[MUSIQUE] Dans cette deuxième vidéo, nous allons donc analyser les spécificités du modèle économique des associations qui tiennent un rôle économique, avec la question majeure de l'hybridation de ce modèle. Nous allons donc nous tourner vers le monde de l'entreprise, familier de cette question centrale de son existence, et tenter de transposer ces cadres d'analyse au monde associatif pour élaborer une classification. Dans le monde de l'entreprise, le modèle économique, ou encore modèle d'affaires, business model, est donc au cœur de l'organisation puisqu'il décrit la structure des ressources financières et humaines et des coûts nécessaires à l'activité développée par l'organisation. Le modèle économique permet ainsi de présenter comment est créée la valeur, comment elle est éventuellement capturée, et comment elle est, enfin, partagée entre les différentes parties prenantes internes et externes de l'organisation. Mais alors, peut-on transposer cette approche par le modèle économique purement et simplement au secteur associatif? En fait, ce n'est pas si simple parce que, si les entreprises et les associations évoluent dans le même environnement général, les activités associatives sont encastrées dans la société et le politique. L'action collective déployée par les associations dépend de l'engagement de chacun des citoyens et elle est liée aux programmes publics et à la résolution d'enjeux sociaux non pris en charge par les modèles classiques du monde de l'entreprise. En fait, deux éléments majeurs différencient le modèle économique d'une association de celui d'une entreprise. D'abord, la place du modèle économique dans l'organisation : alors qu'il constitue le cœur de l'organisation des entreprises, il n'est qu'une représentation des moyens pour atteindre ces objectifs au sein d'une association. Puis il y a les leviers d'action disponibles pour agir sur le modèle économique : l'entreprise peut essentiellement compter sur les ressources humaines salariat et prestations de services à titre onéreux et, pour les ressources financières, sur un revenu d'activité, l'emprunt ou l'investissement en equity ; l'association, elle, peut mobiliser des ressources humaines et financières très diversifiées, les subventions, les revenus d'activité, les cotisations pour les ressources financières, puis le mécénat, le bénévolat, le salariat, le service civique, le mécénat de compétences pour les ressources humaines. Enfin, l'association jouit d'une réelle légitimité, en tant qu'acteur de son territoire, pour nouer des alliances avec des partenaires locaux de natures très différentes, d'autres associations, des pouvoirs publics, des entreprises, ces partenariats pouvant s'avérer très fructueux. Ainsi, le modèle économique d'une association comporte, non seulement les ressources financières classiques, mais aussi les ressources humaines et les alliances avec l'écosystème local de l'association. Ces trois piliers du modèle économique associatif permettent aussi de bien cerner la spécificité du secteur associatif français en tant que tel, par rapport à celui que l'on peut trouver dans d'autres pays, dans lequel chacun de ces trois piliers a une place bien différente. Et si l'on y regarde de plus près, le secteur non lucratif français, et associatif plus particulièrement, est assez singulier par rapport à celui de nos voisins européens, mais aussi par rapport à des modèles plus répandus sur d'autres continents, comme le modèle américain. Relevons tout d'abord une différence majeure entre la logique généralement présente en Europe et celle que l'on retrouve aux États-Unis. Alors qu'en Europe on retrouve une prédominance du financement public, au travers de subventions, contrats ou achats de services, avec un accent particulier sur les associations qui œuvrent dans le domaine de l'État-providence, santé, éducation, action sociale, les associations américaines comptent principalement sur leurs ressources propres, cotisations, participation des bénéficiaires aux services rendus et revenus de leur patrimoine. Mais au sein même de l'Europe, le modèle du tiers secteur, le secteur associatif, varie d'un pays à l'autre pour de multiples raisons : les relations historiques et contemporaines entre les pouvoirs publics et les structures d'intérêt général, le niveau de protection et le type de régime de sécurité sociale, le niveau d'initiative et d'engagement bénévole et son caractère complémentaire ou substituable à l'emploi salarié, la place des religions principales et leurs liens historiques