Bonjour. Cette leçon porte sur la localisation, élément fondamental dans la planification des mobilités, et s'intéresse tout particulièrement à la compréhension des mécanismes à l'œuvre dans les choix de localisation résidentielle des ménages et des implantations des activités économiques. Dans cette présentation en trois temps, je reviendrai tout d'abord sur les enjeux liés à la localisation des ménages et des entreprises et des formes urbaines qui en résultent. Je présenterai ensuite les principaux déterminants des choix de localisation des ménages et des entreprises, mettant l'accent sur les arbitrages de marché entre coût de transport et prix de l'immobilier, sur l'impact de l'environnement, qu'il s'agisse des aménités sociales ou spatiales, ou des économies d'agglomération, ou sur le rôle des politiques publiques. Je terminerai, en guise de conclusion, par un exemple d'outil prenant en compte les interactions entre transport et localisation dans une démarche de prospective. Dans un contexte marqué par le renforcement des contraintes énergétiques liées à la raréfaction des énergies fossiles, de la contrainte environnementale associée à la croissance des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur du transport, et de la contrainte financière limitant la capacité d'investissement public dans les grandes infrastructures, la maîtrise et le management indirect de la mobilité à travers l'agencement des localisations et des ménages et des entreprises représentent un enjeu majeur pour la planification des mobilités. La localisation dans le centre, en première couronne, ou en périphérie plus lointaine, est un facteur explicatif important des comportements de mobilité, du choix de localisation des transports, des distances parcourues, ou des émissions de CO2 associées aux déplacements des individus ou au transport de marchandises. Les localisations des ménages et des établissements sont à l'origine d'une croissance urbaine marquée par l'étalement urbain, la densification des espaces de plus en plus éloignés des centres des agglomérations par la spécialisation fonctionnelle, et la séparation des espaces résidentiels des espaces d'activités, ou la séparation des activités de décision sensibles au face-à-face, des activités d'exécution moins sensibles au face-à-face et plus facilement délocalisables en périphérie, et par la ségrégation urbaine et la séparation des catégories sociales. Si l'étalement urbain et la spécialisation fonctionnelle des territoires participent à l'allongement des distances et à la croissance de l'usage de la voiture, la ségrégation urbaine renforce l'enclavement des populations des quartiers défavorisés. Voilà comment ces différentes formes de croissance urbaine peuvent influencer de manière indirecte les pratiques de mobilité et poser ainsi des problèmes de nature à la fois économique, sociale et environnementale. L'exemple de la fameuse courbe de Newman et Kenworthy ci-contre illustre la baisse de la consommation de carburant en fonction de la densité de population des villes américaines, australiennes, européennes et asiatiques, et confirme bien le lien entre formes urbaines étalées ou à faible densité et usage de la voiture pour les mobilités. Elle a ouvert la voie à plusieurs travaux à l'échelle urbaine et met en avant l'importance de la compréhension des logiques de la localisation qui sont à l'origine de ces formes urbaines. Alors, qu'est-ce qui explique les choix de la localisation des ménages et des activités économiques? Trois grands mécanismes sont mis en avant par la littérature théorique et empirique dans le choix de localisation des ménages et des entreprises. Le premier mécanisme est celui des contraintes économiques du marché dans lequel le ménage ou l'entreprise arbitre, lors de son choix de localisation, entre le prix du foncier et de l'immobilier, d'une part, et du coût de transport, d'autre part. Le deuxième mécanisme est régi par les préférences et sensibilités des ménages et des entreprises par rapport à l'environnement urbain. L'environnement urbain, ici, englobe plusieurs facteurs tels que les aménités spatiales permettant aux ménages de réaliser leurs activités et loisirs en dehors du travail. Il englobe également l'environnement social du quartier et sa composition socio-économique et culturelle, voire ethnico-raciale, auxquels les ménages peuvent être sensibles dans leur choix de localisation. Même si les entreprises peuvent être également sensibles à l'environnement social, via leurs salariés ou leurs clients, c'est le facteur des économies d'agglomération qui est le plus souvent pris en compte dans les choix de localisation des activités économiques. Ces deux premiers mécanismes agissent à l'échelle micro et dépendent des comportements des ménages et des entreprises. Le troisième mécanisme agit quant à lui au niveau macro, à travers l'action des politiques publiques dans l'offre de localisation et ses caractéristiques réelles ou perçues. Le premier mécanisme d'arbitrage entre prix du foncier et immobilier, d'une part, et coût de transport, d'autre part, fait référence à la rente d'enchère issue de travaux très anciens en économie spatiale, et notamment du travail pionnier de Von Thünen au XIXe siècle sur la répartition des cultures autour d'un marché situé au centre et où le facteur discriminant est la distance au centre. Ce travail a été développé et adapté à la localisation résidentielle des ménages dans les années 1960 par Alonso. Et d'autres travaux ont combiné firmes et ménages pour analyser les localisations sous le même paradigme de la rente d'enchère et l'arbitrage entre prix de l'immobilier et coût de transport, représenté à partir d'une distance au centre, comme l'illustre la figure ci-contre. Dans cet exemple, les activités avec les plus fortes capacités d'enchère sont les plus sensibles à l'interaction en face-à-face et se retrouvent au centre pour bénéficier de la meilleure accessibilité. Les manufactures lourdes sont en revanche plus loin, en périphérie. Au-delà de l'arbitrage entre marché foncier et coût du transport, les activités économiques sont très sensibles à l'environnement urbain et aux économies d'agglomération. Selon Alfred Marshall, ces économies d'agglomération sont liées à trois sources : les économies reliées à la proximité d'un grand nombre de fournisseurs spécialisés en biens intermédiaires et services, celles reliées à la présence d'un plus grand bassin de main d'œuvre spécialisée et stable, et celles