[MUSIQUE] [MUSIQUE] Je suis Pierre-Yves Gomez, professeur de stratégie à Lyon. Je dirige l'Institut français de gouvernement des entreprises. J'ai beaucoup travaillé sur les questions de gouvernance dans le monde mutualiste et coopératif en particulier. La grande force du modèle de gouvernance des mutuelles et des coopératives, c'est le fait que les sociétaires ou les coopérateurs détiennent le pouvoir souverain sur l'entreprise. Le pouvoir souverain c'est le pouvoir qui permet de déterminer les stratégies en dernier ressort et de valider les décisions qui emportent l'entreprise. Et ça, ce sont les sociétaires, c'est-à-dire les clients, c'est-à-dire ceux qui bénéficient des services de la mutuelle ou de la coopérative qui sont les détenteurs de ce pouvoir. C'est donc essentiel, si on compare avec le pouvoir actionnarial, les actionnaires ne sont pas nécessairement concernés par les produits de l'entreprise. Ils peuvent avoir acheté des actions parce qu'ils s'intéressent à l'entreprise ou bien pour valoriser leur capital. En l'occurrence, un sociétaire, ça ne peut pas être le cas. S'il est sociétaire c'est parce qu'il obtient le produit d'entreprise. Donc ça, c'est un avantage considérable. On a un pouvoir souverain fidèle associé à l'entreprise. Le second avantage et originalité de ce modèle c'est que par construction, les mutuelles et les coopératives sont ancrées dans un terrain, et donc les sociétaires, ceux qui détiennent le pouvoir souverain, peuvent faire bénéficier leur environnement immédiat du pouvoir de leur mutuelle. C'est pas une entreprise mondialisée qui travaillerait très loin des clients, mais l'environnement des clients peut être impacté par le travail, les financements, la vie même de leur entreprise. Et puis le troisième avantage c'est que les sociétaires n'attendent pas de revenus en profit, et donc ils peuvent conduire des stratégies qui ne sont orientées que sur le projet de l'entreprise. Là aussi, c'est une grande différence avec ce qu'on voit dans le modèle actionnarial, la possibilité que l'entreprise soit emportée par des intérêts actionnariaux qui n'ont rien à voir avec le projet d'entreprise, et ça ne peut pas être le cas pour le modèle mutualiste. Les faiblesses de ce modèle sont liées à ces avantages. Si les sociétaires ou les mutualistes, les coopérateurs n'exercent pas effectivement leur pouvoir souverain, ce sont des entreprises par construction qui sont dirigées par les techniciens. Selon les entreprises, on les appelle les technocrates, les techniciens, peu importe. Et il faut pas entendre ça de manière dépréciative. On veut dire par là que ceux qui sont supposés être les garants du projet d'entreprise, s'ils n'exercent pas leurs fonctions de souverain, ce sont les techniciens qui vont faire ce qu'ils peuvent au mieux pour l'intérêt de l'entreprise peut-être, mais pas la même philosophie du projet. Donc ça, c'est une première limite. La seconde c'est évidemment en termes de capitaux puisqu'on ne peut pas faire appel aux marchés financiers, et donc l'avantage d'avoir des sociétaires clients limite aussi l'extension de la masse de capitaux que l'on peut capter. Tout dépend du nombre de clients. Troisième faiblesse, c'est la complexité du modèle de gouvernance. Là aussi, si l'on compare avec le modèle actionnarial qui est très orienté profit, et in fine, c'est le montant du profit qui va déterminer l'application des actionnaires, ici c'est plus compliqué pour que chacun puisse donner son avis, son impression, son ressenti sur le projet, donc un système plus complexe donc plus coûteux. Le modèle mutualiste, le modèle coopératif c'et un modèle qui date du XIXe siècle. C'est un modèle récent dans l'histoire du capitalisme, plus récent que les entreprises actionnariales, mais qui semble avoir vieilli dans sa culture alors qu'il est à la pointe des transformations économiques. J'insiste pour dire que le modèle de gouvernance des mutuelles en particulier, des coopératives, est très en avance sur le modèle actionnarial. Pourquoi? Parce que un, il inscrit l'entreprise dans le local, le territoire. Il oblige à une subsidiarité, une [INCOMPRÉHENSIBLE] subsidiaire de l'entreprise, et ça, c'est ce dont rêvent les grandes entreprises actionnariales, avoir des actionnaires suffisamment attentifs à des espaces de proximité, et pas simplement dirigés par des grandes tendances mondiales. Ça, c'est un avantage du mutualisme. Et c'est sous cet avantage qu'il faut retrouver le second avantage, cette participation démocratique collective à la vie de l'entreprise. L'enjeu des mutuelles, c'est pas de se réformer pour ressembler au modèle actionnarial qui est plutôt en panne aujourd'hui, c'est plutôt de retirer la force de ce modèle, la force spécifique, c'est-à-dire de faire revenir le sociétaire ou de faire revenir le coopérateur, c'est-à-dire de le faire prendre conscience de l'intérêt pour lui de participer à cette vie, mais aussi de l'intérêt collectif l'intérêt politique de l'existence des mutuelles et développement des mutuelles dans un monde tant du capitalisme compétitif dont par ailleurs lui, sociétaire, peut se plaindre lorsqu'il est salarié ailleurs ou lorsqu'il est client. Là, on a les moyens de fabriquer l'économie de demain qui est faite et on le voit ailleurs que dans les mutuelles et les coopératives, on le voit dans l'économie collaborative, on le voit dans la nouvelle économie qui est faite de collaboration, de proximité, d'intérêt pour le projet, de mise en prééminence du projet par rapport au profit. Tout ça, les mutuelles et les coopératives l'ont. C'est un grand enjeu de leur développement et du développement de toute l'économie que de retrouver ces racines, et à partir de ces racines, de redévelopper l'arbre. [MUSIQUE]