-A la différence de la citoyenneté, qui est une notion philosophique dont les valeurs sont inscrites aux frontons des édifices publics en France, il y a la nationalité, qui est une notion juridique, c'est-à-dire on est étranger ou national. On a vu dans la section précédente, quand on parlait de la France, que la nationalité peut s'acquérir de diverses manières, par le droit du sol ou le droit du sang, dans un équilibre du droit du sol et du droit du sang, qui est une tendance qui s'est imposée en France mais aussi dans la plupart des pays européens d'immigration. Et cette situation qui prend en compte, dans la population, les effets des nouveaux nationaux, puisque le seul facteur de croissance de la population dans les pays européens est l'immigration, arrive aussi à des cas de double nationalité. La double nationalité, c'est le fait que dans les pays d'accueil, de plus en plus, on ait développé la possibilité d'acquérir la nationalité par le droit du sol, le fait d'être né sur le territoire ou d'y avoir vécu un certain temps qui peut donner accès à la naturalisation, et que dans beaucoup de pays de départ, on soit dans un droit de la nationalité qui est défini par le droit du sang, c'est-à-dire la filiation. Pour rappeler les choses, en Europe, on a eu d'abord plusieurs étapes. On a eu notamment le droit du sol, qui était le droit hérité du système féodal. Le paysan est attaché à la terre de son seigneur, et jusqu'à la Révolution française, il devait payer des taxes puisqu'il était lié à cette terre. Donc, il y avait un système de corvées, un système de droits féodaux, etc., qui était très lié au fait que chacun était plutôt un national de son territoire que d'un Etat, qu'il percevait parfois de façon un peu floue. Donc, le droit du sol a été considéré comme un archaïsme par les philosophes des Lumières, et Napoléon Ier, qui a mis en oeuvre, dans ses différents codes, les valeurs des Lumières. Dans le Code civil, il a changé le système et mis en oeuvre le droit de la filiation, qui était d'ailleurs un droit romain. Ce droit de la filiation a été appliqué à tous les pays conquis par Napoléon Ier, qui ensuite sont restés sur ce système, par exemple, l'Allemagne, dont on a beaucoup parlé pour l'opposer à la France. Ce droit de la filiation, donc, s'est révélé assez peu efficace quand ces pays sont devenus des pays d'immigration, qui voulaient incorporer les nouveaux-venus. L'Angleterre, en revanche, non conquise par Napoléon, en est restée au droit du sol, et ça a été très pratique, si j'ose dire, pour ses colonies, qui étaient des colonies de peuplement, puisqu'une fois qu'on était né sur le territoire de ces colonies, on devenait un national, donc il y avait très rapidement, pour les nouveaux arrivants nés sur le territoire, une incorporation dans la nationalité du pays d'accueil. C'est encore le cas aux Etats-Unis, au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande, et dans plusieurs pays latino-américains. En fait, le monde, si j'ose dire, se partage entre droit du sol et droit du sang. Les pays où il est le plus difficile... Tous les pays d'islam sont des pays de droit de la filiation, et ça crée d'ailleurs des situations de double nationalité. Beaucoup de ceux qui sont nés, par exemple, sur le territoire français ou dans n'importe quel pays d'accueil aujourd'hui européen, qui a introduit dans les années 1990 seulement, cet équilibre entre droit du sol et droit du sang qu'en France, on a mis en oeuvre dès la fin du XIXe siècle avec la loi de 1889 sur la nationalité, sont des nationaux des pays d'accueil où ils sont nés. Mais ils sont aussi des nationaux des pays d'origine des parents, puisque dans ces pays, c'est le droit de la filiation qui fonctionne, et qui est donc la seule définition de la nationalité. On peut même être national de tel ou tel pays sans avoir jamais mis les pieds sur ces territoires. Cette double nationalité se développe à travers le monde. C'est une façon de contourner aussi le système des visas, puisque si on est européen, on n'a plus besoin, dans beaucoup de pays, de fournir des visas. C'est un phénomène qui est un indice de la modernité et de la mobilité des populations à travers le monde. Elle se gère soit par des accords de double nationalité, soit plus souvent par une tolérance à l'égard du fait que les personnes aient la double nationalité. Un double national, c'est quelqu'un qui a non seulement deux passeports, mais qui relève, dans le pays où il vit à tel ou tel moment, de la loi de ce pays, sans pouvoir se prévaloir de la protection de l'autre pays, et qui inversement, quand il est dans l'autre pays, est sous le régime de la loi de ce pays, et qui ne peut pas se faire protéger par cet autre pays. Donc on sépare complètement les deux, et aujourd'hui, beaucoup de populations issues de l'immigration dans les pays européens sont des double nationaux. La question se pose parfois pour les allégeances, parce qu'on se dit : "Comment est-ce que quelqu'un qui a une double