[MUSIQUE] Nous accueillons Étienne Campredon qui est consultant chez Deloitte Développement Durable. >> Bonjour. >> Étienne, vous vous occupez des droits humains avec l'équipe de Deloitte Développement Durable. Ma première question est de savoir en quoi la responsabilité des entreprises vis-à-vis des droits humains a évolué ces dernières décennies? >> Des principes directeurs sur les droits de l'homme et les entreprises ont été adoptés par l'ONU. Ces principes directeurs changent un peu de la Déclaration universelle des droits de l'homme parce que ils mettent en scène l'entreprise. Vous avez tout un volet qui est lié à la responsabilité qu'ont les États de protéger les droits humains et vous avez ce deuxième volet qui est la responsabilité qu'ont les entreprises de protéger ces droits humains. C'est-à-dire qu'on passe de l'État fait tout à l'État donne un cadre et les entreprises doivent le respecter. >> Ces grands principes que vous avez exposés, concrètement ça veut dire quoi? >> Ces grands principes, comme vous dites, ce sont des principes fondateurs. Ça veut dire que ça donne une base aux États pour développer des législations et des lois que les entreprises vont devoir appliquer. On passe du soft law, qui est un cadre, à une loi contraignante que les pays sont en charge de mettre en place. L'exemple le plus parlant en tant que Français, c'est qu'en 2017 a été votée la loi sur le devoir de vigilance. Cette loi impose aux grandes entreprises, c'est-à-dire qui dépassent les seuils de 5 000 employés en France ou, si ce sont des filiales, de 10 000 employés à l'étranger, de publier un plan qui permet d'analyser les risques de leur activité ou de celle, et c'est très important, de leurs fournisseurs et de leurs sous-traitants ; d'analyser ces risques, des les évaluer et de mettre en place des actions qui vont permettre de les réduire. Le dernier volet que demande la loi, c'est la mise en place d'un dispositif d'alerte qui doit être à destination de l'intégralité des parties prenantes de l'entreprise. >> Quels sont les grands enjeux pour les entreprises et quelles sont les grandes questions auxquelles elles sont confrontées? >> On va dire que la stratégie RSE d'une entreprise, que les politiques qui sont mises en place en interne sur la représentation syndicale, l'égalité hommes-femmes, les procédures qui sont mises en place au niveau des achats, au niveau des RH, c'est une première partie des droits humains en entreprises. La deuxième partie dont je vous parlais, ce sont les cas extrêmes. Ce sont des cas dont on entend moins parler. Vous avez dedans par exemple, les conditions de travail insalubres ou les cas de travail forcé. Les conditions de travail insalubres, je prends l'exemple du Rana Plaza en 2013. C'est un immeuble dans lequel travaillaient des employés qui travaillaient pour des marques européennes. L'immeuble s'est effondré. Il y a eu 1 500 morts et 2 000 blessés. C'était une catastrophe. Ça a attiré l'attention des médias sur le fait que des entreprises qui fonctionnent et qui travaillent dans nos pays, qui sont localisées dans nos pays délocalisent dans des zones à risque, je pense à l'Asie du Sud-Est, je pense à l'Afrique subsaharienne, et ne font pas forcément attention aux conditions de travail des employés qui travaillent dans ces zones-là. Ces cas de conditions insalubres sont couplés à des cas de travail forcé. Il ne faut pas les oublier. Il ne faut pas oublier qu'il y a 45 millions de personnes qui sont soumises au travail forcé aujourd'hui dans le monde, selon une récente étude de l'Organisation internationale du Travail. Parmi ces 45 millions de personnes, vous avez une dizaine de millions sur le travail d'enfants. >> Maintenant, on va s'intéresser à la question du reporting. Comment est-ce que l'entreprise va partager et va communiquer les informations et les éléments relatifs à ces questions? >> Évidemment, il y a plusieurs manières de faire. D'abord, pour introduire le sujet, nous, ce qu'on préconise, c'est d'avoir une communication aussi transparente que possible. Il faut garder en tête qu'une communication transparente permet à tout le monde de suivre la performance de l'entreprise sur le même référentiel. Ensuite, vous avez plusieurs types de communication : les communications officielles et la communication plus corporate. La communication officielle, je pense par exemple au rapport annuel des entreprises, qui est un document d'environ 300 pages et qui sert à donner des informations sur la gestion des entreprises, les événements qui se sont passés dans l'année, les comptes financiers, les informations extra-financières, et qui est lu majoritairement par les investisseurs et vérifié par un tiers indépendant. Dans ce rapport annuel, vous avez aussi le plan de vigilance. La communication corporate a un enjeu très différent. Elle est plus à destination des autres parties prenantes, donc qui ne sont pas les investisseurs. De plus en plus, sur les sites Internet des entreprises, vous avez une partie sustainable development qui permet de suivre la performance environnementale, mais aussi la performance sociale. >> Pour conclure notre propos, si on précise et on revient sur les parties prenantes, quelles sont les principales attentes des parties prenantes que vous avez pu identifier? >> Les principales parties prenantes : vous avez les investisseurs d'abord, qui sont responsables des financements des entreprises. Les investisseurs ne vont plus investir dans une entreprise qui risque de voir son image ternie par un scandale, par un cas de travail forcé, par un cas d'embauche d'enfants. Ensuite, vous avez les consommateurs. Les consommateurs ont pris conscience qu'ils avaient un impact, en achetant un produit, sur les conditions de travail des personnes qui le produisent. Aujourd'hui, les consommateurs ont envie d'un produit sain. Ils ont aussi envie d'un produit qui leur laisse l'esprit tranquille. C'est-à-dire, qu'ils n'ont pas envie de faire partie d'un système dans lequel pour produire vous faites travailler des enfants. Respecter les attentes de ces parties prenantes, aujourd'hui c'est primordial pour les raisons que je vous ai énoncées. Si on résume, les entreprises sont concernées par les droits humains de manière complètement directe, parce qu'elles veulent que leurs investisseurs continuent d'investir et elles veulent gagner leur confiance. Elles veulent que les consommateurs continuent d'acheter. Elles veulent que le reste des parties prenantes leur fasse confiance. Elles veulent avoir le droit d'opérer. Et elles veulent, évidemment, éviter autant que possible les pénalités et les sanctions imposées par les lois qui sont votées aujourd'hui et qui sont de plus en plus contraignantes. [MUSIQUE]