[MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] >> Bienvenue à cette dernière vidéo qui conclut ce cours où nous avons étudié comment mettre la science forensique au défi, quelles étaient les questions à se poser et comment les scientifiques forensiques devaient s'exprimer dans leurs rapports et au tribunal. Pendant ces cinq dernières semaines, nous avons abordé un certain nombre d'arguments concernant la science forensique et les raisonnements probabilistes. Tasha, Christophe, Alex et moi avons des points clés que nous aimerions vous transmettre. Nous espérons que vous les ramènerez avec vous. Les aspects que nous avons étudiés ensemble vous aiderons à mieux comprendre les défis qui entourent l'utilisation de la science forensique au tribunal. Le point fondamental à retenir est qu'il est indispensable que les preuves scientifiques ou les indices soient présentés de façon transparente, tenant compte des parties qui s'affrontent au tribunal et respectant les lois de la logique, ou mieux, les lois de la probabilité. Sans cela, on ne peut pas discuter de la valeurs des traces, que cela soit au tribunal ou voire même avant. Les séries télévisées, les films et certains experts vous ont fait croire que l'ADN, les empreintes digitales ou d'autres types de traces donnent des certitudes. Mais aujourd'hui, vous savez que ce n'est pas le cas. Il n'est pas rare, aujourd'hui encore, d'entendre des experts utiliser des mots tels que identification, individualisation, unique ou encore des termes comme certain ou catégorique. L'utilisation de ces mots, certain, identifié, unique, revient à délibérément supprimer l'incertitude. Ce n'est pas ainsi que la science forensique devrait s'exprimer au tribunal ou dans un rapport d'expertise de type évaluatif. En effet, ces termes sont en complète contradicton avec la nature même de la démarche scientifique. On ne peut pas laisser les experts faire croire au tribunal qu'on peut gérer l'incertitude sans les probabilités. Qu'on le veuille ou non, on ne peut pas échapper à l'incertitude. Des connaissances solides dans la théorie des probabilités et des inférences sont indispensables. Alors, quelle est la solution? Nous avons montré que les résultats forensiques doivent être évalués, quantifiés et rapportés en utilisant le rapport de deux probabilités. D'une part la probabilité des résultats considérant la proposition de l'accusation, et de l'autre côté la probabilité des résultats considérant la proposition alternative proposée par la défense. Cette métrique qu'on appelle rapport de ressemblance, est la plus appropriée pour qualifier et quantifier les résultats scientifiques. En pratique, cela veut dire que nous devons vérifier quelques points spécifiques dans le rapport d'expertise que nous analysons. La première chose à vérifier est si l'expert ou l'experte se prononce sur la probabilité d'une hypothèse ou sur la probabilité des résultats. Une fois qu'on s'est assuré que c'est bien la probabilité des résultats qui a été donnée dans le texte de l'expertise ou lors du témoignage, on doit examiner attentivement si l'approche adoptée est solide. On pourrait penser qu'une fois ces étapes franchies, tout est terminé. Mais ce n'est pas le cas. Il faut tenir compte de la communication des résultats. En effet, on a vu ensemble que même lorsque les résultats sont évalués de façon appropriée, ils peuvent être mal compris. C'est un problème récurrent. Il est facile de tomber dans le piège de l'intuition, et par exemple de transposer le conditionnel. Pour surmonter cet obstacle, la clé c'est la formation. Il ne faut pas non plus sous-estimer l'importance de la communication entre les scientifiques, la magistrature et le grand public. Avant de donner la parole à mes collègues, laissez-moi vous citer le juge de la cour suprême de Massachusetts aux États-Unis, le juge Holmes. Dans son article intitulé Le chemin de la loi, publié dans le journal Harvard Law Review en 1897, j'ai bien dit 1897, il est écrit, Pour être un citoyen responsable, le raisonnement statistique sera un jour aussi nécessaire que la capacité à lire et à écrire. Nous espérons bien que ce jour soit proche! Pour conclure, nous devons dire qu'une solution existe. Le cannevas de raisonnement que nous