[MUSIQUE] [MUSIQUE] [AUDIO_VIDE] >> Kévin André, bonjour. >> Bonjour, Anne-Claire Pache. >> Vous êtes professeur en innovation sociale à l'ESSEC, expert des questions d'évaluation d'impact social. Est-ce que vous pouvez nous expliquer quelles sont les enjeux rencontrés par des acteurs philanthropiques qui souhaiteraient s'engager dans une démarche d'évaluation de leur impact social ou de l'impact social des activités qu'ils soutiennent? >> Je crois d'abord qu'il faut dire que, selon moi, il y a une vraie nécessité à mesurer l'impact social dans un contexte d'abord de ressources contraintes où il faut faire des arbitrages et pour faire des arbitrages il faut des critères pour faire des arbitrages. Ensuite parce que je crois qu'il y a un danger inhérent à ces questions d'intérêt général qui est d'avoir une approche normative où on fait le bien et du coup comme on fait le bien on sait que c'est bien ce qu'on fait. Ce qui n'est pas vrai. Je crois qu'au contraire quand on est dans l'intérêt général et l'utilité sociale, la création de valeur sociale on doit toujours être dans le doute, dans le questionnement de, est-ce que c'est vraiment ce dont les gens ont besoin? Je crois que c'est très important même d'un point de vue moral d'être dans ces questions-là. Une fois qu'on a dit ça, il y a quand même effectivement des vraies difficultés. D'abord une complexité inhérente au sujet. C'est quasiment une complexité scientifique, philosophique. C'est quoi la valeur sociale? Comment mesurer le bonheur? C'est vraiment des questions qui amènent des difficultés techniques, parce que derrière il y a toute sorte de sciences qui sont engagées. Ça pourrait être la sociologie, ça pourrait être de l'économie, ça pourrait être une dimension statistique, des questions méthodologiques et c'est vrai que dans des projets d'intérêt général, dans des fondations, dans des entreprises sociales, on n'a pas forcément les compétences en interne pour gérer ces complexités techniques. Il y a aussi un danger à mesurer, dénoncé d'ailleurs par certains chercheurs, danger à être dans le court-termisme c'est-à-dire à avoir des indicateurs de performance plus faciles à mesurer et mettre de côté des indicateurs plus compliqués à construire mais qui sont les bons indicateurs entre guillemets pour suivre des changements qui sont souvent dans le long terme. Donc il y a un vrai danger de court-termisme. Il y a un danger à écraser la diversité humaine, à faire rentrer cette diversité humaine dans des cases, dans des chiffres. Ça c'est aussi un enjeu. Moi, je crois qu'il faut maintenir cette tension entre d'un côté un besoin de simplification comme je vous le disais au démarrage, et une complexité inhérente au sujet et je crois que cette tension elle est très importante et très structurante pour l'avenir des entreprises sociales et y compris des bailleurs de fonds ou ds initiatives philanthropiques. >> Kévin, vous pouvez nous préciser quelles sont les différentes familles de méthodes auxquelles peuvent recourir les acteurs philanthropiques qui veulent s'engager dans de l'évaluation? >> Il y a énormément de méthodes différentes. On peut dire qu'il y en a quatre principales. La première famille, c'est les approches plutôt qualitatives inspirées de la sociologie, de l'ethnologie, qui sont plutôt liées à la compréhension des besoins, notamment des besoins des bénéficiaires finaux, des personnes qui bénéficient de l'action. Ça c'est une première famille de méthodes. Ça veut dire que quand on mesure l'impact social on peut aussi avoir une approche qualitative. C'est important de le dire. Ce n'est pas que des chiffres l'évaluation. Deuxième famille de méthodes, c'est plutôt issu du monde de l'entreprise et des sciences de gestion. C'est une méthode plus quantitative, par indicateurs, de construire des tableaux de bord avec des indicateurs clés de mesure de la performance notamment en lien avec les objectifs qu'on s'est fixé, ce qui veut dire que pour une fondation ou un acteur philanthropique c'est avant que l'action commence, se mettre d'accord sur les objectifs et faire le bilan un an, deux ans, trois