n'est que dans les années plus récentes qu'il a commencé à se répandre aussi en Europe, Canada, Afrique du sud, Australie. Le Italy Innocence Project dont le siège est auprès de l'université de Rome III représente le premier projet de ce type en Italie, et en janvier 2014 a été officiellement accepté au sein de l'organisation internationale Innocence Network de New York. Le but principal du projet est d'étudier et approfondir le thème de l'erreur judiciaire et le remède disponible dans la phase de l'exécution pénale, avec une particulière attention à la perspective comparative, considérant le contexte international dans lequel il prend racine. Le Innocence Project de l'Italie est né comme un projet universitaire, et c'est pourquoi il met fortement en valeur la participation des étudiants qui trouvent aussi une occasion de travailler sur des cas réels nationaux et étrangers ayant pour objet le thème de la wrongful conviction. Le projet assiste aussi les avocats italiens désirant obtenir un support scientifique et académique au cours des procédures de révision. La révision représente dans le système judiciaire italien l'instrument qui permet de renverser la décision pénale quand il subsiste des conditions de lois déterminées, par exemple une nouvelle preuve. C'est dans cette perspective que prend un rôle sans aucun doute central dans nos études et nos activités la preuve scientifique, avec une référence particulière à l'ADN et à tous les problèmes liés à cet élément probatoire, tout particulier. >> Merci beaucoup. J'ai une deuxième question, monsieur le professeur. Permettez-nous maintenant d'approcher peut-être la pratique italienne. Par exemple dans les affaires très médiatiques, par exemple celui de l'assassinat de la jeune étudiante Meredith Kercher qui a lieu à Perugia en Italie au mois de novembre 2007, la preuve dite scientifique a joué un rôle très important mais également critiqué dans cette enquête. À l'heure actuelle, quel est le statut de la preuve scientifique, notamment la preuve génétique ou preuve dite par l'ADN, dans les enquêtes et dans les jugements des tribunaux italiens? Y a-t-il une discussion autour de ce moyen de preuve ? >> En général, on pourrait croire que l'utilisation que nous faisons de l'ADN dans les tribunaux soit en Italie une pratique bien sédimentée et bien réglée. En réalité, malheureusement encore aujourd'hui, on parle très rarement de thèmes techniques, même quand on introduit une preuve de nature scientifique qu'est celle de l'ADN. Ni le parquet ni la défense ne sont habituellement préparés à décider de l'admissibilité de la preuve génétique, ni à mettre en discussion les protocoles de collecte, d'analyse, et d'évaluation dotés des experts des parties ou de la police judiciaire. Et pourtant, l'expérience surtout internationale, nous a appris que si d'un côté la génétique est fondamentalement la seule science légale accréditée au niveau mondial, nombreuses sont les embûches qui se cachent derrière son utilisation dans les tribunaux, surtout dans son rôle de preuve de culpabilité. Il suffit de penser aux problèmes liés aux traces génétiques fortement détériorées ou mixtes, ou pauvres d'un point de vue de leur quantité, sans parler des risques énormes de contamination des spécimens, tant sur la scène de crime qu'ensuite dans le laboratoire d'analyse. En substance, la perception est que le magistrat et les avocats italiens ne sont pas encore équipés pour faire face avec assurance aux défis que les techniques et les instruments scientifiques les plus récents présentent aux juristes, surtout quand il s'agit de prendre conscience du fait que malheureusement, les violations des preuves scientifiques n'ont plus été pourvues d'une appréciation subjective de la part de l'expert appelé à supporter les parties aux procès. >> Merci beaucoup, Monsieur le Professeur. Permettez-nous une troisième et dernière question, liée essentiellement à un cas pratique. C'est dans le jugement final de la cour de cassation italienne qui a annulé la condamnation d'Amanda Knox et de Raffaele Sollecito dans l'affaire de l'assassinat de la jeune étudiante Meredith Kercher. Le rôle central du débat est lié à des questions d'admissibilité d'interprétation des traces dites ADN. Pourriez-vous s'il vous plaît nous en parler ? >> Le cas de Meredith Kercher présente des aspects particulièrement importants du point de vue des critères d'utilisation et d'évaluation de la preuve scientifique de l'ADN. En effet, c'est bien en raison de l'inaptitude des spécimens génétiques à former une preuve de culpabilité que la cassation italienne, en mars 2015, a finalement mis un terme à la question, en annulant son renvoi, la condamnation des deux prévenus, considérant le résultat de l'enquête pour peu dire faible, et que le parquet ne s'était pas montré capable de verser des preuves, capable de démontrer, au-delà de tout doute raisonnable, la culpabilité d'Amanda Knox et Raffaele Sollecito. Deux traces d'ADN retrouvées respectivement sur le crochet du soutien-gorge de la victime, qui se trouvait non loin du corps de celle-ci, et