vous avons donné pendant ce cours offre un modèle idéal pour évaluer et interpréter les traces forensiques ou toute autre information d'intérêt. Ce cannevas permet de séparer bien le rôle de l'expert de celui de la Cour. Il permet également d'expliquer simplement les erreurs de raisonnement. Ce cannevas de raisonnement souligne les deux questions principales auxquelles les experts et expertes doivent répondre dans leurs rapports ou au tribunal. Quelle est la probabilité des résultats sachant la proposition de l'accusation? Et quelle est la probabilité des résultats sachant la proposition de la défense? Ces questions sont fondamentales pour que les procureurs, les avocats et les juges comprennent dans quelle mesure les résultats soutiennent la thèse d'une des parties plutôt que l'autre. On connaît la solution depuis plus de 30 ans, et selon nos mentors, depuis bien plus longtemps. Nous sommes convaincus que le cannevas que nous avons présenté nous procure un langage universel qui devrait être appliqué pour tous les aspects de l'évaluation forensique. Ceci explique pourquoi il est si important pour nous d'enseigner cette matière, que ce soit à nous étudiants et étudiantes de bachelor, de master, mais aussi à la communauté forensique dans son ensemble. Comme vous l'aurez constaté, nous avons été grandement influencés par des scientifiques forensiques et statisticiens de renommée comme Ian Evett et Colin Aitken. Ils furent les premiers à proposer un cannevas d'interprétation qui soit logique et utilisable par les praticiens et praticiennes. En 2010, nous avons eu la chance de démarrer au sein de l'université de Lausanne, et avec eux, le premier certificat d'études avancées en statistiques forensiques. Ce cours a été élaboré pour les praticiens forensiques. Il est vrai que les scientifiques forensiques rencontrent d'importants défis pour ce qui est de l'interprétation de leurs résultats. Ce n'est pas une tâche facile. En effet, la plupart des scientifiques forensiques ont reçu une formation complète en sciences, par exemple biologie, physique ou chimie, mais très peu auront dans leur cursus une formation complète en statistiques forensiques et dans l'évaluation des traces. Afin de contribuer à combler ce manque absolu au niveau international, depuis 2010, nous offrons un cours complet qu'on peut suivre à distance. Des scientifiques de laboratoires forensiques et des avocats ont suivi ce cours depuis l'Europe, l'Asie, l'Australie et les Amériques. Ces personnes ont aussi pu appliquer les concepts étudiés ici à leur propre cas. Les praticiens et praticiennes qui ont suivi ce cours soulignent que cette formation leur a permis d'acquérir de nouvelles compétences et connaissances, de sorte qu'ils se sentent à l'aise par rapport à cette matière et lors de tout débat contradictoire ou procès. Nous espérons que grâce à ce genre d'initiatives, on évaluera mieux les résultats forensiques, et qu'on aidera ainsi à éviter des erreurs de justice comme celle mentionnée par le professeur Luca Luparia de l'Italian Innocence Project. >> Nous espérons que ce MOOC vous permettra d'examiner attentivement vos propres rapports, si vous êtes du domaine forensique, ou les rapports qui vous seront transmis si vous êtes un avocat ou un juge. Nous espérons aussi que vous avez pris plaisir à ce cours et que nous aurons la chance de vous rencontrer à d'autres occasions. Merci de votre attention. Oui, comme le souligne Franco, la formation est un point essentiel. Et je me rappelle avoir également lu, mais pas en 1897, un article disant que la gestion de l'incertitude devrait être apprise à l'école maternelle. C'est certainement une voie à suivre. Nous espérons qu'avec ce MOOC, on contribue à cette formation et qu'on aura à l'avenir une meilleure compréhension de ce qu'apportent les résultats forensiques dans un contexte évaluatif. Comme vous le savez maintenant, la signification des résultats forensiques dépend des propositions choisies. Par conséquent, si des propositions changent, alors la valeur des résultats observés change également. Ceci est particulièrement vrai pour les traces retrouvées en petite quantité, ou quand la source de la trace, par exemple l'ADN, n'est pas contestée. Dans ces cas, il est crucial de