ans après pour savoir, est-ce que les objectifs ont été atteints? Troisième famille de méthodes qui est une approche quantitative inspirée de l'économie et aussi de la recherche médicale. C'est des méthodes à groupes de comparaison, c'est-à-dire qu'on prend les bénéficiaires de l'action et on les compare avec d'autres personnes qui n'ont pas bénéficié de l'action mais qui auraient pu en bénéficier, qui étaient dans la cible, pour savoir quel est l'impact net du programme? Qu'est-ce qui se serait passé si on n'avait pas été là? Est-ce qu'on est sûr que ça aurait changé quelque chose? Est-ce qu'on est sûr qu'on a changé le monde entre guillemets et que en tant qu'acteur philanthropique en finançant, j'ai contribué à ce que les choses aillent mieux que si je n'avais pas financé le projet. La quatrième famille de méthodes, c'est des familles de monétarisation. On l'appelle la monétarisation, inspirée de l'économie mais aussi de la comptabilité. On peut prendre un exemple, c'est la méthodes des SROI. Social Return Investment c'est-à-dire je suis une fondation, j'ai un portefeuille de projets que je soutiens. Je vais demander à chaque projet de faire le ratio entre les ressources affectées à ce projet, et la valeur sociale créée. Cette valeur sociale, évidemment par définition elle n'est pas nécessairement monétaire mais je peux la rapporter à des euros. Par exemple, si je fais un programme de prévention de la récidive de la délinquance, je vais mesurer la valeur sociale créée par rapport aux jours de prisons qui ont été évités, ce qu'on appelle les coûts évités. Donc d'une certaine façon, du point de vue de la fondation, du bailleur de fonds, je suis capable d'avoir une mesure de la rentabilité de mes investissements. Je ne raisonne plus en fonction de coûts mais en fonction d'investissements et d'un ratio d'investissement. Juste pour finir, il n'y a pas une méthode meilleure que les autres. Il y a juste des méthodes qui sont adaptées à tel et tel contexte. >> Kévin André, les acteurs philanthropiques, les fondations, les donateurs sont dans une position un petit peu particulière puisque ils n'agissent pas eux-mêmes, ils financent des acteurs qui agissent. À quoi peut servir l'évaluation d'impact pour des acteurs comme cela? >> Il me semble qu'il y a quatre usages possibles pour ces acteurs. Le premier usage c'est la question de la sélection, pour sélectionner dans un contexte de ressources limitées, les projets à accompagner sont souvent plus nombreux que les ressources disponibles. Le fait d'évaluer l'impact, le potentiel d'impact du projet je pense est important dans le processus de sélection. Le deuxième usage c'est la question épineuse de, est-ce qu'on renouvelle le financement? Là je pense que se fixer en amont des objectifs et voir s'ils ont été atteints peut être intéressant pour conditionner le fait de renouveler le financement sur une durée pluriannuelle par exemple. Le troisième usage qui est plus rare je trouve mais c'est dommage c'est comment on peut s'engager aussi en tant que financeur dans un processus d'amélioration continue du projet et donc d'avoir un pilotage de la performance pendant le projet, avec une vertu de formation, d'accompagnement et pas uniquement de sanction sur l'évaluation. Le quatrième point qui est très important à mon avis pour des fondations et des donateurs c'est de ne pas mesurer seulement l'impact des projets accompagnés ou financés mais de mesurer l'impact de la fondation elle-même ou du véhicule de donation. Qu'est-ce qui ce serait passé s'il n'y avait pas eu ce don ou ce montant alloué à ce projet? Est-ce qu'il aurait été par ailleurs financé? Je pense que c'est des questions très importantes qui reviennent à se poser la question de la raison d'être du don, de la fondation, de l'acteur philanthropique. En tout cas, je pense que c'est très important de bien avoir en tête qu'il y a à la fois cette dimension de mesure de l'impact social pour les projets financés mais aussi pour l'acteur philanthropique. >> Merci beaucoup Kévin André pour votre intervention et pour votre participation à notre MOOC. [AUDIO_VIDE]