[MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] >> Bonjour. Comme vous l'a dit Tacha en introduction, Alex et moi allons vous présenter un cas qui a défrayé la chronique. Il s'agit du meurtre d'une étudiante anglaise qui faisait un échange avec l'université de Perugia en Italie. C'est une affaire complexe que nous ne pouvons pas étudier en détail ici, mais nous aimerions quand même discuter de quelques éléments importants dans cette affaire. En particulier, nous aimerions nous focaliser sur la valeur de l'ADN retrouvé en très faible quantité. L'analyse de faibles quantités d'ADN mène souvent à des résultats complexes. Il n'est pas rare par exemple d'avoir des mélanges d'ADN et donc un profil composé de l'ADN de plusieurs individus. Les mélanges d'ADN peuvent s'avérer complexes et requièrent une attention toute particulière. Comme mentionné dans le Rapport américain du Conseil du Président sur la sciente et la technologie sur les sciences forensiques, un rapport appelé PCAST, il est crucial de reconnaître plusieurs points, essentiellement que la différence fondamentale entre l'analyse d'ADN des mélanges complexes et l'analyse de traces ADN simples ou de mélanges faciles ne réside pas dans l'analyse au laboratoire mais dans l'interprétation du profil ADN qui en résulte. Il faut que les méthodes d'interprétation soient adéquates. Avant d'aborder spécifiquement l'affaire qui nous intéresse maintenant, l'affaire Amanda Knox et Raffaele Sollecito, j'aimerais discuter brièvement de ce qu'on pense être la solution miracle, c'est-à -dire la preuve génétique par l'ADN. Souvent, le grand public, mais aussi les tribunaux, pensent que lorsque les profils ADN des traces retrouvées sur la scène du crime sont indifférenciables du profil de la personne suspectée, alors cette correspondance est la preuve tangible de la culpabilité de la personne ou que cette personne a commis une action donnée, ou du moins que l'ADN provient de cette personne. Cette constatation est valable autant pour les concordances complètes que pour des correspondances partielles des profils génétiques. >> Mais Franco, n'es-tu pas en train de couper les cheveux en quatre? Une correspondance ADN de nos jours est certainement suffisante pour démontrer que l'ADN provient de la personne, non? En effet, quand on a une correspondance, c'est un résultat extrêmement puissant, et en même temps, l'ADN est unique. Bon, soyons sérieux. Ce n'est pas le cas. Les choses sont plus complexes qu'on ne pourrait le croire à première vue. >> Tu as raison Alex, bien sûr. Mais malheureusement, comme tu le sais, beaucoup de personnes pensent que si on a une correspondance, alors la messe est dite. Mais non, pas du tout. D'abord, qu'est-ce qu'on veut dire quand on dit qu'il y a une correspondance ou un match entre les caractéristiques du profil ADN retrouvé et celui d'un personne connue, c'est-à -dire par exemple le suspect ou la victime? Ne pas être en mesure d'exclure la personne comme étant la source de l'ADN ne veut pas dire que c'est très probablement cette personne qui est la source de cette trace, même lorsque la probabilité de la trace, sachant qu'elle provient de quelqu'un d'autre, est très petite. On peut citer par exemple le cas de monsieur Raymond Easton en Angleterre. Cet homme atteint de la maladie de Parkinson a été accusé à tort de cambriolage car son profil ADN correspondait à celui de la trace retrouvée sur les lieux. La probabilité d'observer les profils de la trace sachant qu'une autre personne était à son origine était très petite, de l'ordre de 1 sur 37 millions. D'où l'importance de suivre les principes d'interprétation décrits précédemment, et figurant dans les directives de l'ENFSI. On doit être en mesure de faire une différence nette entre la probabilité des résultats et la probabilité des propositions. Nous aurons l'occasion de revisiter cet aspect essentiel durant les prochaines semaines, mais rappelez-vous bien qu'une correspondance ADN ne signifie pas que la personne est la source de cet ADN. Même s'il est très rare d'observer le même profil ADN chez deux personnes différentes, on sait que les évènements rares arrivent de temps en temps. Si on prend par exemple le Loto, on sait que la probabilité de gagner deux fois au Loto est très faible. C'est donc un évènement très rare, mais pourtant, cela arrive. >> Oui Franco, c'est vrai, les évènements rares arrivent. Et pourtant, beaucoup de gens oublient. Ils pensent de façon erronée que lorsque la probabilité d'observer le profil ADN est de 1 sur 1 milliard ou de 1 sur 1 million, si l'ADN est celui d'une personne autre que monsieur Dupont, alors c'est un résultat si improbable que l'ADN doit être celui de monsieur Dupont. Avec des très faibles probabilités, penser autrement serait couper les cheveux en quatre. Mais ce n'est pas le cas. D'abord parce que comme on l'a dit, les évènements rares arrivent, Par exemple, certaines personnes se font foudroyer deux fois. D'autres personnes, plus chanceuses, gagnent deux fois au Loto. C'est le cas de monsieur McDermott en Angleterre. Il a gagné la lotterie, cinq chiffres plus le bonus, deux fois. Les chances que cela arrivent étaient de 1 contre 5 400 milliards. Mais ça arrive. 