considérer nos résultats dans le contexte des activités alléguées par les deux parties. En effet, vous vous souvenez certainement que l'évaluation en considérant le niveau de proposition dit de la source peut être trompeuse. Dans le cas Barry George par exemple, on avait retrouvé très peu de matériel, une seule particule de résidu de tir. Elle avait été mise en évidence dans la poche de son manteau, ceci une année après les faits. Parce que le tribunal n'a pas été alerté sur les questions de transfert et de bruit de fond, c'est-à-dire pour des raisons autres que la commission d'un crime, La valeur de la trace a été mal comprise, et elle a amené à un verdict discutable et discuté. Quand on veut monter trop vite dans la hiérarchie des propositions et qu'on manque la marche de l'activité, Alors, comme vous le voyez, la justice peut trébucher et tomber. Cette image illustre qu'en passant directement du niveau de la source au niveau du crime sans considérer les activités, alors la justice peut plus facilement faire un faux pas. Il est donc important que les scientifiques et les intervenants du système judiciaire, par exemple les juges ou les avocats, sachent s'il est sûr ou non de monter dans la hiérarchie des propositions. Il ne faut pas en effet confondre une évaluation des résultats avec des propositions au niveau de la source, avec une évaluation des résultats avec des propositions au niveau de l'activité, voire même du crime. Ce point clé est clairement souligné dans le recommandations de l'ENFSI qui nous ont accompagnés tout le long de ce cours. Nous avons vu qu'en tant qu'évaluateurs, notre rôle est d'évaluer et non d'expliquer les résultats sous un seul point de vue, en disant par exemple que cette quantité d'ADN est compatible avec avoir touché un objet. Par conséquent, les scientifiques doivent non seulement considérer leurs résultats analytiques, mais aussi les facteurs tels que le transfert de matériel, la persistance et la présence en tant que bruit de fond. Le cas de David Butler, un chauffeur de taxi qui, rappelez-vous, passa huit mois en prison préventive pour un crime qu'il n'avait pas commis, est le parfait exemple des conséquences que peuvent avoir des conclusions ne répondant pas aux réels besoins du tribunal. Comme vous vous en souvenez, David Butler souffrait d'une maladie de peau qui l'amenait à laisser beaucoup d'ADN. Il avait également un métier, chauffeur de taxi, où il fréquentait beaucoup de monde. Ces deux éléments combinés ont fait qu'il a été accusé à tort. Ce cas illustre le fait que c'est le devoir des scientifiques forensiques de considérer les aspects de transfert, et qu'on ne peut pas s'attendre à ce que tout le monde connaisse les subtilités de transfert primaire, secondaire ou tertiaire. Pour finir, avec le cas impliquant monsieur Nealon, nous avons vu que la présence d'un profil ADN différent de celui de la personne suspectée est un élément qui soutient la proposition de la défense et non un élément neutre. Ce type de trace, en fait son absence ou l'absence d'un profil correspondant, peut être seulement évalué dans le contexte des activités, et donc avec des propositions au niveau de l'activité. Ces résultats, l'absence de trace, n'est donc pas systématiquement neutre, et doit être évaluée. Les scientifiques doivent interpréter tous leurs résultats et pas seulement ceux qui soutiennent la proposition de l'accusation. Ici, la clé, c'est de considérer les deux points de vue, et cela fait partie des bonnes pratiques forensiques. >> Oui, c'est vrai Tasha. Il est essentiel d'avoir un point de vue équilibré et de considérer nos résultats dans le contexte de deux propositions. Mais il existe également d'autres aspects critiques. Nous avons vu notamment qu'il peut y avoir des erreurs dans le domaine ce que l'on nomme l'identification d'objets ou de personnes, comme par exemple au travers des empreintes digitales. Maintenant, vous savez à quoi vous attendre lorsqu'un expert vous affirme que la trace retrouvée dans le sang a été laissée par l'individu dont l'empreinte de l'index gauche est affichée ici à droite. Avant de croire les yeux fermés l'expert qui voudra utiliser cette démonstration au tribunal, vous saurez quelles questions lui poser. En effet, tout