[MUSIQUE] [MUSIQUE] >> Nous sommes aujourd'hui avec Sophie KELLER, experte associée auprès de la chaire Entrepreneuriat social de l'ESSEC. Et Sophie tout se suite, on va se demander quels sont les défis auxquels un entrepreneur social est confronté lorsqu'il veut financer son projet. >> En effet Thierry, on a eu l'occasion d'accompagner de nombreux entrepreneurs sociaux en création ou en développement et l'enjeu du financement est un enjeu majeur. Aujourd'hui, ce qu'on peut constater, c'est que ça s'apparente souvent à un vrai parcours du combattant, la question de la levée de fonds pour les entrepreneurs sociaux. Et alors que ce n'est pas leur métier, ils y consacrent environ 40 % de leur temps, les dirigeants d'entreprises sociales, à lever de fonds. Le constat, c'est celui d'un maquis des financeurs dans lequel ils ont du mal à se repérer. Et ceci d'autant plus qu'il y a des déconvenues au rendez-vous. De nombreux financeurs encore aujourd'hui ne comprennent pas forcément très bien les modèles économiques des entreprises sociales et solidaires. Et du coup, à travers les bonnes règles de gestion qu'ils appliquent et leurs critères, excluent un certain pan de l'économie et de nombreux modèles économiques portés par les entreprises sociales et solidaires. Par ailleurs, on constate que certains outils ne sont pas du tout adaptés aux entreprises sociales ou solidaires ou ne sont pas au rendez-vous. On peut citer, par exemple, la difficulté pour les entrepreneurs sociaux de trouver des fonds pour financier leur fonctionnement. Les financeurs publics sont par exemple beaucoup encore dans des logiques de projet. Donc, si on prend du recul, on a d'un côté des entrepreneurs qui ont du mal à lever des fonds parce que, voilà, ils sont souvent confrontés à des difficultés de compréhension, et de l'autre côté, des financeurs qui nous disent on a du mal à trouver de bons projets, à voir des projets ambitieux, professionnels qui changent la donne. Cependant, ce qu'on constate, c'est que face à ces défis là, il y a une vraie prise de conscience. Peut-être qu'on est à un moment un peu historique où on se dit que les financeurs publics, qui jusque-là finançaient beaucoup les entreprises sociales, ne pourront plus assurer ce rôle-là dans un contexte de diminution budgétaire. Et que du coup, il y a un regain d'intérêt des financeurs privés pour ces entreprises-là, qui sont de plus en plus perçues comme les modèles les plus innovants, les modèles d'avenir, et du coup des projets à potentiel à financer jusque-là qui étaient mis de côté. Et les particuliers aussi, s'y intéressent de plus en plus. >> Alors, est-ce qu'il y a des financeurs qui sont spécialisés, qui sont dédiés à l'entrepreneuriat social? >> Alors d'abord, les financeurs publics sont les premiers financeurs des entreprises sociales et solidaires. C'est important de le rappeler, même si le paysage est en mutation. Les collectivités locales restent des acteurs majeurs du financement des entreprises sociales, notamment les conseils généraux qui agissent sur beaucoup de problématiques sociales et que, dans ce changement de contexte, c'est vrai que leurs modalités d'intervention changent. Les subventions étaient, souvent au rendez-vous, maintenant on est plus dans un mode de délégation, qui change la donne de rapport et de partenariat. À côté de ça, face aux banques qui en effet ne considéraient pas les entreprises sociales dans leur panel de financeurs, enfin de financées, les financeurs solidaires se sont développés, dédiés pour le financement des modèles associatifs, des modèles d'entreprises sociales, il y a déjà une trentaine d'années. Et les acteurs majeurs qui en font toujours partie aujourd'hui, sont notamment France Active, qui est présent dans tous les territoires et qui est sans aucun doute aujourd'hui pour les entrepreneurs une bonne porte d'entrée dans la levée de fonds. Parce que France Active accompagne sur le plan de financement, donc aide un entrepreneur dans son plan de financement, apporte des fonds adaptés au projet et au modèle économique et est capable de réunir un tour de table. Donc ils font effet de levier pour mobiliser d'autres banques. >> Ces autres banques, ce serait qui alors? >> Eh bien, dans les banques, c'est vrai que les banques de la première heure qui ont financé les entreprises sociales, sont d'abord les banques coopératives, qui par leur ADN avaient une affinité à mieux connaître ce secteur-là et à le financer, notamment le Crédit Coopératif, >> notamment la Caisse d'Epargne. À eux deux, chacun c'est plus de 700 millions d'euros par an qui sont investis dans les entreprises sociales. C'est donc