[MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] Bonjour professeur Mathis Plapp. Vous êtes directeur de recherche au CNRS et professeur à l'École polytechnique, au laboratoire de physique de la matière condensée et aussi éditeur au Journal of Crystal Growth. Donc l'interview ici, ça va être plutôt pour présenter cette deuxième casquette. Est-ce que vous pourriez dans un premier temps nous présenter le but de votre journal? >> Avec plaisir. Donc Journal of Crystal Growth, si je traduis, ça veut dire journal de la croissance cristalline. Donc comme dit le nom, c'est un journal qui parle de la croissance des cristaux. Alors pour ça, il faut savoir que, un grand nombre de matériaux que nous utilisons sont sous forme cristalline. Par exemple les puces microélectroniques qui sont à l'intérieur de nos ordinateurs et tous nos appareils électroniques sont faits de plaques minces de silicium monocristallin, donc c'est un cristal parfait de silicium. La plupart des métaux sont sous forme polycristalline, donc c'est un assemblage de grains cristallins. Et donc il est important de savoir contrôler le processus de cristallisation pour générer des matériaux avec des propriétés prédéterminées, OK. Et dans notre journal, est dédié à ça, c'est-à -dire nous publions des articles expérimentaux, théoriques et de simulations sur tous les aspects de la croissance cristalline, comment se forment les cristaux et sous quelles conditions se passe quoi, voilà . >> Du coup, est-ce que vous pourriez nous expliquer ce qui se passe quand un manuscrit est soumis dans votre journal? >> Tout à fait. Le manuscrit va d'abord chez l'éditeur principal, qui vérifie quelques aspects formels, qui regarde ce que c'est et après, il dispatche le manuscrit chez un des éditeurs associés comme moi. Nous sommes une équipe d'à peu près 20 personnes qui sommes tous spécialisés dans différentes espèces de la croissance cristalline. Et donc il sélectionne une personne, il donne le manuscrit à cette personne-là , et c'est cette personne-là après qui gère tout le processus éditorial. >> D'accord. Du coup quel est donc votre rôle précis en tant qu'éditeur une fois que vous recevez un manuscrit de la part de l'éditeur principal? >> Alors, donc je prends le manuscrit et je le lis d'abord. Et donc j'essaie de me faire une idée générale, et donc notamment, j'essaie de me faire une première idée de la qualité du manuscrit. Si je juge qu'il est mauvais, je vais le rejeter à ce stade du processus, c'est-à -dire ça s'appelle un rejet éditorial. Et ça peut être pour différentes raisons : soit la qualité est mauvaise, soit ça ne rentre finalement pas dans le champ du journal. Voilà . Si je juge que la qualité est suffisante, là je dois choisir des évaluateurs, des referees en anglais, et donc je choisis des experts donc concernés par le manuscrit, et ça c'est mon expertise principale, c'est-à -dire moi je dois, au vu du sujet d'un manuscrit je dois déterminer quels sont les experts les plus appropriés pour juger le contenu de ce manuscrit. Donc après le manuscrit envoyé chez les experts, je reçois leurs rapports et après je dois décider. Il y a plusieurs possibilités. Soit le manuscrit est rejeté à ce stade-là , soit je retourne le manuscrit avec les commentaires des reviewers aux auteurs pour leur donner la possibilité d'améliorer leurs manuscrits. Il est très rare, mais ça arrive que l'article est tout de suite accepté comme il est sans modification, c'est quand il est très bon. >> Est-ce que vous pouvez nous décrire les critères qui font qu'un article est rejeté et quelles sont les principales raisons du rejet d'un article? >> Alors donc les deux principaux critères pour avoir une publication dans notre journal, c'est un peu à deux niveaux que ça se situe. Le premier niveau, c'est que, il faut que l'article soit correct. C'est-à -dire que tout ce qui est décrit est bien décrit, c'est-à -dire les expériences sont bien détaillées, les équations sont mis de bout en bout et que toute la procédure qui a été utilisée pour obtenir les résultats est bien décrite. Donc on doit vérifier des choses sur la forme, et sur le fond. C'est-à -dire il faut que tout soit raisonnable pour qu'on puisse le reproduire, et il faut que les choses soient bien présentées avec un anglais correct, avec des figures et des tables de bonne qualité. Donc ça c'est l'aspect formel. Donc ça en quelque sorte c'est le prérequis. S'il y a des problèmes avec ça, c'est une raison pour rejeter. Après il y a un deuxième critère qui est plus difficile à évaluer, c'est la nouveauté. Parce qu'en principe pour publier dans un journal scientifique, il faut que le travail soit nouveau. Donc si vous faites un travail et si vous écrivez un article qui est très bien écrit mais qui est trop proche d'un autre article qui est déjà publié, eh bien ça sera une raison pour rejet. Il faut que l'article contienne des faits nouveaux, Soit des nouvelles données expériences, soit une nouvelle méthodologie expérimentale, soit une nouvelle théorie qui n'a pas été publiée avant. Et donc ça c'est principalement le rôle des experts, de savoir juger l'aspect de la nouveauté. C'est souvent aussi ce qui prête le plus à débat, voilà . Donc les raisons pour arranger c'est soit qu'il y a des faiblesses formelles, soit c'est jugé comme pas étant suffisamment nouveau. >> OK, et donc est-ce que vous auriez des conseils particuliers pour éviter ces problèmes-là . J'imagine que le journal fournit un