expert en empreintes digitales doit être capable de montrer la documentation attestant que les observations faites sur la trace ont été notées durant la phase d'analyse, indépendamment, c'est-à-dire avant de la comparer à l'empreinte de la personne connue ; être capable de démontrer que les caractéristiques utilisées pour la comparaison sont visibles par toute personne, même les non experts ; de montrer que les différences observées entre la trace et l'empreinte ont été étudiées et évaluées et non simplement ignorées ; de montrer au travers d'une prise de notes détaillées que la vérification conduite par le second expert était indépendante, c'est-à-dire sans avoir connaissance de la conclusion du premier examinateur. Enfin, on ne doit donner aux scientifiques que l'information pertinente et non des informations qui pourraient potentiellement créer des biais, comme par exemple dire que la personne est un récidiviste ou d'une confession donnée. Dans ce cours, notre but n'est pas de vous alarmer ou de suggérer que la science forensique ne devrait pas être utilisée au tribunal. Nous sommes convaincus des extraordinaires bénéfices offerts par cette science. Toutefois, sa contribution doit être exercée de façon adéquate. Nous voulons vous alerter et vous enseigner quels sont les indicateurs de qualité que vous devriez trouver dans tout rapport d'expertise. Selon nous, l'utilisation de la science forensique au tribunal ne doit pas reposer sur une confiance aveugle en l'expert ou en l'experte. L'acceptation de l'utilisation de traces doit être basée sur une parfaite compréhension du rôle des experts et sur l'adoption d'une méthodologie solide et parfaitement décrite. Ce point est valable autant pour les rapports d'expertise que pour les témoignages des experts au tribunal. La science forensique doit reposer sur une culture du doute et non se draper de certitude. Les experts et expertes doivent parler avec humilité. >> Nous avons vu ensemble que la nature des conclusions dans les disciplines traditionnelles sont souvent catégoriques, par exemple pour les identifications en matière de traces digitales. Une conclusion catégorique disant qu'une trace donnée provient d'une source en particulier est en fait une décision. Mais prendre une telle décision catégorique implique inévitablement de faire des présupposés sur des aspects qui vont au-delà de la seule valeur probante des traces forensiques. Par exemple, la décision d'identifier nécessite de prendre en compte la taille de la population pouvant être à la source de la trace. Il est également nécessaire de quantifier la mesure dans laquelle les conséquences de cette décision sont désirables ou non désirables, c'est-à-dire la fausse identification et la fausse exclusion. Il est fondamental de se demander si ce fardeau est bien celui de la science forensique. Du point de vue scientifique, cette pratique demande clairement aux scientifiques d'aller au-delà de leur domaine de compétences. De plus, il existe aujourd'hui un large mouvement international constitué de scientifiques, de juristes, de praticiens, y compris des associations professionnelles clés et des institutions gouvernementales qui nous alertent sur la dangerosité de ce genre de conclusion. Ce mouvement va même jusqu'à bannir les conclusions catégoriques. Pour ces raisons, les conclusions forensiques et les rapports d'expertise devraient se limiter aux seules questions qui peuvent être liées de manière justifiée au domaine d'expertise. C'est important et donc je le répète encore une fois, la question centrale et la seule pertinente pour les experts forensiques est de dire si et dans quelle mesure, c'est-à-dire avec quelle probabilité, les résultats peuvent être observés si l'une des propositions pour l'événement d'intérêt est vraie plutôt que l'autre. C'est donc une illusion de croire que les scientifiques qui se prononcent directement sur les hypothèses de l'accusation ou de la défense le font sur une base scientifique. Ce n'est pas le cas. Se prononcer sur les hypothèses au lieu de se prononcer sur les traces ou les résultats va au-delà du champ de compétence des experts forensiques. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] [AUDIO_VIDE] [AUDIO_VIDE] [AUDIO_VIDE] [AUDIO_VIDE]