[MUSIQUE] [MUSIQUE] >> Bonjour Virginie Seghers. >> Bonjour Anne-Claire Pache. >> Vous êtes présidente de Prophil, qui est un cabinet de conseil en stratégie, et par ailleurs experte en Mécénat. Virginie, dites-nous, on observe depuis une dizaine d'années une omniprésence de cette thématique de l'évaluation auprès des acteurs philanthropiques. Comment vous expliquez cette nouvelle tendance? >> Ça fait en effet longtemps que j'accompagne la création de fondations d'entreprises en particulier, et cette thématique d'évaluation est aujourd'hui, comme vous le dites, omniprésente, à mon avis pour trois raisons principales. Une raison que je qualifierais d'anthropologique, une raison plus économique et peut-être une raison politique. La raison anthropologique c'est que le don est un acte libre. C'est un acte qui structure la société et qui appelle toujours à un contre-don. Et ce contre-don, on s'y est longtemps peu intéressé. Quelles sont finalement les contributions du don à la société, les contributions économiques, sociales, environnementales, culturelles? Comment les caractériser, comment les repérer et peut-être comment les évaluer? Et là, on entre dans quelque chose encore de plus fin. La deuxième raison, c'est une raison économique. Les acteurs de la philanthropie, et en particulier les associations, les ONG, sont à la recherche de fonds pour pouvoir développer leur modèle économique et ne plus dépendre que de fonds publics ou du marché. Et on voit bien que dans un marché qui est devenu extrêmement concurrentiel de la collecte de fonds, ces acteurs ont besoin de rendre des comptes, de tracer leurs dons et également d'en mesurer l'impact pour se différencier, pour attirer des donateurs et pour fidéliser ces donateurs. Et donc on voit se professionnaliser les outils de mesure d'impact chez les collecteurs de fonds. Et puis une raison peut-être politique. On voit bien et on sait qu'en France, nous sommes bien dotés en matière d'avantages fiscaux pour aider au développement de la philanthropie et du mécénat. Qui dit avantages fiscaux dit reconnaissance de la part des pouvoirs publics d'une utilité sociale, d'une utilité publique de ces dons. Aussi faut-il pouvoir l'objectiver et peut-être un jour même comparer l'efficacité d'une subvention par rapport à l'efficacité du don. On en est encore un petit peu loin et je l'appelle [INAUDIBLE] >> Si on parle d'évaluation, on parle quelque part d'objectivation de la valeur sociale créée par un acteur philanthropique, qu'il soit fondation ou entreprise. Quelles sont, d'après vous, les dimensions à prendre en compte pour objectiver cette création de valeur? La première question à se poser c'est le sens de la valeur. La valeur en latin, valor, ça veut dire la force de vie, être valeureux, valeo, bien se porter. Donc on comprend très vite que la valeur a une dimension matérielle et immatérielle, tangible et intangible, et qu'on est donc devant un animal qui est quand même assez difficile à caractériser. Chez Prophil, nous parlons davantage d'empreinte que d'impact, et nous parlons à la fois d'empreinte des entreprises et d'empreinte des fondations. Lorsqu'on évalue l'empreinte d'une fondation, la première question qu'on se pose c'est, de quelle empreinte s'agit-il? S'agit-il d'une empreinte économique, sociale, environnementale, culturelle? Par exemple, nous allons bientôt évaluer l'empreinte de la fondation Cultura dans l'ensemble de ces dimensions. La deuxième question à se poser c'est de savoir de quel territoire part-on? Sur quel territoire laisse-t-on cette empreinte, ou va-t-on ouvrir une voie? Parce qu'une empreinte, c'est une trajectoire. C'est un film. Ce n'est pas seulement la photo comme on pourrait caractériser un impact. Ce qui est intéressant c'est donc de se poser cette question de contextualisation. Est-ce qu'on parle d'une empreinte locale, nationale, internationale? Récemment, nous avons évalué l'empreinte de la fondation Decathlon en Inde. Autre question à se poser, quelles sont les parties prenantes concernées? Est-ce qu'on va mesurer l'empreinte sur les porteurs de projets, sur les bénéficiaires finaux d'un projet? Lorsqu'il s'agit d'une fondation d'entreprise, l'empreinte de la fondation sur l'entreprise elle-même? Sur ses collaborateurs? Sur ses clients? Sur ses fournisseurs? Sur les pouvoirs publics, les collectivités locales? En fonction des parties prenantes les plus prioritaires pour l'entreprise, on va évidemment approfondir telle ou telle empreinte. Autre question à se poser, quels sont les enjeux pour l'acteur concerné? Est-ce que ce sont des enjeux latents qu'on doit regarder? Des enjeux émergeants? Des enjeux qui sont déjà matures? Quels sont ceux qui sont les plus stratégiques, et quels sont surtout ceux sur lesquels l'acteur concerné a le plus de marge de manœuvre? Parce qu'à quoi bon faire une importante allocation de ressources et d'efforts sur des enjeux peut-être forts, mais pour lesquels l'acteur concerné n'a aucune marge de manœuvre? Donc évidemment, ce qui va nous intéresser, c'est une approche assez matricielle où on va regarder quels sont les enjeux importants pour l'entreprise sur lesquels elle a une importante marge de manœuvre. Je dis entreprise ou fondation créée par l'entreprise. Et donc on voit, grâce à cette approche qui a plusieurs dimensions, qu'on va aboutir à un outil qui est un outil de pilotage où la performance d'un acteur philanthropique sur un territoire donné, sur des parties prenantes données, en fonction d'enjeux donnés, et que la philanthropie dans le monde de l'entreprise n'est plus à côté de l'entreprise, mais de façon presque consubstantielle, intimement liée à elle et à sa stratégie. >> Nous avons parlé de l'évaluation comme une pratique ayant émergé fortement ces dernières années. De la position d'observation dans laquelle vous êtes aujourd'hui, quelles sont les nouvelles tendances que vous observez en la matière? >> Je suis d'abord assez critique, ou peut-être un peu trop exigeante aussi, mais je trouve que beaucoup d'associations, d'ONG ne se sont pas encore dotées d'outils d'évaluation, de mesure de leur empreinte suffisamment sophistiqués, rigoureux, et qu'il y a beaucoup de confusion. On ne sait pas toujours de quoi on parle, de quel impact on parle, et surtout pourquoi le mesurer. Par ailleurs, je suis réaliste parce que c'est difficile. C'est assez complexe ; nous l'avons vu précédemment. Et beaucoup d'associations, de fondations n'ont pas en interne les ressources nécessaires pour pouvoir faire ce genre d'étude de façon à la fois approfondie et longue. Enfin, je suis optimiste, parce que je le suis par nature, parce que je vois qu'en 10 ans, il y a quand même un très beau chemin qui a été parcouru. Parce que Prophil a du travail, et que donc plusieurs associations et ONG nous demandent d'évaluer leur partenariat, et également parce qu'on voit qu'il y a un souci d'efficacité de la part d'une nouvelle génération d'entrepreneurs et de philanthropes qui sont prêts à financer ce genre de mesure d'impact et à financer aussi des frais de fonctionnement pour pouvoir mener en interne ces études d'impact au sein des associations et des ONG. Donc je pense que nous sommes sur la bonne voie. >> C'est une bonne nouvelle. Un grand merci, Virginie, pour votre participation à notre MOOC. >> Merci Anne-Claire Pache. [AUDIO_VIDE]