[MUSIQUE] [MUSIQUE] >> Bonjour Laurence de Nervaux. >> Bonjour Arthur Gauthier. >> Laurence, vous êtes directrice de l'Observatoire de la philanthropie à la Fondation de France. La première question que je voudrais vous poser est de connaître les chiffres clés à retenir sur le don en France. Quels sont-ils, ces chiffres? >> Pour essayer d'avoir une vision d'ensemble sur les chiffres de la générosité, nous avons entrepris en 2018 un chiffrage global de toutes les formes de générosité en France, ce qui n'est pas simple parce que les sources sont multiples et elles ont des degrés de fiabilité divers. Le chiffre qu'il faut retenir c'est 7,5 milliards d'euros. C'est le [INAUDIBLE] de la générosité des Français sur une année. Je précise que c'est une estimation plutôt prudente. Comment [INAUDIBLE], ces 7,5 milliards d'euros? À titre indicatif, c'est l'ordre de grandeur du budget annuel du ministère de la justice. [INAUDIBLE] Et on peut scinder ce volume en quatre grandes masses. La première, ce sont les dons que font les particuliers et qui sont déduits, soit au titre de l'impôt sur le revenu, soit de l'impôt sur la fortune immobilière, c'est grosso modo 3 milliards d'euros. Deuxième segment important, à peu près au même niveau, le mécennat des entreprises, dont un peu plus de la moitié est déduit de l'impôt sur les sociétés, le reste n'étant pas déclaré. Troisième ensemble, ce sont les legs qu'on évalue en France à à peu près 1 milliard d'euros, ce qui est tout à fait conséquent. Et puis le dernier segment, les 500 millions d'euros restants, c'est un ensemble très composite où on va retrouver les dons en nature, par exemple de denrées alimentaires ; et les produits partage également qui sont parfois proposés par des entreprises ; ce qu'on appelle le crowdfunding, sachant que le crowdfunding, ce n'est pas seulement des dons, ça peut être des investissements [INAUDIBLE] et on a une partie [INAUDIBLE] ; et puis la générosité embarquée, ce sont les arrondis en caisse, les arrondis sur salaire, les arrondis sur achats en ligne. Ce dernier phénomène, c'est récent. C'est assez petit encore, c'est de l'ordre de 2 millions d'euros mais ça progresse, donc c'est une générosité qui est en pleine mutation et qui est conséquente [INAUDIBLE]. >> Justement, on parlait de progression. Est-ce qu'on peut parler des grandes tendances? Quelles sont les grandes tendances du don en France depuis une dizaine d'années? >> La tendance est clairement à la hausse depuis dix ans. Si on prend uniquement le chiffre de dons déduits de l'impôt sur le revenu, c'est plus de 70 % en dix ans. Ça, c'est la tendance générale qui n'a pas été atteinte, qui n'a pas pâti du contexte de crise il y a quelques années. Néanmoins, on a connu un vrai accro en 2018 qui était une année qui a été très chahutée par un certain nombre de mesures fiscales, ce qui rappelle que le don est très sensible aux modifications fiscales. >> Le deuxième question que je voulais vous poser concerne les principaux véhicules de la philanthropie organisée. On parle souvent d'associations, de fondations. Est-ce que vous pouvez nous parler un peu de ces deux formes particulières? Qu'est-ce qu'elles représentent dans l'économie française, et là aussi, quelle sont les tendances de fond que l'on peut observer? >> Oui. Deux formes dont on peut rappeler les différences, parce qu'on les confond parfois, une différence de nature d'abord. Une association, qu'est-ce que c'est? C'est un regroupement de personnes, tandis qu'une fondation c'est l'immobilisation de capital pour une cause. Et cette différence de nature entraîne une autre différence importante qui est que puisque c'est un regroupement de personnes, l'association disparaît de fait si ses membres se dispersent ou ne sont plus réunis. Tandis qu'une fondation, elle, puisque c'est un capital avant tout, peut survivre à la disparition de ses fondateurs. Et puis deuxième différence importante, l'objet des associations et des fondations qui diffère un petit peu. Une association peut servir soit l'intérêt général, soit ce qu'on appelle un cercle restreint de personnes, tandis qu'une fondation est nécessairement dédiée à l'intérêt général. Ce sont les deux concepts. Si on veut les chiffrer, en nombre d'entités, on a aujourd'hui 1,5 millions d'associations en France. Et à côté de ça, 5 000 fonds et fondations et même 4 000 qui sont [INAUDIBLE] en activité, donc des ordres de grandeur très différents. Et en termes de budget, là aussi, grosse différence. Le budget annuel des associations, c'est 113 milliards d'euros, tandis que celui des fondations, c'est de l'ordre de 10 milliards d'euros. >> Et si justement on zoome un peu sur ces fondations uniquement, quels autres chiffres clés retenir? >> Bien sûr le [INAUDIBLE] sur la philanthropie des fondations, ça va être très important. Notre observatoire mène régulièrement des enquêtes nationales pour documenter le développement des fondations. Ce qu'il faut retenir, c'est d'abord qu'il y a plusieurs modèles de fondations. Il y en a deux dans leur modalité opératoire. D'abord les fondations opératrices, qui gèrent directement les projets dans les établissements, et puis les fondations distributrices, qui financent les projets. Ce deuxième modèle est nettement majoritaire aujourd'hui en France. C'est plus de 80 % des fondations françaises, et même neuf fondations sur dix dans les créations récentes. Deuxième marqueur fort de la philanthropie française, les fondations françaises. Aussi du point de vue de leur modèle, c'est le modèle de flux qui aujourd'hui est majoritaire dans les fondations françaises, par opposition à un modèle où elles ont une dotation, une [INAUDIBLE] et donc pérenne. Le paradigme de la pérennité n'est plus la référence unique aujourd'hui. On dépense plus rapidement. Troisième point, qui crée ces fondations en France aujourd'hui? Ce sont majoritairement des particuliers. Et plus de 50 % des fondations sont créées par des particuliers, des familles, [INAUDIBLE] Et les entreprises viennent après. C'est un tiers à peu près des fondations. Et puis, dernier point qui bien sûr nous intéresse beaucoup, vers quoi vont se tourner ces fondations? Quels domaines vont-elles soutenir? Les deux premiers domaines d'intervention, si on regarde en dépenses, ce sont d'abord la santé et la recherche médicale, et ensuite l'action sociale. Ces deux domaines combinés représentent les trois quarts des dépenses des fondations françaises. Et viennent ensuite assez loin derrière l'éducation et l'enseignement supérieur et puis la culture. >> Très bien. Pour conclure, Laurence, on a parlé de la philanthropie en France. Évidemment, le phénomène existe dans beaucoup de pays dans le monde, nos voisins européens notamment. Si on devait résumer, quel est le profil de la philanthropie française et en quoi elle se distingue des autres? >> Aujourd'hui, la France est un des pays d'Europe qui a le moins de fondations en comparaison des autres, relativement à sa population, bien sûr. >> D'accord. >> Le développement de la philanthropie et des fondations a été tardif en France. Il y a des raisons pour cela. C'est d'abord le fait qu'historiquement, on a un modèle d'État fort qui a [INAUDIBLE] intérêt général dans la représentation, et ça va avec une pression fiscale très importante qui n'est pas de nature à encourager l'engagement philanthropique des acteurs privés. Le grand succès du modèle associatif [INAUDIBLE] qui a rassemblé les [INAUDIBLE] d'engagement des acteurs privés. Et puis, dernier frein au développement de la philanthropie, la réserve héréditaire, qui protège beaucoup en droit français les héritiers. Ça, c'est le contexte historique, mais néanmoins, la philanthropie des fondations se développe très rapidement depuis 15, 20 ans en France. Ce sont les deux tiers des fondations françaises qui existent aujourd'hui qui ont été créées depuis le début des années 2000. Les caractéristiques de la philanthropie française par rapport à d'autres pays, le modèle de flux, on l'a vu tout à l'heure, qui n'est pas forcément dominant partout, notamment aux États-Unis où on a plutôt affaire à une philanthropie de capitalisation, de stock. Et puis également, les domaines d'intervention des fondations françaises, on a plutôt une philanthropie qui est davantage sociale que dans d'autres pays. L'action sociale est très importante dans l'engagement des fondations françaises. >> Laurence, merci beaucoup pour votre éclairage sur ces chiffres clés de la philanthropie aujourd'hui. >> Merci.