[MUSIQUE] [MUSIQUE] Quelles ont été les difficultés qu'on a pu rencontrer dans la mise en oeuvre et le développement du projet dans le groupe? Elles ont été de deux ordres. Des difficultés liées au choix méthodologique et des difficultés liées à l'accès aux données. Les difficultés de choix méthodologique, c'est que il faut bien comprendre que ce qu'on appelle la comptabilisation du capital naturel, c'est un champ d'investigation qui est très récent. Kering est vraiment, fait partie des précurseurs de ce mouvement qui grossit et qui est en train de se transformer en tendance de fond, mais qui, il y a encore cinq ou six ans faisait vraiment office de champ d'exploration presque de R&D. Donc les choix méthodologiques sur la manière de comptabiliser l'utilisation des sols, la manière de convertir ça en valeur monétaire était très balbutiant et il a fallu s'associer à des experts en conservation, en biodiversité, en services écosystémiques pour arriver à une méthodologie qui soit crédible, qui repose sur des données scientifiques, qui soit opposable, qui soit solidement architecturée. Donc c'est ce qu'on a fait. En tout début de projet, en s'associant, enfin en bâtissant un panel d'experts qui a fait une revue de notre méthodologie, on a d'ailleurs rendu publique cette revue, et qui a été une sorte de tampon de validation qu'on pouvait effectivement s'engager dans cette démarche-là de manière fiable et crédible, et puis au fur et à mesure qu'on améliore telle ou telle partie de la méthodologie, on va développer un partenariat avec telle ONG qui est spécialisée sur ce sujet ou avec une grande organisation internationale, TPUCN ou CITES, qui va nous aider à affiner notre méthodologie, nos techniques de valorisation etc. Donc première difficulté, les choix méthodologiques, et trouver auprès de qui s'adosser pour les faire valider. Deuxième difficulté l'accès à la donnée. Vous comprenez qu'on bâtit un reporting environnemental. Mesurer chez soi ça va. Mesurer chez ses fournisseurs directs, ça va encore, quoique parfois il faille quand même beaucoup de travail de pédagogie et d'explications sur pourquoi tout à coup on s'intéresse à l'empreinte environnementale d'un façonneur ou d'un maroquinier. Plus on remonte dans la chaîne, plus on s'éloigne de Kering et plus ça devient compliqué d'avoir accès à la donnée. Donc ça a été l'une des difficultés clés, c'était de convaincre de la pertinence de partager l'information tout au long de la chaîne d'approvisionnement, de la faire cascader et redescendre, et puis aussi de réaliser qu'il y a des domaines pour lesquels il n'y a pas de données. L'empreinte environnementale, l'empreinte écologique de l'extraction minière, eh bien c'est très compliqué d'avoir de la donnée. Elle n'existe pas, vous n'y avez pas accès, donc très concrètement aujourd'hui, là où il y a une absence de données réelles et efficaces, efficientes sur les impacts, on bâtit nous-mêmes des partenariats avec par exemple des des prestataires ou des ONG qui vont sur le terrain faire du recueil de données scientifiques, pour justement bâtir une base de connaissances dans des domaines où elle est encore embryonnaire. Comment fait-on pour convaincre les fournisseurs et leurs propres sous-traitants de fournir des informations qui vont nous permettre d'élaborer une P&L? C'est un lent travail, un long travail de pédagogie, d'explications. C'est surtout de lever un certain nombre de craintes, parce que, comme la démarche est nouvelle, ils ne sont pas forcément habitués à ce qu'on se soucie de leur empreinte environnementale, de leur consommation d'énergie ou de leur consommation d'eau. Ça a beaucoup été fait par les marques elles-mêmes, qui ont pris leur bâton de pèlerin et qui sont, à l'occasion de journées de fournisseurs ou bien de discussions bilatérales avec certains fournisseurs clés, qui ont expliqué la démarche, qui ont surtout encore une fois expliqué qu'il n'y avait aucune crainte spécifique à avoir sur le fait de transmettre ces informations, et c'est ce qui a permis, à l'origine du projet en 2012 de lancer une très vaste opération de collecte de données auprès à peu près de 1 000 fournisseurs. Et c'est ça qui a vraiment constitué la base, la fondation de l'EP&L. Alors concrètement, aujourd'hui, qu'est-ce