[MUSIQUE] [MUSIQUE] Dans ce dernier épisode, nous avons demandé à nos témoins de se livrer à un exercice de prospective. Selon eux, à quoi ressembleront la RSE de demain et son reporting. Pour s'acheminer vers une RSE plus performante et porteuse de progrès social et environnemental, quelles évolutions connaît et va connaître le reporting extra-financier ? On peut distinguer dans les témoignages deux grandes évolutions. Un, un reporting RSE dit intégré. Nous verrons dans quelques secondes ce que cela signifie. Deux, un reporting davantage orienté vers les données chiffrées et vers la preuve. Ceci pour répondre aux nouvelles attentes des parties prenantes et ce sera le troisième point que nous aborderons dans cette séquence. Tout d'abord, le reporting RSE tend à être intégré. Nos témoins s'accordent à dire que la RSE joue un rôle de plus en plus reconnu et stratégique dans les entreprises d'aujourd'hui. Pilar Barea, directrice RSE d'Atos, identifie la loi Grenelle en 2010 comme un point clé du développement de la RSE dans les entreprises françaises. Sophie Flak, notre témoin fil rouge d'Eurazeo, affirme quant à elle que les politiques, les scientifiques, les entreprises, et le grand public sont conscients de l'importance d'inventer une économie plus respectueuse de la société et de son environnement. À cet égard, la mobilisation est généralisée dans la société et au sein des entreprises, et les directions RSE bénéficient du soutien des équipes dirigeantes qui n'hésitent pas à glisser un mot préliminaire dans le rapport extra-financier de l'entreprise, comme l'explique Nathalie Touzin, directrice RSE de la MAIF. En conséquence, la RSE, longtemps marginale par rapport au core business de l'entreprise, est de plus en plus intégrée à la stratégie générale de l'entreprise, et la vision d'une RSE qui serait source de coût et non de richesse est de plus en plus démodée et dépassée. Ainsi, Alexandra Palt, de L'Oréal, nous explique que le rapport RSE du groupe est intégré dans le document de référence du groupe et présente un programme ambitieux d'amélioration de la performance extra-financière. Alexandra Palt pense même pouvoir à terme fusionner ce rapport avec le rapport financier de L'Oréal, une ambition qui est partagée par Pilar Barea. Elle envisage pour le groupe Atos un rapport stratégique qui combinera le reporting financier et le reporting extra-financier. Nicolas de Jenlis, senior manager au sein du département du développement durable de Deloitte, précise que le reporting intégré est un sujet nouveau et très complexe. Les entreprises qui s'y livrent comme ENGIE, Saint-Gobain, AXA, en l'affichant ou pas d'ailleurs, sont en mode expérimental. Montrer les corrélations entre données extra-financières et création de valeur reste particulièrement ardu. Si l'on prend l'exemple de la formation, tout le monde s'accorde à dire que c'est un vecteur essentiel de performance pour l'entreprise. Mais, le prouver avec des chiffres est une tout autre histoire. Nicolas de Jenlis nous renvoie aux études de l'International Integrated Reporting Council, IIRC, qui a posé le cadre conceptuel du reporting intégré et à la règlementation. En Grande-Bretagne, les entreprises cotées doivent produire un strategic report qui est clairement une forme de reporting intégré. Ce qui est certain, c'est que la RSE et son reporting sont de plus en plus considérées comme une philosophie à faire adopter par toute l'entreprise et pas seulement un service en marge ou à lisière du cœur du métier, comme nous l'explique Nathalie Touzin, qui rejette une vision purement règlementaire de la RSE. Elle ajoute que cette banalisation positive de la RSE doit passer par une plus grande accessibilité au rapport extra-financier. Il faut favoriser la facilité de lecture et de compréhension de tels documents, ainsi que leur accessibilité sur Internet ajoute Alexandra Palt. Sophie Flak va elle jusqu'à parler d'une dissolution de l'équipe RSE dans les différents métiers d'Eurazeo, une fois la RSE devenue cœur de métier. Apporter des données chiffrées et faire la preuve, c'est une autre tendance lourde du reporting RSE. Benjamin Bergeron d'Atos donne l'exemple des émissions de gaz à effet de serre. Depuis 2016, les grandes entreprises françaises doivent élargir leur reporting sur ce sujet à ce qu'on appelle le Scope 3, c'est-à-dire inclure l'amont et l'aval des activités de l'entreprise, à savoir les émissions qui leur arrivent via leurs fournisseurs et celles liées aux usages de leurs produits et services par leurs clients. Sur le champ environnemental, plus largement, certaines entreprises affichent une forte ambition en matière de mesure de leurs impacts. Nous avons évoqué dans les épisodes précédents l'utilisation de l'ACV, analyse du cycle de vie. Nous allons à présent nous arrêter quelques instants sur l'initiative du groupe Kering en la matière. Cette initiative, c'est la création d'un outil, le compte de résultat environnemental. En anglais, cela fait Environmental Profit & Loss account, que nous présente Elisabeth Didier, directrice du développement durable du groupe Kering. D'abord expérimentée sur la marque Puma d'articles sportifs en 2011, la méthodologie a été étendue à l'ensemble du groupe en 2013. Exploratoire, elle a fait l'objet de nombreux partenariats avec des experts scientifiques et des ONG pour fiabiliser les résultats. Quelle est la philosophie de la démarche? C'est accorder une valeur aux services rendus par la nature, dont on sait qu'ils ne sont pas sans limites. Concrètement, il s'agit d'identifier et mesurer, puis transformer en valeur monétaire les impacts environnementaux des activités de Kering, sur l'ensemble de sa chaîne d'approvisionnement, en incluant l'extraction et la transformation des matières premières dans ses calculs, hors donc du périmètre des activités de l'entreprise au sens strict et hors du périmètre des obligations de reporting règlementaire. L'un des grands enjeux de la démarche, c'est d'avoir accès aux données, en convainquant les fournisseurs de communiquer les leurs, mais aussi en trouvant des partenaires pour aller les collecter sur le terrain lorsqu'elles n'existent pas. Par exemple, dans le cas de l'extraction minière. L'outil a permis à l'entreprise de constater que 90 % de ses impacts sont dans sa chaîne d'approvisionnement et d'adapter ainsi sa politique de développement durable à cette réalité. Cet outil lui permet aussi de nourrir la prise de décision au regard du bénéfice environnemental valorisé monétairement, puisqu'il rend possible les comparaisons entre des projets dans des domaines différents. Par ailleurs, il est source d'une culture de l'innovation, puisqu'il conduit à chercher à transformer les manières de faire, trouver des matières premières différentes ou produites différemment. Les matières premières représentent plus de 50 % des impacts, mais aussi trouver des procédés de fabrication ayant moins d'impact négatif sur l'environnement. Grâce à une libre mise à disposition du compte de résultat environnemental, en collaboration avec la Natural Capital Coalition, Kering permet à d'autres entreprises de se lancer dans la démarche, car comme le dit Elisabeth Didier, il faut y associer autant d'acteurs économiques que possible pour faire bouger les lignes. Si on élargit le sujet des données chiffrées et de la preuve aux impacts sociaux ou sociétaux, la chose est encore moins aisée, comme nous le rappelle Kevin André, professeur à l'ESSEC, spécialisé dans l'évaluation de l'impact des entreprises sociales. Il distingue la réalisation de l'impact. Si la réalisation désigne un changement d'état entre une situation initiale et une situation obtenue après l'intervention de l'entreprise, l'impact lui mesure le changement qui peut être attribué de manière certaine à l'action de l'entreprise. Le reporting RSE doit, selon Kevin André, réussir à dépasser une simple mesure des réalisations pour s'attaquer à l'impact réel de l'entreprise qui suppose qu'elle s'intéresse à son environnement extérieur sur une certaine durée et avec un regard indépendant. Par ailleurs, Kevin André insiste sur un enjeu lié à cette question de l'impact, celui de la comparabilité des données entre entreprises. Cet enjeu peut amener les entreprises à s'intéresser à la monétarisation de leurs impacts. On retrouve là un sujet évoqué par