des partenaires majeurs des entreprises sociales et solidaires. >> Il y a quelques nouveaux entrants. >> Exactement. Aujourd'hui, on voit que des banques commerciales se disent, mais pourquoi je renonce à ces modèles-là, et finalement à la fois dans la banque de détail mais aussi côté banque privée par les clients qui s'intéressent de plus en plus à ces modèles-là. Mais aussi côté investissement, pourquoi je ne financerais pas ces modèles-là? Donc on voit un mouvement qui est en train de s'installer dans ces banques-là, de plus de financement, et qui est pour autant en démarrage et à confirmer. Et il est lié très fortement à un point qu'il est important de connaître, qui est l'épargne salariale solidaire, qui est un mouvement en France qui se développe fortement, où grâce à des lois qui sont passées dans les années 2000, chaque entreprise doit proposer à ses salariés des fonds dans lesquels on collecte de l'épargne pour des entreprises sociales, et des grands gestionnaires d'épargne, qui sont ces grandes banques, BNP, Amundi, Natixis, ouvrent des fonds dédiés aux entreprises sociales et solidaires. Cette épargne, elle augmente de 30 % par an, donc ce sont des poches d'argent qu'on oublie trop et qui sont dédiées à ces projets-là. Donc n'hésitez pas aussi à aller voir les banques sous cet angle-là. >> Alors les pouvoirs publics, les banques, on voit aussi des entrepreneurs sociaux qui mobilisent des particuliers et donc des individus pour financer leurs projets. Est-ce que l'entreprise sociale peut, elle aussi, faire appel à ces particuliers? >> Alors jusque-là, c'est vrai, on n'en a pas parlé mais >> c'est vrai que la logique d'avoir des donateurs pour les projets d'entreprenariat social a toujours été une logique forte. Avec une nouvelle tendance aujourd'hui qui se développe, qui est celle du Crowdfunding, grâce aux outils numériques qui permettent de mobiliser largement autour des projets et au-delà de ces cercles proches. Donc c'est une tendance en développement. J'irai encore plus loin. On voit se développer, au-delà de ces cercles de Crowdfunding, des individus qui deviennent des investisseurs et qui se montent même en collectifs pour monter des fonds d'investissement dédiés pour des projets d'entreprenariat social. On peut citer Investir&+, on peut citer PhiTrust, et puis des fonds aussi de capital développement tel que Le Comptoir de l'Innovation ou encore Siparex où là, on a affaire à du capital long qui reste pendant 7 ans dans l'entreprise, dont l'objectif est d'abord d'avoir un impact social, et aussi d'avoir un vrai accompagnement par des investisseurs qui mouillent la chemise et qui sont là pour apporter leurs compétences. Ça c'est aussi une tendance nouvelle dans ce secteur. >> Pour conclure, il y a peut-être >> des pistes innovantes de financement qui sont à tester demain, peut-être à l'échelon européen, j'ai envie de dire, mais quoi de neuf ou quoi d'encore plus neuf dans cet univers du financement des entreprises sociales? >> Comme je le disais, il y a une vraie prise de conscience que plus personne ne pourra y aller seul pour changer d'échelle dans l'innovation sociale, ni les pouvoirs publics, ni les particuliers, ni les entrepreneurs sociaux, >> ni les PME. Et on voit se mettre en place des logiques de circuits courts de financement mobilisant collectivement autour d'un projet ou au cœur d'un territoire différentes parties prenantes. >> Comme par exemple? >> Comme par exemple un projet comme les Fermes de Figeac, qui en deux semaines a pu lever 350 000 € de son territoire, à Figeac >> pour pouvoir mettre en place des financements pour un projet d'éoliennes. Et je pourrais en citer d'autres mais le Crédit Agricole d'Alsace en deux mois a levé 18 millions de particuliers du territoire pour des projets liés à l'emploi. On voit qu'il y a un réservoir de financement à révéler par des projets collectifs de financement. Et pour rebondir sur l'international et sur l'Angleterre, des outils qui ont pu être développés en Angleterre comme les Social impact bonds, qui sont des outils mobilisant des partenaires publics, des financeurs privés autour d'un sujet d'intérêt général majeur, type l'insertion des personnes issues du milieu carcéral, la prévention de la délinquance, qui sont des sujets des collectivités locales ou des acteurs publics majeurs, ces nouveaux outils de financement tels que les Social impact bonds vont permettre demain de fédérer des investisseurs privés et des collectivités autour de projets les plus vertueux et les plus impactants. Donc la suite est à écrire mais elle est autour du Collective impact et de l'engagement de tous autour des projets.