que la démarche EP&L apporte, a apporté et continue d'apporter au groupe? D'abord, ça a apporté une compréhension fine d'où sont nos enjeux. Pourquoi on dit ça? Parce que les résultats de l'EP&L montrent que plus de 90 % des impacts sont dans la supply chain, et moins de 10 % chez nous. Alors évidemment, ça ne dédouane pas de bien faire chez nous. C'est notre contrôle direct, c'est notre responsabilité immédiate, et évidemment, qu'on a des programmes ambitieux sur la meilleure gestion possible de notre impact environnemental, et sa réduction dans nos propres murs. Mais à partir du moment où 90 % de l'impact se situe ailleurs, évidemment on voit bien comment ça réoriente la façon d'envisager une politique de développement durable, et des stratégies concrètes pour réduire notre empreinte. Et pour aller même un petit peu plus loin, 50 % de résultats de l'EP&L sont liés à ce qu'on appelle des tire 4, notre jargon. Les tire 4 étant tout ce qui a trait à la production des matières premières. C'est-à-dire finalement que la manière dont on source le type de matières, dans quelles conditions les élevages ont été faits, les pratiques de pâturage, les techniques de culture etc sont absolument essentielles et représentent 50 % de notre impact global. Donc aujourd'hui par exemple, une conséquence très directe c'est que pratiquement 50 % de l'équipe développement durable chez Kering est dédiée à trouver des solutions moins impactantes de sourcing et d'approvisionnement en matières, qu'il s'agisse de matières alternatives, qu'il s'agisse de pratiques alternatives d'élevage ou de culture ou d'extraction de ces matières, qu'il s'agisse de revoir les localisations de sourcing pour trouver des sourcings moins impactants, presque 50 % de l'équipe est dédiée à ça, parce que ce sont 50 % de nos résultats. Il y a aussi une chose importante à souligner, c'est que les résultats EP&L c'est de l'ordre de 800 millions d'euros. Donc c'est pas rien comme somme. Et du coup, ça a permis de très fortement décloisonner dans dans l'entreprise et de faire comprendre les enjeux et la préoccupation écologiques bien au-delà des seuls experts développement durable. Il y a vraiment un avant et un après EP&L chez Kering en matière de politique et de stratégie gouvernementale, d'abord parce qu'on se soucie de tout ce qui se passe dans la chaîne d'approvisionnement alors qu'avant on pouvait être plus centrés sur les activités entre guillemets légales du groupe, le périmètre légal du groupe, et puis aussi parce qu'on a fait sortir la préoccupation écologique du seul giron des experts DD, concrètement. Aujourd'hui, dans les équipes de production, d'achats, de sourcing, chez les financiers, ils savent ce que c'est qu'un EP&L et ils comprennent les enjeux qui y sont associés. Une autre chose importante que ça a apporté à Kering, c'est que ça a développé et que ça continue de stimuler une vraie culture de l'innovation. Encore une fois, quand on mesure les enjeux auxquels on fait face, on se rend bien compte que la simple bonne gestion, la simple économie, la lutte contre les gaspillages, c'est absolument indispensable et primordial, mais ça ne suffit pas à répondre à l'ampleur et à l'ordre de grandeur des enjeux qu'on rencontre. Et donc, on pousse, on suscite, on développe un esprit d'innovation pour essayer de voir comment transformer les façons de faire, et pas simplement de les faire en impactant moins ou en ayant une empreinte environnementale moindre, mais vraiment de les transformer. Et quand on parle de ça, on parle de : comment tanner sans chrome, sans métaux lourds, est-ce qu'il y a des techniques de coloration sans eau, est-ce que on peut utiliser les principes de l'économie circulaire pour la régénération de fibres textiles. Le champ est absolument immense. On n'en est qu'au début, et on sent bien là que dans tout ce qui est technologies, innovations, technologies de rupture, il y a des possibilités considérables de réduction de l'empreinte environnementale. Donc il ne s'agit pas du tout de brider la créativité, il ne s'agit pas du tout de limiter les possibilités de design, de création etc, mais au contraire d'être source d'innovations, d'imagination, de créativité qui servent en même temps la préoccupation écologique. [MUSIQUE]