[MUSIQUE] Pape Sakho, on vous a écouté cette deuxième semaine. Quels sont les points importants qu'il faut retenir? >> Au cours de cette deuxième semaine qui vient de s'écouler, >> on a axé la problématique autour de l'offre de service de transport. Alors, et les éléments essentiels qu'il faudrait retenir, c'est que d'abord, d'une part, il y a ce processus qui a produit le déclin de service public. Parce que, au départ donc, les Etats avaient misé sur les entreprises publiques de transport. Et ensuite, avec ce déclin, il y a eu des interstices dans lesquels se sont insérés ces opérateurs privés individuels ou collectifs, mais appelés informels. Dans un premier temps donc, ils vont être combattus, ensuite on va les régulariser, selon le contexte du moment, et le niveau de fonctionnement de l'entreprise publique. Donc, l'Etat va réagir soit en allant dans les interdictions, ou bien en allant dans la négociation, mais du coup on va finir par formaliser, donc ce transport informel. Et ceci c'est essentiellement grâce à un certain nombre de chercheurs, qui ont beaucoup travaillé sur l'Afrique, et qui ont vu que là où très souvent on considérait qu'il n'y avait aucune organisation qui sous-tendait ce fonctionnement, ils ont pu déceler qu'il y avait des règles de fonctionnement et qu'il y avait des acteurs clés, qui organisaient, donc le fonctionnement de ce secteur. >> Mais alors cela veut dire que c'est quand même un échec pour le service public. Pourquoi cela n'a pas fonctionné? >> Alors, l'échec, on peut le chercher sur la stratégie d'abord donc des Etats. Parce que dès le départ, les Etats, donc en créant, donc ces entreprises publiques, ont misé sur les grands autobus. Alors, le problème qui va se poser, c'est que face aux infrastructures routières, qui sont déficientes, donc ces automobiles n'ont pas une longue durée de vie. Et, un expert Xavier Godard justement disait en fait que en Afrique, les autobus ont une durée de vie de 4 ans. Alors, et chaque fois qu'il y avait des problèmes donc, tout de suite il y avait le contexte économique, qui va faire que les Etats qui sont confrontés, donc à des problèmes budgétaires, donc avec ces politiques d'ajustements structurels ne vont plus pouvoir renouveler les parcs, ne vont plus pouvoir assurer donc, le renouvellement des pièces, donc de rechange. >> Et, cela veut dire que c'est finalement l'initiative privée qui a pris le dessus. Mais, on parle de 4 ans pour un bus. Si je prends les cars rapides de Dakar, d'où vous venez, les cars qui sont colorés, c'est des cars qui n'étaient plus produits lorsque je suis né il y a quelques années. Donc, c'est des cars qui ont 20, 30 ou 40 ans, et qui roulent toujours. Donc, d'un côté le service public n'est pas capable de mettre en place des cars qui durent plus de 4 ans, et d'un autre côté, on voit que les privés y arrivent. Donc, quel est votre sentiment là derrière? Est-ce qu'il y a finalement il y avait un manque de volonté de la part de l'Etat, de transporter les gens? Ou est-ce que c'était un manque de compétences ou de vision par rapport à cela? >> Je dirais pas de manque de volonté, parce que quand on arrive à des points critiques, l'Etat fait toujours quelque chose, parce que >> donc l'Etat veut se pérenniser, que les élites politiques voulant se pérenniser, chaque fois qu'on arrive à un point critique, donc l'Etat est obligé d'intervenir, pour que il n'y ait pas cet éclatement social. Alors, le problème, moi je trouve, se trouve ailleurs. Il se trouve les stratégies qui ont été développées par ces opérateurs. Vous parliez donc de ces cars rapides de Dakar. Mais qu'est-ce que c'était? C'étaient des véhicules solides, donc de transport, non pas de personnes, mais de marchandises. Donc, cela c'est quelque chose déjà, c'est un matériel assez robuste. Ensuite, ces opérateurs sont parvenus à développer une, je dirais même à la limite, une technicité à prendre en charge le problème, donc de la gestion des contraintes qui vont se poser aux véhicules. Et, on va voir se développer une masse de petits métiers, donc de mécaniciens, de vulganisateurs donc, et ces gens, ce sont ces gens qui vont pérenniser, donc le système. >> Mais, alors >> à vous entendre, vous parliez finalement que après, l'Etat a lutté à un moment donné. Les Etats ont lutté contre ce transport informel, qui est mieux sous son étiquette de transport artisanal. Mais ils ont lutté, puis finalement ils se sont dit que il fallait essayer de formaliser cet informalité. Est-ce que c'est une bonne chose finalement? Parce que à vous entendre, on a un foultitude de petits métiers qui sont nés de là. On a une organisation qui était, on le pensait informelle, mais qui était très précise, dans des rapports sociaux entre les gens, entre les chauffeurs, entre les gens qui travaillent dans ce domaine. Donc, il y a toute une organisation sociale là derrière. Et