sur le couteau saisi dans l'habitation de Raffaele Sollecito, ont eu une position centrale dans le procès. Sous le crochet du soutien-gorge, selon les enquêteurs, il y aurait eu l'ADN de Sollecito, tandis que sur le couteau, on aurait trouvé celui d'Amanda Knox sur le manche et celui de la victime sur la lame. En réalité, au cours du long procès, il a été constaté que le fragment du soutien-gorge fut produit pas avant 46 jours après la date de sa prise en photo sur la scène du crime, et ce n'est pas tout, l'objet avait été déplacé à maintes reprises. Pour ce qui en est du spécimen génétique sur le couteau, il n'a jamais été quantifié, et donc la quantité de matériel disponible n'a jamais pu être établie. Finalement, les analyses génétiques sur ce qui fut détecté sur cet objet n'ont jamais été répétées par les enquêteurs et d'autant plus, elles n'auraient pu l'être si on considère l'exécuté du spécimen. Probablement, les juristes qui, dans les différents moments, ont travaillé sur l'affaire s'attendaient à ce que la preuve scientifique fusse déterminante ou même résolutive. Un résultat qu'en réalité elle n'est pas capable de produire, surtout quand elle repose sur des traces exiguës, mal collectées et mal évaluées. Le cas représente une mise en garde, un avertissement sur les risques de surestimation de la méthode génétique. En effet, le test de l'ADN visant à attribuer pour le prévenu le matériel biologique détecté sur la scène du crime, est souvent capable d'offrir un élément non pas tellement sur la commission du crime quand un simple fait de caractère secondaire, par exemple la présence de prévenus sur le locus commissi delicti, sinon une circonstance sans aucune incidence, comme dans le cas du rapport de connaissance déjà constaté entre victime et prévenu. Même dans la meilleure des hypothèses, la preuve de l'ADN reste une source de nature purement indiciaire. Cela ne peut que nous faire comprendre que cette preuve ne peut aucunement représenter le billet sur lequel va reposer la constatation de culpabilité. Différente est la question de la preuve de l'innocence. Dans ce cas-là, l'ADN a une force très différente. >> Merci beaucoup, Monsieur le Professeur Lupária. Merci d'être venu jusqu'à Lausanne pour cette interview, merci beaucoup. >> Merci à vous. >> Nous avons vu qu'il est important de vérifier que les mélanges ADN et les situations impliquant de petites quantités d'ADN doivent être interprétés avec des méthodes statistiques appropriées. Cela doit se faire en se déterminant sur la probabilité des résultats génétiques, en considérant au moins deux propositions, comme recommandé par l'ENFSI ou l'ISFG. Nous avons également vu que le respect des principes d'interprétation, que nous avons vus lors de la première de ce cours, permet aux scientifiques de traiter les problématiques de façon logique. Vous savez que lorsqu'il y a de faibles quantités d'ADN, pour un ou plusieurs contributeurs, il faut tenir compte des phénomènes stochastiques. Dans la deuxième partie de cette semaine, nous revisiterons la question de la pollution, en relation avec l'ADN retrouvé en faible quantité. Concluons cette vidéo par notre message additionnel à retenir. Premièrement, vous avez vu comment on procède à une analyse ADN et vous avez compris ce qu'est un profil ADN. Vous savez que s'il y a une correspondance, un match, entre deux profils ADN, cela ne veut pas dire que la personne est la source de cet ADN retrouvé. On doit se déterminer sur la valeur de cette correspondance en utilisant une approche probabiliste. Contrairement à ce qui a été dit pendant l'affaire Knox, Sollecito, on ne peut pas dire que l'ADN d'une personne donnée a été retrouvé sur la scène du crime. Seul le tribunal peut se prononcer sur cet aspect, en utilisant les résultats ADN, mais aussi les autres éléments circonstanciels du cas. Deuxièmement, vous êtes capable de faire la différence entre d'une part, des résultats ADN obtenus dans des conditions idéales, et d'autre part, dans des conditions plus difficiles, lorsqu'on pousse par exemple la sensibilité des techniques à leurs limites. Vous savez qu'avec de faibles quantités ADN, low template, il y a des artefacts du type drop-in, drop-out, stutters, plus élevés qu'habituellement. Et troisièmement, vous savez aussi que les mélanges d'ADN sont plus difficiles à évaluer que les traces simples. On doit utiliser des méthodes spécifiques qui ont été développées pour gérer ces aspects. Nous vous avons alerté sur les dangers de pollution du transfert secondaire, voire même tertiaire, avec les traces, surtout lorsqu'elles sont en faible quantité. Nous explorerons cet aspect en détail dans la partie B de cette session. Tout cela vous amènera à comprendre pleinement l'importance de prendre des mesures nécessaires pour éviter toute pollution de la trace. Nous vous présenterons également pourquoi et comment on peut tenir compte de la probabilité d'erreur dans nos évaluations. Merci de votre attention. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] [AUDIO_VIDE] [AUDIO_VIDE] [AUDIO_VIDE] [AUDIO_VIDE] [AUDIO_VIDE]