[MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] Bonjour, je suis Kévin André, professeur à l'ESSEC en innovation sociale. Je m'intéresse tout particulièrement aux entreprises sociales et à leur fonctionnement, notamment la question de l'évaluation de l'impact, mais aussi la question de leur changement d'échelle. Toutes les entreprises, il me semble, ne s'intéressent pas évidemment à la question de la mesure de l'impact social. Je pense d'abord qu'il faut faire une première distinction entre des entreprises qui ont une finalité sociale, qu'on peut appeler des entreprises sociales, et des entreprises qui n'ont pas une finalité sociale, des entreprises à but lucratif. Les entreprises à finalité sociale, les entreprises sociales par définition doivent absolument mesurer leur impact social. C'est pas un reporting qui viendrait en plus ou à côté de leur activité, c'est d'une certaine façon un reporting qui fait partie de leur activité, de leur raison d'être. Par exemple une entreprise d'insertion, une entreprise dans le domaine de l'insertion par l'activité économique, qui a pour mission de réinsérer les personnes éloignées de l'emploi, dans le coeur de son activité, elle se doit de faire une mesure de son impact, c'est-à-dire, a-t-elle permis ou non à des personnes éloignées de l'emploi de revenir dans le monde de l'emploi et d'être plus employables qu'auparavant. Si on s'intéresse aux entreprises lucratives qui n'ont pas pour finalité leur impact social, il y en a tout à fait qui ne se préoccupent pas de mesurer leur impact. D'autres le font, et là encore je pense qu'il faut faire une distinction entre celles qui le font quelque part par contrainte, parce qu'elles sont attaquées ou attaquables, sur ce qu'on appelle, ce que les économistes appellent leurs externalités négatives, c'est-à-dire l'impact négatif qu'elles peuvent avoir sur la société. Il y a d'autres entreprises à but lucratif qui s'intéressent de façon plus positive à la mesure de l'impact. Par souci ou par choix des dirigeants, par souci aussi d'une quête de sens de plus en plus importante dans le monde de l'entreprise, y compris classique. Des salariés qui veulent savoir pourquoi ils travaillent tous les jours. Et donc mesurer l'impact positif, de façon positive permet à l'organisation et aux collaborateurs de savoir pouquoi ils contribuent au quotidien à l'activité de l'entreprise. Et puis il y a des raisons plus stratégiques, puisque parfois des entreprises font le choix d'internaliser cette question de l'impact social dans leur stratégie et aussi dans leur positionnement. On peut prendre par exemple le cas d'entreprises dans le domaine du commerce équitable, qui vont faire le choix d'avoir des sous-traitants qui sont favorisés, plus favorisés que d'autres structures sur le plan de l'accompagnement social, économique, pour être plus respectueux, on va dire, des conditions de vie, mais aussi dans une logique d'empowerment, d'éducation, de favoriser des conditions positives de travail. Sur la question des indicateurs, c'est vrai que c'est pas évident. C'est-à-dire une fois qu'on a en tête, qu'on a le souhait de mesurer son impact, soit parce qu'on y est contraint d'une certaine façon, de façon négative, soit parce qu'on a envie d'en faire quelque chose d'important dans la stratégie d'entreprise ou dans la culture d'entreprise, on se confronte effectivement à des questions de faisabilité. Là je crois qu'il faut mettre en avant la principale difficulté qui est la différence entre des indicateurs de réalisations et des indicateurs d'impacts. Les indicateurs de réalisations c'est quand on mesure ce que l'on fait ce que l'entreprise mène comme activités. Si je prends par exemple des plateformes collaboratives d'économie circulaire, des plateformes dans lesquelles on partage des biens. Plutôt que d'acheter des objets neufs, on va plutôt essayer de se prêter ou de revendre des biens d'occasion, on pourrait effectivement imaginer que là il y a un impact positif, et donc ces plateformes vont mesurer leurs réalisations. C'est quoi leur réalisations? En l'occurrence, c'est le nombre par exemple d'objets qui a été troqué, échangé, revendu etc. Mais quand on mesure ces réalisations, on ne