[MUSIQUE] [MUSIQUE] Pourquoi s'intéresser aux conséquences de la philanthropie? Puisque la philanthropie est l'expression de l'amour de l'humanité et de l'altruisme, n'est-elle pas intrinsèquement louable et positive? Pourquoi s'intéresser à ses effets sur le monde puisqu'elle est avant tout l'expression de valeurs intimes et personnelles? Se préoccuper de l'impact de ses dons, n'est-ce pas une démarche inappropriée dans le cadre d'un acte qui devrait être avant tout gratuit et désintéressé? Ces raisonnements ont longtemps prévalu et sont encore parfois utilisés lorsque ce sujet des conséquences de la philanthropie est abordé. Alors, il est vrai que la philanthropie est une démarche libre et indépendante, et que les philanthropes ne sont légalement redevables qu'à eux-mêmes ou à leur conseil d'administration s'ils agissent par le biais d'une fondation. Cette autonomie d'action est d'ailleurs considérée comme l'une de ses grandes forces. Pourtant, si la philanthropie est l'expression sincère d'un souci de l'autre, elle a une incidence sur la vie des bénéficiaires. Le philanthrope a donc une responsabilité morale de se soucier de l'effet que ses dons auront effectivement sur ceux qu'il soutient. Dans la mesure où ses dons bénéficient par ailleurs d'avantages fiscaux, le philanthrope a également la responsabilité de se soucier de la bonne utilisation de ces sommes que l'État lui a permis de flécher au service de l'intérêt général. Le philanthrope a donc quelque part le devoir de se poser les questions suivantes. Quels sont les effets positifs mais aussi possiblement négatifs de mes dons? Ont-ils eu les effets escomptés sur les bénéficiaires et sur la société? Auraient-ils pu avoir des effets encore plus positifs s'ils avaient été utilisés différemment? Nombreux sont les exemples d'initiatives philanthropiques ayant réellement contribué à des changements positifs de société. Au début du XXe siècle, en France, les fondations Rothschild ou Lebaudy s'intéressent, avant les pouvoirs publics, aux enjeux du logement insalubre et financent les premiers habitats bon marché, les HBM, ancêtres des HLM. Ils montrent ainsi la voie à l'État et aux collectivités locales qui industrialiseront la démarche par la suite au travers d'investissements massifs dans le logement social au cours du XXe siècle. En matière de recherche médicale, la philanthropie a également été à l'origine de nombreuses découvertes majeures. L'institut Pasteur, fondation reconnue d'utilité publique créée en 1887 pour partager et diffuser les travaux de Louis Pasteur, a permis de financer des travaux de recherche médicale aboutissant à la découverte de traitements majeurs contre la rage, la grippe, la lèpre ou le SIDA. La fondation a par ailleurs incubé les travaux de plus de dix prix Nobel de médecine. Plus récemment, des acteurs philanthropiques ont joué un rôle essentiel pour soutenir l'émergence du service civique en France. Lorsque l'association Uniscité s'est lancée en 1994 pour faire qu'il devienne naturel que chaque jeune en France consacre une année de sa vie à la solidarité, sa première année d'activité fut financée exclusivement par des fondations familiales et d'entreprise. Ces dons ont permis à l'association de tester la pertinence de son modèle, de l'affiner puis d'en démontrer la valeur auprès des pouvoirs publics qui s'empareront du modèle au milieu des années 2000 pour en faire une réelle politique publique. Ces quelques exemples le montrent, les acteurs philanthropiques peuvent jouer un rôle déterminant dans le changement social aux côtés des pouvoirs publics, souvent dans un rôle de financement de l'innovation sociale. À des échelles plus modestes mais tout aussi positives, des philanthropes ont eu un impact sur des trajectoires individuelles, permettant par exemple à des jeunes défavorisés d'accéder à des études supérieures mais aussi à des artistes de créer leurs oeuvres. Mais une analyse objective de la philanthropie montre aussi que, malgré des intentions la plupart du temps louables, les dons n'ont pas toujours un effet positif sur leurs bénéficiaires ou les causes visées, voire parfois des effets négatifs. Un exemple bien documenté est celui des activités de la fondation Bill & Melinda Gates en matière d'éducation. Partant du postulat que l'échec scolaire dans les écoles publiques américaines est lié à la trop grande taille des écoles et à la performance insuffisante de certains professeurs, la fondation décide entre 1999 et 2009 de donner trois milliards de dollars pour financer la création d'écoles pilotes plus petites ainsi que le développement de procédures d'évaluation et de reconnaissance des professeurs considérés comme plus efficaces. En 2009, ayant procédé à une étude d'impact rigoureuse de ses projets, la fondation a dû reconnaître son échec. Les résultats scolaires des élèves n'avaient pas été améliorés et les processus d'évaluation des professeurs et des élèves qu'elle avait développés avaient produit des effets secondaires négatifs sur la pédagogie. Et en parallèle, les coûts d'administration pour le service public de l'éducation avaient été augmentés par le double effet de la taille réduite des écoles et des incitations offertes aux professeurs. Récemment, c'est le projet de l'entreprise TOMS shoes qui a fait la Une des médias avec son modèle Buy one Give one, achète une paire, donne une paire. Le principe est simple, pour chaque paire de chaussures achetée par un consommateur, l'entreprise s'engage à donner une paire de chaussures à un enfant dans un pays en développement. Dans les premiers temps, le modèle a été célébré, avant qu'il ne soit avéré que cette distribution gratuite de chaussures avait de nombreux effets pervers : affaiblissement des industries locales de production et de vente de chaussures et donc destruction d'emplois, coût de production et de distribution des chaussures plus élevé que les coûts de santé public censés être évités par le programme. Plusieurs études ont par ailleurs montré l'inefficacité voire la nuisance de projets philanthropiques au bénéfice de pays en développement. Qu'il s'agisse de construire des sanitaires impossibles à entretenir par les populations locales, de distribuer des moustiquaires mal utilisées, de financer la construction de bâtiments inutiles ou inadaptés, nombreuses sont les initiatives philanthropiques qui, à l'image de certains projets d'aide au développement, et malgré les meilleures intentions du monde, ont eu des effets nuls voire négatifs sur leurs bénéficaires et ont parfois créé des relations de dépendance nuisibles à moyen et long termes. Bien donner ou donner efficacement n'est donc pas simple. Il est essentiel pour chaque philanthrope de se poser la question de son impact social et d'en comprendre les différents aspects afin d'utiliser au mieux les ressources qu'il alloue au service de l'intérêt général. [AUDIO_VIDE]