[MUSIQUE] [MUSIQUE] Nous accueillons aujourd'hui Sophie Flak qui est directrice du développement durable et de la digitalisation de Eurazeo. Alors, Sophie, première question, Eurazeo, c'est quoi? >> Donc, Eurazeo est une société d'investissement française qui est cotée, >> qui a aujourd'hui un peu plus de cinq milliards d'actifs sous gestion. On investit sur l'ensemble du spectre des plus grosses entreprises comme la société Accor ou la société Europcar par exemple, et dans des PME comme Léon de Bruxelles qui est une chaîne de restauration bien connue, et aussi des entreprises plus industrielles qui sont peut-être un peu moins connues du grand public. On est présent aujourd'hui dans plusieurs pays. On est présent en France, on est présent en Chine, au Brésil, et on vient juste d'ouvrir un bureau aux États-Unis. Dans Eurazeo, en fait, on a une branche d'activités, Eurazeo PME, qui a été vraiment un pionnier en matière de RSE dans le domaine de la finance. Il faut savoir que le métier des financiers au sens large a été plutôt un late adopter de l'ensemble des problématiques liées à la RSE, mais dès 2008, Eurazeo PME, qui à l'époque s'appelait OFI Private Equity, a fait un bilan carbone de l'ensemble de son portefeuille. Donc, c'était tout à fait innovant à l'époque, et vous imaginez la complexité de l'exercice. Nous aujourd'hui, on est actionnaire de plus d'une trentaine de sociétés. Donc, quand on fait des bilans carbone sur une trentaine de sociétés qui ont des activités aussi différentes, il y a toujours une espèce de prouesse méthodologique qui est sous-jacente. Eurazeo s'est ensuite très rapidement saisi de la question, et on a fait notre premier reporting RSE Grenelle en 2011. Donc, ça avait nécessité deux ans de préparation, donc, on l'a fait un an en fait avant les obligations légales liées à l'article 225. >> Alors, si on reprend le terme de prouesse méthodologique, effectivement, faire des bilans carbone d'une trentaine de sociétés différentes, ça pose quoi comme questions? Quelles seraient les deux ou trois difficultés ou deux ou trois enjeux majeurs de ce bilan? On peut penser peut-être à la collecte, à l'agrégation. Et puis deuxième élément, quelles conclusions on peut tirer de tout ça? >> A l'époque, il faut bien voir que les méthodologies de bilan carbone, elles étaient quand même assez souples, donc il y avait vraiment la nécessité d'exercer son jugement critique pour identifier ce qu'on appelle aujourd'hui les impacts les plus matériels. Ça ne s'appelait pas comme ça à l'époque. Le mot même, on ne l'utilisait pas en développement durable en 2008. Donc, il y avait vraiment besoin d'avoir des compétences pour regarder une activité et se dire, dans l'évaluation de mon bilan carbone, je vais mettre par exemple les matières premières, parce que c'est pertinent dans une activité industrielle, ou je vais mettre le transport parce que l'activité logistique est très importante. Par contre, quand on est dans des activités de service ou des activités de bureau, on va aller regarder des classes d'impact qui vont être un peu différentes. Donc, ça, c'est déjà une première difficulté qui est d'identifier et d'adapter la méthodologie en fonction des cas qu'on est amené à traiter. Et l'autre point, c'est une question de compétences. Il faut savoir là aussi que le développement durable, les grandes sociétés, les grandes corporates aujourd'hui, se sont saisies de ce sujet-là au niveau mondial et ont des équipes. Vous l'avez compris, nous, on intervient du large cap au small cap, donc, des grandes sociétés qui ont des chiffres d'affaires de plusieurs milliards d'euros ou de dollars à des plus petites sociétés. Et c'est vrai que là, quand on parle de développement durable, qui est en plus un sujet qui en brasse très large, on se retrouve avec une nécessité de développer les compétences des collaborateurs. Et enfin, le dernier point que vous évoquez très