puis finalement, l'Etat essaie de récupérer, d'après ce que je comprends, et de formaliser tout cela. Est-ce que c'est une bonne chose, cette formalisation? Qu'est-ce qu'elle emmène? Ou est-ce qu'au contraire, on n'est pas en train de tuer les initiatives, qui étaient justement, qui font tout, je dirais l'essence même de ce transport artisanal. >> Le rôle de l'Etat est quand même important. Parce que c'est un mouvement quasi spontané. Et je crois que là le rôle de l'Etat, non pas en tant que puissance qui vient réorganiser les choses, mais l'Etat doit appuyer ces acteurs pour se formaliser, pour être plus compétitifs, plus rentables même, dans la mesure où on va mettre en place des mécanismes de gestion donc, de comptabilité, et que également, tous les acteurs puissent tirer profit. Parce que ce qu'on a vu c'est que ceux qui tirent profit peut-être, c'est le transporteur. Pour que le chauffeur puisse tirer profit donc c'est un jeu de cache-cache, c'est un jeu de négociations. c'est un jeu de qui est le plus malin pour s'en tirer. En conséquence, c'est le matériel qui se dégrade plus vite, parce que fortement utilisé, et ensuite, c'est même la sécurité des gens qui en dépend. >> Par contre, alors l'arrivée de l'Etat, est-ce qu'elle veut dire aussi qu'il y a une couverture spatiale plus grande, ou finalement cela c'est laissé, je dirais à l'appréciation des privés? On sait bien que si j'étais privé et que j'ai mon propre bus, je vais aller sur, entre guillemets, les lignes, parce qu'elles ne sont pas formalisées ces lignes, mais disons sur les itinéraires qui sont le plus rentable. Donc, cela veut dire que les lointaines banlieues ne sont pas très rentables, les faibles densités ne sont pas très rentables. Donc, comment est-ce que les privés arrivent à finalement donner un service public, dans sa première acceptation, qui est un service donné à l'ensemble de la population? >> Monsieur Chenal, c'est tout le problème, justement. C'est tout le problème, dans la mesure où effectivement l'acteur privé, il cherche toujours à rentabiliser son capital. Et l'Etat a le devoir de faire jouer le service public pour justement ceux qui sont les plus fragiles, donc notamment les populations qui sont les plus éloignées. Alors, peut-être que la solution irait dans le sens de ce qu'on appelle la compensation de service public. Il faudrait peut-être arriver à ce que certains opérateurs économiques qui interviennent sur des lignes qui ne seraient pas très rentables, de recevoir une compensation de l'Etat, pour assurer ce minimum de service public Peut-être que c'est des solutions comme cela, qui vont permettre de pouvoir articuler, donc le service public à la rentabilité financière des opérateurs privés. >> Alors, une dernière question. Lorsque l'on voit les cars rapides, on sait qu'on peut transporter beaucoup de monde. Mais, c'est peu de monde par rapport à un système de métro, ou à un système de chemin de fer. Bon. Est-ce que c'est encore viable dans les très grandes mégalopoles, ou il y a beaucoup de monde, d'avoir ces systèmes ces systèmes artisanaux, ou est-ce que, à un moment donné, on doit faire du transport à haute intensité, on pourrait dire, pour pouvoir déplacer tout le monde? Quelle est la position par rapport à cela? >> Effectivement, l'Etat, les Etats, depuis les indépendances, ont privilégié, pratiquement, le routier. Donc, le transport routier. Alors que, quelque part, ailleurs on a vu que le développement des grandes agglomérations urbaines de par le monde, passe par l'existence d'un service de transport de masse. Par l'exemple, le train, le métro, le tram. Malheureusement, et je disais souvent que le fait de créer des infrastructures ne règle pas souvent le problème. Parce que à Dakar, par exemple, on a vu que quand on a, à partir des années 2000, on a mis l'accent sur les infrastructures routières à grande vitesse, des autoroutes, des voies rapides. Qu'est-ce qui s'est passé? Il y a eu un déplacement, donc d'un certain nombre de populations qui ont quitté les centres. Il y a eu certaines délocalisations, un dépérissement du point de vue résidentiel des centres, vers les périphéries. Pourquoi? Parce que ces populations qui ont des moyens se disent que maintenant qu'on a une voie rapide, rien ne nous empêche de rester en ville. Alors, se déplaçant dans les périphéries. Mais, le problème qui se pose c'est que l'aménagement du centre est resté le même. Tout de suite, aujourd'hui, à Dakar, dès qu'on sort de l'autoroute, on tombe sur une congestion. On peut passer entre 15 minutes à 30 minutes pour arriver à l'entrée du centre en quittant 30 kilomètres plus loin, mais on va passer, dans ce centre-là, une demi-heure pour pouvoir trouver où se garer, pour pouvoir accéder à son bureau. >> Merci beaucoup pour ces précisions, et on donne rendez-vous aux participants, la semaine prochaine. >> Merci.