liées à la diffusion des connaissances, ou ce qu'on appelle les externalités technologiques. Il existe deux types d'économies d'agglomération : les économies d'agglomération intra-industrielles, ou les économies de localisation entraînant la spécialisation à travers la concentration de firmes d'un même secteur d'activité en un même lieu géographique dans lequel se constitue un réseau de liens en aval et en amont spécifique à ce secteur. Aussi, par la similarité de leurs activités, la transmission de l'information serait plus pertinente et plus fluide au sein du même secteur. Par contre, les économies d'agglomération inter-industrielles, ou ce qu'on appelle les économies d'urbanisation, découlent de la diversité industrielle d'une région. La présence d'un grand nombre de secteurs d'activité et de services différenciés dans une même région permet de répondre plus adéquatement aux besoins des firmes et des habitants qui s'y trouvent. De plus, les externalités technologiques se diffusent, non seulement au sein d'une seule et même branche, mais jouent en faveur de l'ensemble du tissu industriel de la région. Ainsi, certaines entreprises sont sensibles à la coprésence d'entreprises du même secteur, alors que d'autres ont une préférence pour la diversité. En aménageant différents types de zones d'activité, les acteurs locaux essaient de favoriser cette forme de coprésence afin d'améliorer l'attractivité de certains territoires. Les ménages sont sensibles, dans leur choix de localisation, à la présence des aménités spatiales dans l'environnement urbain. Le travail de Thibaud en 1956 est le premier à avoir abordé le rôle des aménités dans la localisation résidentielle, à travers les préférences pour les biens publics locaux. Les ménages aisés ont tendance à se localiser dans des zones aisées pour bénéficier des équipements publics de bonne qualité, tels que les écoles, tout en optimisant le niveau de leurs taxes, la qualité des écoles étant un des facteurs les plus déterminants des choix de localisation des ménages, aujourd'hui. On peut distinguer, dans la catégorie des aménités spatiales, les aménités exogènes considérées comme caractéristiques spatiales de la zone, aménités naturelles, telles que la proximité de fleuves ou des espaces verts, ou aménités historiques, telles que les musées, et de l'autre côté, les aménités endogènes ou modernes, qui dépendent en grande partie des conditions économiques du quartier, et notamment du niveau de vie de ses habitants. Je peux citer les équipements sportifs, tels que les terrains de golf, les théâtres, ou les restaurants. L'autre élément de l'environnement urbain auquel les ménages sont les plus sensibles, au-delà du niveau d'aménités spatiales, c'est la composition sociale, à travers la préférence pour les interactions sociales. Nous retrouvons les phénomènes de recherche d'entre-soi, notamment chez les populations aisées, mais aussi des phénomènes de fuite et d'évitement des quartiers modestes, par aversion aux externalités négatives qui sont associées à l'interaction potentielle avec les habitants de ces quartiers. Les travaux empiriques que nous avons menés à Lyon montrent le poids des préférences pour l'environnement social, caractérisé à partir de la répartition des populations par classes de revenus, est de loin le plus élevé, montrant ainsi que la ségrégation n'est pas seulement conséquence des choix de localisation résidentielle, mais est également déterminant de ce choix. Bien que la majorité des quartiers de l'aire urbaine de Lyon soit mixte, comme le montre cette carte, la polarisation sociale et l'opposition entre la couronne est, avec une majorité de populations modestes, et la couronne ouest de l'agglomération lyonnaise, avec une majorité de populations aisées, est très structurante de la forme urbaine. Elle est également source de phénomènes de recherche d'entre-soi, de fuite, et d'évitement importants qui sont structurants pour les choix de localisation résidentielle des ménages. Le troisième et dernier facteur influençant les choix de localisation est celui de l'intervention des politiques publiques en tant que macro-agent. Les politiques publiques peuvent influencer le marché en excluant une partie de l'offre, à travers la réservation des logements à loyer modéré pour les populations défavorisées, comme c'est le cas en France, à travers l'exemple des grands ensembles affichés dans la photo ci-contre. Cela concerne également tous les logements réservés aux étudiants dans les résidences universitaires, ou les logements de fonction. Ces mêmes politiques peuvent également exclure une partie de la demande du marché, à travers les pratiques de zonage d'exclusion, ou la construction des résidences fermées, comme l'illustre la photo à côté des gated communities. Il s'agit également de politiques délibérément discriminatoires, comme les pratiques de redlining, où tous les demandeurs de prêt immobilier avec des origines afro-américaines étaient exclus en soulignant simplement leur nom en rouge sur la liste. Les politiques publiques peuvent influencer les préférences des entreprises en les incitant à s'implanter dans des zones avec d'autres activités économiques, afin de profiter des économies d'agglomération, et cela à travers les zones d'activités, sous leurs différentes formes. Elles peuvent également influencer les préférences des ménages pour certains quartiers en mettant en avant la valorisation de certains modes de vie, en jouant également sur des images positives. Pour conclure, la localisation est un facteur important à prendre en compte dans la planification des mobilités, il est déterminé par les arbitrages du marché, entre prix de l'immobilier et coût de transport, et par les préférences des ménages et des entreprises pour l'environnement urbain. Il est également influencé par les politiques publiques qui peuvent influencer le marché ou les préférences des ménages et des entreprises pour agir sur les choix de localisation et, par conséquence, sur les mobilités. Ainsi, il est important de comprendre les interactions complexes entre mobilité et localisation des ménages et des entreprises, et proposer des outils intégrant ces interactions dans une démarche de prospective et de planification de la mobilité, comme c'est le cas de l'outil SIMBAD pour simuler les mobilités urbaines pour une agglomération durable, illustré ci-contre, et développé par mes collègues chercheurs au laboratoire Aménagement, Économie, Transports. [AUDIO_VIDE]