justement, c'est la collecte de données, et je vais vous donner les exemples classiques, typiques auxquels on est confronté. Vous prenez vos factures d'électricité, les factures d'électricité ne sont jamais du 1er janvier au 31 décembre. >> Alors, au-delà de la collecte, après, les conclusions qu'on peut tirer de tout ça, parce que agréger ou additionner le bilan carbone de Léon de Bruxelles et de Accor, déjà il y a des enjeux de tailles, même si c'est le même secteur, mais enfin vous êtes, vous l'avez dit, dans de très nombreux secteurs. Donc, comment sortir de cette difficulté? >> En fait, si vous voulez, pour nous, le bilan carbone, ça a été une première étape qui était une étape de sensibilisation, de découverte et de montée en compétences sur le sujet. Nous aujourd'hui, on prône la réalisation d'ACV, donc d'analyses de cycle de vie qui vont prendre tous les entrants jusqu'aux émissions et à la fin de vie. Je vous donne tout de suite un exemple concret. Chez Accor, on va prendre par exemple les draps, de l'impact du coton dans les champs à on va filer le coton, à on va le transformer en draps, ça arrive dans les hôtels, on les lave x fois, et après il y a la fin de vie qui est que généralement, ça va servir pour faire des isolants par exemple dans l'industrie automobile. Donc, on souhaite considérer l'ensemble du cycle de vie, parce que c'est de cette seule manière-là qu'on va vraiment avoir les impacts environnementaux justes. Et l'autre chose qu'on souhaite faire aussi, c'est le faire en multicritères. C'est-à-dire que le carbone est une indication, mais pas que. Je vous donne tout de suite un exemple un peu tarte à la crème, vous me pardonnerez, c'est l'impact du nucléaire. Si on regarde l'impact du nucléaire sous l'angle du carbone, l'impact est plutôt intéressant parce qu'il est assez minime quand on le compare par exemple à de l'électricité qui est générée avec une centrale à charbon. Par contre, si on regarde l'impact eau, l'impact déchets, des déchets nucléaires, et si on regarde les risques que ça peut poser sur la santé humaine, on voit bien tout de suite qu'on va avoir une perspective très différente sur les impacts du nucléaire. C'est pour ça que pour nous, il est très important de faire ces analyses d'impact en multicritères, de considérer le carbone, l'eau, la biodiversité, et tout ce qui peut poser question aussi sur la sécurité et la santé humaine, afin d'identifier vraiment les domaines sur lesquels on va devoir agir pour améliorer l'impact environnemental d'une entreprise. >> Quand on parle management, on parle souvent référentiel. Quel référentiel utilisez-vous et pourquoi? >> Donc effectivement, ça ne vous a pas échappé, on est une société cotée. Donc, comme toute bonne société cotée, nous sommes assujettis à l'article 225 de la loi Grenelle. Donc, ça veut dire que nous devons faire un reporting RSE complet, non seulement sur notre activité de société de gestion, mais sur l'ensemble des sociétés dont nous sommes actionnaires majoritaires. Donc, vous voyez, on fait faire un Grenelle à 15 sociétés, on consolide tout ça, et ensuite, on publie l'ensemble des données après qu'elles aient été auditées par des commissaires aux comptes. Donc, en termes de référentiel, pour répondre à votre question, bien évidemment, on utilise le référentiel du Grenelle. Nous sommes une société française cotée en France, avec les évolutions réglementaires qui vont avec, et typiquement, nous attendons actuellement les décrets d'application de la directive européenne que nous attendons pour le mois de décembre, pour voir comment ça va faire bouger nos référentiels. On intègre bien évidemment les éléments de la GRI. Donc, on est sur la GRI 4, la Global Reporting Initiative, la quatrième version. Et comme nous sommes dans le monde de la finance, nous intégrons aussi des référentiels un peu particuliers. On intègre le référentiel DPRI, donc qui touche