guideline des règles minimales à suivre ou quelque chose comme ça? >> Alors le premier conseil à donner, vraiment c'est qu'il faut bien travailler les aspects formels du manuscrit. C'est-à -dire, il faut que le texte soit bien rédigé. On reçoit des manuscrits avec des fautes de frappe. Donc c'est pas vraiment excusable de nos jours où il y a des correcteurs d'orthographe. Mais il y a aussi à faire attention sur la liste des références, que tout est correct, que les figures soient bien mises en page, que les actes soient bien labellisés, que dans les tables, il y a toujours les bonnes unités et tout ça. Donc ça, c'est des détails qui peuvent paraître un peu fastidieux, mais c'est essentiel pour éviter un rejet au stade éditorial. Et puis eh bien le deuxième conseil, mais qui est beaucoup plus difficile bien sûr parce que ça touche au coeur du travail créatif du scientifique, c'est qu'il faut que le papier ait un message. Mais justement, le message ou l'histoire, ça c'est pas quelque chose que vous pouvez trouver dans les guidelines. Ça c'est quelque chose que vous devez développer dans votre travail de scientifique. Dans les guidelines, au fait il y a relativement peu de choses. Les guidelines sont essentiellement sur des aspects formels où il est écrit justement que les tables doivent être dans tel format, et les références sont dans tel format et si vous mettez une équation, il faut un numéro à droite, voilà . Donc ça c'est les guidelines techniques, qui sont d'ailleurs tout à fait comparables à ce qu'il y a dans d'autres journaux. Donc il n'y a rien d'étonnant là -dedans. C'est vraiment des aspects formels. >> Du coup si on résume un peu, un auteur >> va rédiger un article, donc on a bien compris que la partie apport de sa recherche dépend uniquement de lui, en suivant les guidelines fournis par le journal sur son site, il est accepté. Est-ce que vous pouvez nous dire combien de temps s'écoule entre son acceptation et sa publication effective dans le journal? >> De nos jours ça va assez vite. C'est-à -dire dès que l'article est accepté, ça va dans le département de production. Donc là , ma tâche est finie, mais donc eux ils mettent ça en forme avec la mise en page du journal. Ils attribuent les numéros de pages et tout ça, les numéros d'articles, et donc après, c'est très rapidement publié sur le Web. C'est-à -dire normalement deux, trois semaines après l'acceptation, c'est déjà publié sur le Web. Après pour être imprimé, si on veut encore l'imprimer aujourd'hui, ça dure un peu plus de temps. Donc pour aller dans un volume donné du journal, ça prend quelques mois, mais la publication sur le Web est très rapide. >> D'accord. Donc on a bien vu comment s'effectuait la publication d'un article dans le système de révision par l'expert classique, est-ce que vous pourriez nous donner votre point de vue sur un système qui reste encore à définir aujourd'hui, et quelles seraient les différences principales avec le système plus classique? Alors, il y a beaucoup de choses à dire sur ce sujet, parce qu'effectivement, on vit actuellement une révolution du système de publication, essentiellement par la disponibilité de toutes les ressources Web. Alors il y a plusieurs niveaux dans le open source. Ce qui existe depuis bien 20 ans au moins, c'est les serveurs de preprint. C'est-à -dire c'est des archives ouvertes où tout et chacun au moins tout et chacun qui fait partie d'une communauté identifiée peut déposer un manuscrit qui est visible par toute la communauté. Donc dans ce modèle-là , il n'y a pas d'expertise et il n'y a pas de sélection. Voilà , donc ça c'est le niveau de base de la publication ouverte. Après, depuis une quinzaine d'années, il y a les journaux open access qui ont vu le jour, et là le processus d'évaluation des manuscrits est au fait pas très différent du processus classique que je viens de décrire. Ça marche pareil, il y a des éditeurs, il y a des experts, les délais sont souvent aussi similaires. Là , la principale différence au fait c'est les modèles de financement. Parce que les journaux classiques, qu'on dit aussi journaux à souscription, ils se financent par les abonnements qui sont pris par les bibliothèques. Donc les bibliothèques paient un montant annuel pour pouvoir recevoir régulièrement les copies du journal. Donc en quelque sorte c'est le demandeur ou le lecteur qui doit payer ces journaux-là . Le modèle de l'open access c'est l'inverse. Là c'est l'auteur qui doit payer. C'est-à -dire l'auteur paie un droit une fois, et le journal open access met l'article sur l'internet, mais en libre access pour tout le monde. C'est-à -dire vous ne payez pas si vous voulez lire ces articles. Vous payez au contraire si vous voulez les publier, voilà . Donc ça, depuis son introduction il y a 15 ans, ça a pas mal gagné en puissance. Actuellement, on ne sait pas de quel côté ça va pencher. Je ne suis pas convaincu que les deux systèmes puissent coexister pour longtemps l'un à côté de l'autre, ne serait-ce qu'à cause des problèmes de financement dix fois double de la main publique. Ma prédiction à moi c'est que c'est le open access qui va l'emporter, mais on ne peut pas être sûr. >> D'accord. Merci beaucoup professeur Plapp pour cette interview. J'espère que tous ces conseils vont être très utiles pour nos apprenants et qu'ils ont pu percevoir un peu mieux ce qui se passait du point de vue d'un éditeur d'un journal. Merci. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE]