[MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] >> Bienvenue dans cette première vidéo consacrée à l'affaire Dallagher. L'affaire Dallagher est un cas où une trace d'oreille a été au cœur des débats. Les objectifs de cette vidéo sont les suivants. Premièrement, nous allons identifier les éléments qui sont nécessaires pour décider d'identifier une personne à partir d'une trace. Deuxièmement, vous aller réaliser que cette décision d'identification est du domaine du tribunal. Troisièmement, vous comprendrez pourquoi cette décision est en dehors des directives de l'ENFSI sur le rapport évaluatif. Avant de continuer, Christophe, pourquoi et comment cette trace d'oreille était-elle utilisée? >> Il s'agit d'un meurtre perpétré dans la ville de Huddersfield en Angleterre en 1996. Madame Dorothy Wood, âgée de 94 ans, est retrouvée morte dans son lit. Elle a été étouffée avec un coussin. Sur la face extérieure de la vitre de la petite fenêtre par laquelle l'auteur a pénétré dans l'appartement, la police détecte des traces d'oreilles par saupoudrage. Au total, quatre traces superposées d'une oreille gauche et une trace laissée par une oreille droite sont révélées par la police scientifique. La trace d'oreille est une représentation en deux dimensions des formes anatomiques de l'oreille externe venant en contact avec la surface plane. Les anatomistes ont donné à ces parties des noms savants comme le tragus, l'anti-tragus, l'hélix, l'anti-hélix, comme vous pouvez le voir sur cet exemple. En raison du transfert d'une structure en trois dimensions pour apposer une trace en deux dimensions, nous pouvons donc nous attendre à des distorsions, donc à des variations d'une trace à l'autre, même lorsqu'elle a été laissée par la même personne. Cette variabilité est la conséquence des mouvements lors de l'apposition, de la pression d'apposition, de la malléabilité du cartilage. C'est pour rendre compte de cette variabilité dite intrasource que lorsqu'un individu d'intérêt est arrêté, plusieurs empreintes de référence seront établies. Donc dans le cas de l'enquête sur le meurtre de Dorothy Wood, lorsque les enquêteurs ont porté leur attention sur Mark Dallagher, plusieurs empreintes de référence de ses oreilles ont été prises. >> Mais Mark Dallagher était connu des services de police. Ce n'est pas grâce aux traces d'oreilles et à une recherche dans une base de données que Dallagher a été suspecté. Si je ne fais par erreur, Dallagher était connu pour ses antécédents comme cambrioleur mais pas pour des faits de violence. >> Oui, effectivement. Les traces d'oreilles sont souvent associées à un modus operandi particulier, et très souvent, en lien avec le cambriolage. L'auteur écoute à une porte ou à une fenêtre pour s'assurer de l'absence des habitants sur les lieux. Pour les enquêteurs, madame Wood a été tuée suite à un cambriolage où l'auteur ne s'attendait pas à être en présence de la victime. Le premier cas documenté en Suisse d'utilisation des traces d'oreilles dans l'enquête policière est dû à Hirschi. Il publia en 1970, dans la Revue internationale de police criminelle, sous les hospices d'Interpol, un compte rendu montrant la résolution d'une série de cambriolages à Berne en exploitant les traces d'oreilles. Vous voyez ici la première démonstration utilisée par Hirschi. Pourquoi est-il pertinent d'effectuer de telles comparaisons? La raison est simple. Les traces laissées par une même oreille sont certes relativement variables, mais les traces laissées par des oreilles d'individus différents sont en général différentes. Franco et moi, par exemple, allons laisser des traces qui seront facilement différenciables. C'est en raison de cette différence entre l'intravariabilité, qui est relativement faible, et l'intervariabilité, qui est relativement forte, que les traces d'oreilles offrent un potentiel d'association. Mais potentiel d'association ne signifie pas une capacité à singulariser l'individu face à tous les individus sur la surface du globe. Une association n'est pas égale à une identification. >> Donc dans notre affaire, la police a procédé à la superposition des traces relevées sur la scène du crime avec les empreintes de référence prises de Dallagher. La méthode utilisée dans ce cas est présentée ici. Quelles ont été les conclusions rendues par les experts? >> Dans ce cas, deux experts ont témoigné pour l'accusation en première instance. Le premier expert, Cor van der Lugt, un officier de la police néerlandaise et spécialiste mondial des traces d'oreilles, a conclu de la manière suivante. Les traces retrouvées sur la fenêtre sont les mêmes, exception faite des différences qui peuvent être expliquées, que les empreintes de référence gauches et droites des oreilles de Dallagher. Van der Lugt se dit d'ailleurs absolument convaincu que les traces et les empreintes sont du même donneur. Le deuxième expert pour l'accusation est Peter Vanezis, un professeur de médecine légale de l'université de Glasgow. Il témoigne dans le même sans que Van der Lugt en indiquant prudemment de la manière suivante. Les oreilles de Dallagher sont très probablement celles de la personne qui a laissé des traces sur la scène de crime. Durant sa déposition, Vanezis s'exprima ainsi, Je suis en mesure d'indiquer qu'il y a une possibilité pour que ces traces aient été laissées par une autre