à tout ce qui est investissement responsable. Et en France, on intègre aussi le référentiel de l'AFIC. Donc, l'AFIC, c'est notre association professionnelle des investisseurs pour la croissance. Et toute la profession s'est mobilisée sur ces sujets-là, et c'est vrai que, si vous voulez, comme on a cette particularité d'avoir une société de gestion et un portefeuille d'actifs, ça amène des particularités dans la méthodologie. Et enfin, last but not least, on utilise aussi tout le référentiel du Global Compact dont nous sommes adhérents, et on est d'ailleurs plutôt bien noté, puisqu'on est Global Compact Advanced depuis plusieurs années. Le Grenelle fonctionne dans une logique de comply or explain, donc soit on répond aux exigences du décret, soit on explique pourquoi nous n'allons pas y répondre. Et là aussi, je vais tout de suite vous donner un exemple concret. Le Grenelle nous demande quelle est la matière première consommée en plus grande quantité. Donc, chez Eurazeo, c'est assez basiquement le papier, puisqu'on est une société de gestion. Mais après, vous prenez Léon de Bruxelles, c'est les moules, vous prenez Novacap qui fait de la chimie, on va être encore sur d'autres composants. Vous prenez Europcar qui fait de la location de voitures, et donc si vous voulez, ça revient à additionner des choux et des carottes. Donc, on a fait l'exercice une fois. On s'est rendu compte que ça ne donnait aucun sens puisque nous, on doit publier une donnée consolidée. Donc, on a travaillé avec nos commissaires aux comptes pour dire, écoutez, cet indicateur-là n'est pas raisonnable dans l'exercice Grenelle d'une société de gestion, donc on va le laisser tomber. Donc, vous voyez, on exerce aussi un jugement pour s'assurer que ça va être utile et que ça va faire sens. >> Alors, si on devait caractériser l'évolution depuis 2008, qui est la date à laquelle vous avez démarré, le bilan carbone qui était la première démarche que vous avez engagée, à aujourd'hui, on dirait quoi? C'est un élargissement du spectre, c'est une complexification? Comment vous qualifieriez cette évolution en quelques phrases. >> Alors, effectivement, on a élargi puisque le bilan carbone, c'est le carbone sur l'environnement. Donc, c'est vraiment la toute petite partie. Le Grenelle, c'est l'ensemble de la RSE. Donc, on est sur l'environnement, sur le social, le sociétal, on intègre les éléments qui sont liés à la supply chain. Et là en plus, avec l'évolution du décret, on est aussi maintenant sur tous les éléments qui sont associés à l'économie circulaire. Donc, on a un élargissement d'indicateurs. Donc, nous aujourd'hui, on est peu ou prou sur 150 indicateurs. L'autre chose aussi, c'est qu'on s'est beaucoup professionnalisé. Et donc typiquement, nous réussissons à faire un Grenelle avec les sociétés de petite taille dans notre portefeuille, et ça se passe bien, parce que l'ensemble du processus maintenant est extrêmement maîtrisé. Et on a aussi fait tout un travail pour rendre les définitions des indicateurs compréhensibles par tous. Parce que là aussi, je vous donne un exemple concret, les CDD, c'est une notion purement française. Pour les Anglais, ça ne veut rien dire. Les cadres, les non-cadres, c'est purement français, ça ne veut rien dire. Donc, comme nous on a la chance d'avoir cette trentaine de sociétés dans notre portefeuille, on a réuni tous les DRH et on a fait la liste de tous les indicateurs typiquement français, typiquement Grenelle, qu'il fallait traduire à l'international, et nous nous sommes mis d'accord sur des définitions. Moi, il y a une phrase que j'aime bien, c'est de revenir à ce que j'appelle l'esprit de l'indicateur. Quel est l'esprit de l'indicateur? Que cherche-t-on à mesurer? Et on cherche à mesurer ce qui est matériel. Donc, typiquement, quand on est dans une activité industrielle, on va d'abord se focaliser sur les achats de l'activité industrielle. [MUSIQUE]