Elisabeth Didier sur le champ environnemental et devrait conduire à une réflexion par secteur d'activité, afin de mettre en place des indicateurs communs. Reporting intégré, orienté, données chiffrées et preuves. Pourquoi ces évolutions? Outre la règlementation, comme nous venons de le voir dans les émissions de gaz à effet de serre, ce sont les parties prenantes qui sont au cœur de ces évolutions en faisant pression sur les entreprises, pour toujours plus de transparence, comme l'affirme Nicolas de Jenlis. Dans ce mouvement, les investisseurs et financeurs jouent un rôle clé. Benjamin Bergeron explique que les acteurs financiers sont obligés depuis 2016 de prendre en compte les politiques RSE des entreprises dans lesquelles ils investissent. Ce qui était le fait d'acteur leader sur ces sujets devient ainsi mainstream. On constate donc que les investisseurs et financeurs voient la performance de façon différente, non plus seulement économique, elle intègre de plus en plus des critères sociaux et environnementaux. Nicolas de Jenlis, manager chez Deloitte, je le rappelle, et Raphaèle Leroy, responsable des relations aux consommateurs et de la RSE de la banque de détail en France de BNP Paribas, nous parlent ainsi du respect des critères ESG, environnementaux, sociaux et de gouvernance, qui sont au centre de la prise de décision d'investissement pour un montant de 60 000 milliards de dollars à l'échelon mondial. La BNP, pour une partie des fonds qu'elle gère, peut même aller au-delà de ces critères en faisant le choix de soutenir des entreprises sociales qui offrent une rentabilité économique plus faible que les entreprises classiques, mais qui ont une vocation sociale et environnementale créatrice de valeur pour la société. C'est ce que l'on appelle l'impact investing, investissement dont la décision repose sur des critères financiers, mais aussi sur l'analyse extra-financière des résultats de l'entreprise vis-à-vis de sa mission sociale, avec la recherche explicite et affirmée d'une rentabilité économique et d'une valeur sociale créée. Nicolas de Jenlis précise à juste titre que cette tendance est encore naissante, marginale, car pour le moment, la grande majorité des entreprises cherchent à éviter l'impact négatif, pas encore à rechercher l'impact positif. Mais, c'est bien l'horizon des stratégies RSE, comme Alexandra Palt de L'Oréal l'exprimait dans le deuxième épisode. Si les enjeux de l'impact investing vous intéressent, je vous rappelle mes trois MOOC sur le sujet, actuellement en ligne sur Coursera. Quels sont les bénéfices attendus de l'action d'une entreprise sociale? Que met-elle en place pour cela? Quels sont ses résultats? À partir du moment où l'on parle d'impact positif, la question de l'évaluation devient centrale. Raphaèle Leroy, Kevin André et Nicolas de Jenlis se rejoignent sur les enjeux forts qui se dessinent en la matière. Pour mener à bien cette analyse, précise Raphaèle Leroy, il est important de savoir s'entourer des bons acteurs, notamment les réseaux d'entrepreneurs sociaux comme Ashoka, ou les cabinets de conseil en impact social comme KiMSO. Aujourd'hui, les sujets qui intéressent nos témoins, issus des grandes directions RSE françaises, sont les émissions de carbone, la consommation d'eau, les énergies renouvelables, ou encore l'innovation digitale et spatiale, et la protection des données personnelles. Mais surtout, la place de l'homme dans l'économie. Si aucun de nos témoins n'a de certitude sur l'avenir de la RSE, tous convergent sur un changement de paradigme radical à venir dans les prochaines années. Selon Nathalie Touzin de la MAIF, l'homme est en passe d'être remis au centre de cette économie, et il est du devoir des entreprises que d'exercer pleinement leurs responsabilités sociétales et d'appuyer ce changement. Nicolas de Jenlis lance ainsi les pistes qui peuvent accélérer ce changement. Si le règlementaire a bien sûr sa carte à jouer, l'actionnaire reste un acteur central qui peut jouer de son influence pour encourager les entreprises à penser à leur impact social et environnemental, en plus de leur impact économique et peut-être même y penser en priorité. [MUSIQUE]