mesure pas nécessairement l'impact. C'est quoi la différence? C'est que l'impact, c'est la question de l'attribution. Est-ce qu'on est sûr que ce qui a été réalisé par cette entreprise ou par cette organisation est bien positif de façon nette par rapport à ce qui se serait passé si l'entreprise n'avait pas été là. Si on reprend l'exemple de l'économie circulaire, il faut se poser la question de l'effet de substitution. Est-ce qu'on est sûr que quand la personne au lieu d'acheter un objet neuf, va plutôt l'acheter d'occasion, est-ce qu'on est sûr que l'achat d'occasion se substitue bien à l'achat neuf. C'est pas évident. Si on fait le lien avec le reporting RSE, clairement, quand on regarde des reporting, on voit, et c'est normal que, il y a principalement une mesure de ce que j'ai appelé les réalisations, la mesure des activités menées par l'entreprise, parce que tout simplement c'est plus facile à mesurer. Donc là, la question qui se pose, c'est : dans quelle mesure une entreprise peut intégrer dans son reporting RSE une vraie mesure d'impact, c'est-à-dire une mesure qui intègre ce qui se serait passé, la différence avec ce qui se serait passé si elle n'avait pas été là? Ce qui suppose, c'est beaucoup plus compliqué évidemment de s'intéresser à l'environnement externe. Du coup on ne peut plus être dans une mesure interne. Ça c'est la première difficulté, c'est qu'il faut forcément récupérer des données externes à l'entreprise. Deuxième difficulté c'est que souvent la question de l'impact, elle se joue dans la durée. On a souvent, on est souvent obligé d'avoir une approche qu'on appelle longitudinale. C'est-à-dire de regarder sur deux ans, trois ans qu'est-ce qui s'est passé et en quoi l'activité de l'entreprise a changé quelque chose ou pas. Donc ça c'est une deuxième difficulté. La troisième difficulté c'est que la mesure d'impact, elle demande généralement une forme d'indépendance dans l'évaluation, et donc quelque part, on est obligé, quand on s'intéresse à l'impact, de passer d'un reporting interne à une forme d'évaluation avec un point de vue externe, pour éviter une forme de partialité dans les résultats. Alors comment on peut imaginer la suite et comment peut-être la mesure d'impact social peut petit à petit prendre sa part dans la manière dont on mène le reporting RSE? Il y a un gros sujet dans les questions d'impacts qui est la question de la comparabilité. Comment on fait pour que telle entreprise qui va mesurer son impact, telle autre qui mesure également son impact, comment on fait pour pouvoir comparer leurs impacts respectifs? Il y a deux voies là-dessus qui se sont dessinées jusqu'à présent. Une voie qui consiste à ce qu'on appelle monétariser, c'est-à-dire qu'on va transformer l'impact social ou environnemental en euros. On va essayer de mesure par exemple combien coûte le fait que les personnes ne trouvent pas un emploi ou mesurer le coût rapporté à des tonnes de CO2 etc, etc. Il y a une deuxième approche, plus dans le monde social que dans le monde environnemental, qui est de se rapprocher de ce qu'on appelle l'économie du bonheur ou l'économie du bien-être, et d'essayer de mesurer de manière comparable les impacts des uns et des autres, en rapportant tout cela à une mesure du bien-être, à une mesure subjective. Il me semble de mon point de vue que vouloir comparer toutes les entreprises entre elles, ou plus exactement l'impact de toutes les entreprises entre elles est vain. Je pense que ce n'est pas possible. En revanche, raisonner par secteur d'activité et se mettre d'accord sur des indicateurs communs par secteur d'activité, des indicateurs partagés, me paraît là une voie d'avenir. Et que ce soit sur le sujet du handicap, que ce soit le sujet de l'emploi limité, que ce soit sur les questions environnementales, sur l'économie de la fonctionnalité dont on a parlé, que ce soit dans le domaine du commerce équitable etc, etc, qu'on puisse partager et mettre en commun des indicateurs me paraît particulièrement adapté, ne serait-ce que pour avoir des phénomènes de benchmarks internes aux secteurs et pour pouvoir là encore aider les entreprises à non seulement mesurer, mais surtout accroître leur impact de manière positive. [MUSIQUE]