personne que Dallagher, mais cette possibilité est infime. Je suis d'avis qu'il est très probable qu'il s'agisse de la même personne, mais je ne peux pas en être sûr à 100 %. >> Dans tous ces domaines mettant en jeu des traces sous la forme d'impression, comment est-ce qu'un expert conclut à une identification? Peut-on dire que les empreintes d'oreilles sont uniques? Cet argument suffit-il à pouvoir conclure avec certitude à l'identification de Dallagher? Alex va nous éclairer sur cette question. Il va déconstruire le processus d'identification. >> La façon dont Cor van der Lugt a témoigné illustre de manière typique comment les experts en matière de traces physiques témoignent, et malheureusement, certains d'entre eux le font encore. Ils invoqueront l'unicité comme l'un des fondements de leur opinion. Typiquement, ils diraient, les empreintes digitales sont uniques, donc je peux conclure que la trace laissée sur la scène de crime provient de John Doe. Dans l'affaire Dallagher, nous entendons, les empreintes sont uniques, donc je peux individualiser Dallagher. Mais la phrase toutes les oreilles sont uniques n'est qu'une constatation de l'évidence, chaque entité est unique. Ce qui importe, c'est de savoir comment et dans quelle mesure ces objets peuvent être correctement distingués. Alors, comment un expert peut-il prendre cette décision qui revient à faire ce qu'on appelle un saut de foi ou de croyance? Comment prendre une décision catégorique face à l'incertitude? La théorie de la décision bayésienne est parfaitement adéquate ici. Laissez-moi vous expliquer ce qui est en jeu, mais je vous rassure, sans utiliser de formule mathématique. Les experts commenceront par faire quelques observations sur la trace et sur l'empreinte de comparaison. Ces observations comprennent des concordances, mais potentiellement aussi des différences. Inutile de dire que si les différences ne sont pas compatibles avec des facteurs comme par exemple la distorsion ou la variabilité interne, l'expert conclura à une exclusion. Nous ne traitons pas de ce cas ici. Nous supposerons que l'expert a observé des caractéristiques correspondantes entre la trace et la référence sans aucune différence inexplicable. La force probante à attribuer à ces résultats est donnée par notre cadre de raisonnement, c'est-à-dire par un rapport de deux probabilités conditionnelles. Il y a donc deux questions qui doivent être abordées par l'expert. Premièrement, quelle est la probabilité de faire ces observations si, en effet, la trace a été laissée par la même personne, dans notre cas Mark Dallagher, qui a également fourni l'impression de comparaison, la référence? Et deuxièmement, quelle est la probabilité de faire ces observations si la trace a été laissée par une autre personne inconnue? En réponse à la première question, en l'absence de différences inexplicables, la probabilité se rapproche de 1. La force probante découle donc principalement de notre réponse à la deuxième question, la probabilité d'une correspondance fortuite. Clairement, il serait inapproprié de prétendre que cette probabilité est nulle. Tous les scientifiques devraient tenir compte de la possibilité d'une correspondance fortuite. Disons que cette probabilité est de 1 sur 1 million par exemple. En réalité, pour les traces d'oreilles, nous aurions plutôt tendance à dire que cette probabilité est de l'ordre de 1 sur 1 000. par exemple. Maintenant, le passage d'un sur un million à une décision d'identification est un sceau qui nécessite deux autres éléments. Le premier élément présuppose qu'on se détermine sur la probabilité initiale que la personne d'intérêt soit la source de la trace. Cette évaluation dépend en partie du nombre de personnes pouvant raisonnablement être suspectées. Le deuxième élément est une pondération des pertes ou utilités associées aux conséquences de la décision. Ici, les décisions sont : identification de Dallagher, exclusion, ou non concluant, inconclusif. Dans les cas présents, l'expert décide que l'identification était la meilleure décision à prendre puisqu'il a identifié Dallagher. Cela signifie que selon l'expert, lorsque vous combinez la force probante des résultats, qui est de l'ordre d'un million, avec la probabilité initiale que Dallagher soit la source de la trace, basée sur une appréciation raisonnable de la taille de la population suspecte, la meilleure décision à prendre, celle qui en langage technique maximise l'utilité attendue ou minimise la perte attendue, est l'identification. L'application de ce processus n'est pas fausse d'un point de vue logique. Cependant, en arrivant à cette conclusion, l'expert fait plus que simplement évaluer les observations notées lors de la comparaison de la trace avec le matériel de comparaison. L'expert a pris une position implicite sur le nombre de suspects potentiels, plus les probabilités d'en être la source, ainsi que sur les coûts, avantages sociétaux associés à cette décision. Un autre avis, les scientifiques qui agissent ainsi prennent trop sur leurs épaules ici. Ils vont au-delà de leur domaine de compétence. Certains scientifiques prétendent que par la tâche légale qui leur est confiée, ils sont autorisés à faire ce pas. Cependant, il est clair que reporter cette décision finale place l'expert dans une position qui va au-delà de la portée d'un examen