[MUSIQUE] Je m'appelle Patricia Toucas-Truyen, je suis historienne, je travaille sur l'histoire de l'économie sociale, des mutuelles, des coopératives et l'histoire de la protection sociale. Par ailleurs je travaille également pour la revue RECMA, revue internationale de l'économie sociale. Les sociétés de secours mutuel, qui sont nées pour les plus anciennes dans les années 1820 1830, elles ont été encouragées par le gouvernement, par Napoléon III, par un décret de 1852 qui est la première loi sur la mutualité et ensuite par la Troisième République, par une loi de 1898. Si l'État encourage les sociétés de secours mutuel, c'est parce qu'elles prennent en charge une partie de la question sociale des travailleurs, qui est vraiment la question la plus importante au XIXe siècle, et d'autre part elles sont un outil de pacification sociale. L'État, notamment le Second Empire, prendra garde à installer des notables dans les sociétés de secours mutuel. Ces sociétés de secours mutuel, leur mission est essentiellement d'assurer contre le risque maladie, de prendre en charge les obsèques, et elles feront souvent bien plus que cela, elles tendront à développer par exemple la médecine préventive. Elles ne sont pas seulement, elles n'inventent pas seulement l'assurance maladie pour les travailleurs mais elles vont par exemple inventer le congé maternité pour les travailleurs, les travailleuses pardon, qui sera donc repris ensuite par l'État social. Elles sont, en fait, une sorte de laboratoire expérimental de la protection sociale pour les travailleurs, avant la Sécurité Sociale, avant toute la mise en place de l'État social. Et dernière chose, elles seront très souvent aussi un espace d'émancipation des structures d'apprentissage à la vie civique, je reprends là une expression de l'historien Maurice Agulhon, parce que ces sociétés doivent fonctionner sur un mode démocratique, avec élection des administrateurs, même si sous le Second Empire, dans de nombreuses sociétés, le président est nommé par l'Empereur. Mais il n'empêche qu'elles ont quand même été des structures où l'on apprenait ce que c'était que la participation citoyenne. Quand ils sont réunis en assemblée générale, ces adhérents, qui sont parfois issus de campagnes reculées, qui sont des gens très très modestes, qui parfois ne savent ni lire ni écrire, eh bien ils doivent participer, et leur participation consiste par exemple à s'interroger sur l'opportunité de rembourser telle maladie, sur l'intérêt d'élever le montant des cotisations par avoir droit à plus de prestations, à accorder des secours exceptionnels à une personne. Voilà, c'est de cela dont parlent les adhérents en assemblée générale mutualiste, ce qui contribue également à les éduquer, parce que très souvent ils bénéficient aussi de la présence du médecin de la société. Les médecins des sociétés de secours mutuel avaient très souvent un contrat d'abonnement avec la société de secours mutuel et ils sont membres honoraires. Donc il y a une forme, comme ça, une forme d'éducation qui se fait par le biais mutualiste. Au XIXe siècle la cohabitation entre les sociétés de secours mutuel et les compagnies d'assurance ne donne pas lieu à une concurrence entre ces deux formes d'assurance, parce que, tout simplement, une compagnie d'assurance n'est pas du tout intéressée par une clientèle ouvrière, qui est à peine solvable. On ne joue pas dans la même cour en fait. Les compagnies d'assurance s'intéressent au patrimoine des classes aisées, et les sociétés de secours mutuel sont vraiment pour des travailleurs. Donc il n'y a pas de concurrence. de même que les compagnies d'assurance ne s'intéressent pas à l'assurance maladie au XIXe siècle. C'est quelque chose qui n'est pas suffisamment rentable pour attirer leur attention. Les gens aisés, au XIXe siècle, n'ont pas vraiment besoin d'assurance maladie, dans la mesure où l'offre médicale est tout de même très réduite, donc la plupart du temps leur patrimoine suffit à faire face à d'éventuelles dépenses médicales, et ils n'ont absolument pas besoin, adhérer à une société de secours mutuel ne leur apporterait rien de plus. Donc en fait la jonction entre ces deux logiques assurantielles, d'une part l'assurance pure, et d'autre part la mutualité, va s'opérer à la fin du XIXe dans deux milieux sociaux professionnels particuliers, qui sont l'agriculture et la pêche. Pourquoi, parce que des petits propriétaires agricoles ou des petits patrons de pêche, par exemple, n'ont absolument pas les moyens de s'assurer auprès d'une compagnie commerciale d'assurance, qui en plus n'est pas du tout intéressée par ce type de clientèle. Très souvent, ces agriculteurs ou ces petits patrons de pêche, ils connaissent par ailleurs la formule mutualiste parce qu'ils sont eux-mêmes adhérents d'une société de secours mutuel pour l'assurance contre le risque maladie. Et ils ont donc l'idée de créer des mutuelles assurances, qui à la fois, pour le coup assurent des biens et non pas des personnes, mais fonctionnent sur un mode mutualiste, c'est-à-dire sans recherche de profit et avec une gestion par les intéressés. Donc ce sont les premières mutuelles assurances, qui sont d'ailleurs contemporaines des premières coopératives agricoles et des premières coopératives maritimes, de pêche. En tout cas, avec cette différence que très souvent les petites mutuelles assurances agricoles ou de pêche sont créées par les pêcheurs eux-mêmes ou les agriculteurs, alors que les coopératives sont plutôt impulsées par des notables ou des hommes politiques influents. Et donc là nous avons les ancêtres de la MAIF, de la MACIF, de la MATMUT, de toutes ces grandes mutuelles assurances actuelles, avec une différence tout de même, c'est que ces premières mutuelles assurances, elles assurent l'outil de travail, et non pas des biens de consommation comme le feront plus tard ces grandes mutuelles assurances que je viens de citer. [MUSIQUE]