avec des structures d'intérêt général. Pour résumer, on retrouve cinq variantes principales dans le tiers secteur, dont les deux plus significatifs sont le modèle continental, que l'on retrouve en Allemagne, en Autriche et en Suisse, le financement public y est le plus important, un principe de subsidiarité et de décentralisation des services publics prédomine, et les associations sont de véritables partenaires des pouvoirs publics dans l'expérimentation et la mise en œuvre des politiques publiques ; la France est assez proche de ce modèle. Puis il y a le modèle anglo-saxon. On y retrouve les voluntary organizations et l'importance symbolique du bénévolat ; dans les services sociaux, les associations répondent aux appels d'offres des collectivités locales, entrant en compétition avec des entreprises lucratives. Leurs ressources sont plus variées et plus innovantes que dans le modèle continental. On note, au sein de ce modèle anglo-saxon, une différence entre le modèle américain et le modèle anglais : le financement public du secteur non lucratif reste prédominant au Royaume-Uni. On constate aujourd'hui en France, donc, depuis les années 2000-2010, une évolution vers un mélange continental anglo-saxon, donnant naissance à des structures très diversifiées dans leurs ressources et leurs modes d'action, dans le cadre d'un mouvement que l'on peut appeler hybridation. Pourquoi l'hybridation des modèles économiques associatifs est-elle donc aussi essentielle, en particulier dans le contexte qui est le nôtre? Eh bien, on peut cerner plusieurs tendances de fond, depuis une dizaine d'années, qui posent plus que jamais la question de réétudier les modèles économiques : un effet ciseaux, évoqué précédemment, des financements publics qui ne répondent plus aux besoins, qui changent aussi de nature, puisqu'ils passent d'une logique de subvention à celle de la commande publique ; ce sont ensuite des modèles de croissance et de structuration des activités qui changent, il y a des logiques d'alliances et de regroupements qui se développent fortement et les frontières entre l'économique et le social deviennent de plus en plus poreuses, donnant naissance à des modèles économiques alternatifs et à de nouveaux outils de financement. Puis la législation témoigne de ces changements profonds avec la création de l'agrément ESUS, entreprise solidaire d'utilité sociale, en 2014, et plus récemment avec l'adoption de la loi PACTE, qui permet aux entreprises classiques d'étendre leur objet social, créant ainsi ce qu'on appelle les entreprises à mission. Ainsi, les associations n'auront plus forcément le monopole de l'utilité sociale comme but ultime des actions menées. Venons-en maintenant aux richesses humaines, composante essentielle du modèle économique associatif, comme nous l'avons vu précédemment, qui sont aussi en profonde mutation. Le bénévolat passe d'une logique plutôt militante et sur le long terme à des formes d'engagement plus ponctuelles, plus diversifiées, pour chaque individu. Mais l'emploi associatif, sous toutes ses formes, évolue également, il se professionnalise de plus en plus, ce qui créé des défis pour les dirigeants associatifs dans la gestion des ressources humaines et l'articulation de ces différentes ressources mobilisées entre elles. Les associations n'ont, en outre, plus seulement une mission de terrain puis de plaidoyer au niveau du ministre, elles sont présentes dans toutes les instances territoriales, des régions à l'Union européenne, voire même à l'échelle mondiale. Enfin, les associations qui œuvrent pour l'intérêt général tentent à vouloir sortir, vis-à -vis des bénéficiaires, d'une logique d'assistanat pour aller vers une approche plus d'échange et d'accompagnement. Les associations font donc face à un triple défi lié à leur place singulière dans la société : elles ont un besoin croissant de fonds propres, elles éprouvent aussi de plus en plus le besoin d'être accompagnées, notamment pour changer d'échelle, enfin elles doivent faire la preuve de leur impact social dans le cadre des financements qui leur sont accordés. Ainsi, cette longue liste d'enjeux et de défis à relever pour les associations, mais aussi l'ADN associatif en lui-même qui est porté par des valeurs fortes et par la volonté de répondre avant tout à des problématiques sociales qui reste l'essence même de l'activité sociale, tout ceci atteste de la nécessité pour les dirigeants associatifs de réinterroger leur modèle économique et de réfléchir à ses évolutions possibles. [AUDIO_VIDE]