purement scientifique. L'expert est invité à rendre un jugement. Pour nous, cela devrait être laissé au tribunal. Pour ces raisons, nous préconisons l'abandon des décisions d'identification. Le témoignage de l'expert doit se concentrer sur les deux seules questions qui peuvent être liées de manière justifiable à son domaine d'expertise. Je les répète encore une fois. Premièrement, quelle est la probabilité de faire ces observations si la trace a été laissée par la personne d'intérêt ? Et deuxièmement, quelle est la probabilité de faire les observations si la trace a été laissée par un inconnu ? Le rapport de ces deux probabilités donne le rapport de vraisemblance. Cette mesure de la valeur probante correctement communiquée et comprise est l'élément essentiel d'un point de vue logique, pour aider les décideurs, comme le tribunal, à poursuivre et à prendre des décisions à la lumière d'autres circonstances de l'affaire et priorités de la société. Lorsque nous permettons à des experts ou des expertes de prendre des décisions, on laisse la porte ouverte à des conclusions qui peuvent être biaisées. Par exemple, si le suspect est un bon suspect selon les informations recueillies au cours de l'enquête, avoir des connaissances préalables d'autres éléments de preuves contre un individu peut amener les experts à ne considérer qu'un groupe restreint de suspects. Puis, s'il s'agit d'un crime mineur ou d'un crime grave, cela peut affecter l'équilibre des valeurs sociétales, comme la perte due à une association manquée ou la perte due à une fausse identification. Et enfin, si une autre trace à proximité immédiate a déjà été identifiée, ce qui amène l'expert à renforcer sa conviction que cette trace provient également de la même source. Je sais que vous étudierez ces questions de nouveau en lien avec les traces digitales. Mais permettez-moi de conclure en montrant qu'au niveau international, il y a maintenant un mouvement clair pour mettre en garde contre, et même interdire les opinions catégoriques. Je vais vous présenter trois sources récentes qui témoignent de cette tendance. Premièrement, en 2016, la commission nationale des sciences judiciaires des États-Unis, le U.S. National Commission on Forensic Science, a indiqué la chose suivante. Les conclusions en science forensique sont souvent considérées comme des opinions à un degré raisonnable de certitude scientifique ou à un degré raisonnable de certitude. Ces termes n'ont pas de signification scientifique et peuvent induire les destinataires de l'information scientifique en erreur, non seulement sur le niveau d'objectivité de l'analyse, mais aussi sur sa fiabilité, ses limites scientifiques et la capacité à parvenir à une conclusion sur la base de l'analyse. Deuxièmement, en septembre 2016, également aux États-Unis, les conseillers en science et technologie du président ont conclu, dans un rapport assez critique pour la science judiciaire, les affirmations suggérant ou impliquant une plus grande certitude ne sont pas scientifiquement valables et ne devraient pas être autorisées. En particulier, les tribunaux ne devraient jamais permettre des allégations scientifiquement indéfendables telles qu'un potentiel d'erreur de zéro, très faible, essentiellement nul, négligeable, minimal ou microscopique, certitude à 100 %, ou preuve à un degré raisonnable de certitude scientifique. Identification à l'exclusion de toutes les autres sources ou chance d'erreur aussi éloignée qu'elle puisse être assimilée à une impossibilité pratique. Troisième exemple, en 2015, le U.S. Army Defense Forensic Science Center, ce qui est le centre de la science forensique de l'armée américaine, a annoncé un changement dans sa façon de conclure en matière de comparaison des traces digitales avec des empreintes de comparaison. Leur plus forte conclusion est maintenant rapportée comme suit. La trace latente sur la pièce numéro x y, et les empreintes de doigts ou palmaires portant le nom de Monsieur X Y, présentent des détails de crêtes correspondantes. La probabilité d'observer cette quantité de correspondances lorsque deux éléments à comparer proviennent de deux sources différentes est considérée comme extrêmement faible. Ainsi, pour conclure, nous pouvons maintenant voir pourquoi la directive est aussi précise que les opinions catégoriques sont des conclusions qui vont au-delà de la seule évaluation des résultats. Les recommendations sont les suivantes. Les conclusions catégoriques d'identification exprimées par les praticiens et praticiennes dans des domaines tels que l'examen comparatif des traces et empreintes digitales, écriture manuscrite, etc., vont au-delà de la seule évaluation des constatations forensiques. Ce type de conclusion n'est pas couvert par le cadre de ce document. >> Merci, Alex. Mon premier enseignement est que nous ne devrions pas autoriser les experts ou expertes forensiques à identifier ou individualiser, comme ils disent. Cette délégation décisionnelle est inadéquate. Christophe, qu'est-ce qui s'est passé dans cette affaire ? Plusieurs demandes en lien avec notre thématique ont été déposées devant la cour d'appel. Merci d'avoir suivi cette vidéo. Vous pouvez découvrir la suite dans la prochaine vidéo. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] [AUDIO_VIDE] [AUDIO_VIDE] [AUDIO_VIDE] [AUDIO_VIDE] [AUDIO_VIDE]