1 contre 5 400 milliards, c'est vraiment un chiffre minuscule. Avec l'ADN, à cause des possibles dépendances entre loci, c'est-à -dire entre les marqueurs génétiques, on considère que le modèle génétique qu'on utilise pour se déterminer sur les probabilités est robuste pour des chiffres allant jusqu'à une valeur de probabilité de 1 sur 1 milliard, c'est-à -dire 10 à la puissance 9. Ici, la probabilité de gagner à la loterie deux fois a été déterminée comme plus faible que 1 sur 10 à la puissance 12. C'est 1 000 fois plus petit, et on sait pourtant que cela est arrivé. Ce qu'on devrait avoir à l'esprit c'est que la probabilité que l'ADN soit celui de la personne dépend non seulement du résultat ADN mais également des autres éléments du cas. Le cas de monsieur Raymond Easton dont Franco vous a parlé est l'exemple parfait. On peut aussi citer le cas où l'on trouve sur une scène de crime un ADN correspondant à une personne qui était en prison au moment des faits. Toutefois, dans ce cas, heureusement, on ne peut pas avoir un meilleur alibi. Nous verrons dans la semaine 5 lorsque nous étudierons les empreintes digitales et les traces d'oreille ce dont on a besoin pour affirmer qu'une trace provient d'une personne données. Il faut combiner différents éléments pour pouvoir identifier une personne. La probabilité des résultats n'est qu'un de ces ingrédients. Mais laissons cette affaire pour l'instant et abordons, Franco, l'affaire du meurtre de Meredith Kercher. >> Meredith Kercher était une étudiante britannique. Elle était venue en Italie dans le cadre d'un échange Erasmus entre son université à Leeds et celle de Perugia en Italie. Elle fut tuée la nuit du 1er novembre 2007. Une de ses colocataires, Amanda Knox, et son petit ami Raffaele Sollecito ainsi qu'un autre homme, Rudy Gede, furent poursuivis, jugés et condamnés respectivement à 26, 25 et 30 ans de prison pour ce meurtre. Après avoir fait plusieurs fois appel contre leur condamnation, Knox et Sollecito seront finalement acquittés par la Cour suprême italienne en mars 2015. Je ne veux pas trop entrer dans les détails dans cette affaire, mais il est important quand même que vous sachiez que la victime a été retrouvée dans sa chambre en fin de matinée le 2 novembre 2007. Suite à cette découverte, la police scientifique s'est rendue sur les lieux et a travaillé pendant plusieurs jours, depuis l'après midi du 2 jusqu'au 5 novembre. Plusieurs semaines plus tard, le 18 décembre, ils sont retournés sur la scène pour collecter les derniers éléments. Dans cette affaire, comme vous vous en doutez, il y avait de l'ADN. C'est autour de cet élément que les discussions se sont focalisées, d'abord sur l'ADN retrouvé sur le crochet du soutien-gorge de Meredith Kercher. Selon l'accusation, il y avait sur ce crochet de l'ADN de la victime et de l'ADN de Sollecito. Un autre élément important dans le dossier de l'accusation était un couteau qui avait été retrouvé dans un tiroir de l'appartement de Sollecito. Sur ce couteau, l'accusation soutenait qu'il y avait de l'ADN de Knox sur le manche et de l'ADN de la victime sur la lame. La continuité de la preuve et la manière dont les pièces à conviction avaient été prélevées et emballées ont été au cœur des débats. Mais ici, on va se concentrer sur l'interprétation des résultats des profils ADN. Les experts déclarèrent que c'était l'ADN de Amanda Knox, de Meredith Kercher et de Raffaele Sollecito, ceci en totale contradiction avec les principes de base de l'interprétation. >> Oui, nous l'avons vu à de nombreuses reprises, l'évaluation doit porter sur la probabilité des résultats. Pour ce faire, les scientifiques doivent utiliser des méthodes robustes et appropriées et se prononcer sur la probabilité d'observer le profil en considérant les deux propositions d'intérêt. Mais quand on a une faible quantité d'ADN comme c'était le cas ici, on doit savoir que la problématique est bien plus complexe, même lorsqu'on considère juste la source de l'ADN. Évaluer statistiquement des résultats de profils ADN en considérant des propositions au niveau de la sous-source, comme par exemple l'ADN est celui de Meredith Kercher ou celui d'une personne inconnue, est difficile et doit se faire avec des méthodes appropriées. Mais voyons cet aspect avec Tacha. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] [AUDIO_VIDE] [AUDIO_VIDE] [AUDIO_VIDE] [AUDIO_VIDE] [AUDIO_VIDE]