nationalité va réagir dans telle ou telle situation internationale, de conflit, par exemple ? Est-ce qu'on peut envoyer des militaires double nationaux dans des pays dont ils partagent la religion, etc. ?" Toutes ces questions ont été posées, mais la pratique montre que dans la plupart des cas, les gens respectent cette règle qui consiste à se conformer à la loi du pays dans lequel on vit, et puis ensuite, d'en changer quand on change de pays. Donc la double nationalité est un phénomène en plein développement. Aujourd'hui, il y a plus de 90 pays qui admettent, tolèrent, ou ont conclu des dispositions de double nationalité à travers le monde. Donc, la moitié des pays du monde acceptent cette situation. C'est une forme d'adaptation, finalement, aux fermetures des frontières, en se dotant de la nationalité des pays les plus généreux pour la liberté de circulation. Autre caractéristique de ce droit de la nationalité, il peut avoir des dispositions très complexes, qui sont un peu des exceptions au système, et qui sont héritées parfois d'un passé colonial. C'est le cas, par exemple pour l'Algérie, puisque comme on l'a vu dans le chapitre précédent, des nationaux, qui sont donc français, le sont parce qu'ils ont le double droit du sol, c'est-à-dire quand ils sont nés en France de parents nés en France, ils sont français, par exemple. Pour ceux qui sont nés à l'étranger, il faut qu'ils se fassent naturaliser. Ceux qui sont nés en France de parents étrangers sans qu'il s'agisse de l'Algérie, ne deviennent des nationaux qu'à l'âge de 18 ans. C'est une disposition particulière. On en a beaucoup d'autres avec des pays comme l'Espagne et le Portugal, qui ont un régime de réciprocité pour les droits, avec les pays où leurs nationaux sont nombreux, notamment l'Amérique latine, le Brésil ou les colonies portugaises, donc c'est un deuxième type de disposition. Il y a quelques pays européens qui essaient de récupérer, d'une certaine façon, de nouveaux nationaux avec leurs populations émigrées du passé qui peuvent faire la preuve de leurs origines. Par exemple, l'Italie, qui reste un pays de droit du sang, essaie aujourd'hui, dans un contexte de déclin démographique, de donner la nationalité italienne à des gens qui n'ont jamais eu cette nationalité, mais dont les quatre grand-parents étaient italiens, et qui sont installés par exemple, en Amérique latine, en Australie, ou dans tel ou tel pays européen. La Hongrie, aujourd'hui, donne des passeports hongrois à des populations d'origine hongroise, qui sont, par exemple, en Ukraine, ce qui peut être attractif, puisque les Ukrainiens ne sont pas dans l'Union européenne, donc sans passeport bordeaux avec exemption de visa dans beaucoup de destinations. On peut s'étonner, finalement, qu'à l'échelon européen, on n'ait pas voulu passer le pas, puisque chaque pays a les mêmes droits au sein de l'Europe. C'est une citoyenneté d'attribution, une citoyenneté qui vous est donnée par votre nationalité, la citoyenneté européenne, une citoyenneté de réciprocité. On donne des droits parce que l'autre pays donne des droits à nos nationaux. Une citoyenneté hiérarchisée, ceux qui ont le plus de droits, ce sont les Européens qui vivent dans leur pays de nationalité, ensuite, il y a les Européens de l'Union vivant dans un autre pays que le leur, les étrangers au statut de résident, les résidents de courte durée, puis à la fin, on a les demandeurs d'asile et les sans-papiers. Donc citoyenneté très hiérarchisée que cette citoyenneté européenne, mais on peut s'étonner finalement, puisque les droits sont les mêmes pour tous les Européens, que le débat n'ait pas avancé sur les mêmes conditions d'accès en Europe à la citoyenneté européenne, donc à la nationalité, dans chacun des pays européens. La thématique de la nationalité est extrêmement sensible dans beaucoup de pays européens, parce que c'est là que se joue l'histoire, l'identité de chacun des pays. Donc, même si on a une sorte de convergence aujourd'hui, droit du sol, droit du sang dans la plupart de ces pays, il y a beaucoup de sensibilité sur cette thématique et pour l'instant, ça fait partie de la subsidiarité, c'est-à-dire c'est une règle qui fait prévaloir la dimension nationale sur la dimension européenne dans les politiques mises en oeuvre. Donc, on n'est pas encore dans un système d'accès égal. La même personne, un Afghan, par exemple, qui vivrait en France ou en Angleterre n'aura pas le même accès à la nationalité selon le pays où il vit. Ca, c'est très important. Autre élément, sur cette nationalité, c'est un régime qui est très inégal de par le monde. C'est en Asie qu'il est le plus difficile d'acquérir la nationalité du pays d'accueil. Autant les grands pays d'immigration de peuplement ont ouvert très vite, avec le droit du sol, la nationalité, autant les pays asiatiques sont très attachés à cette filiation. Donc, c'est en Chine qu'il est le plus difficile de devenir chinois, si j'ose dire, pour des étrangers. Le Japon aussi a un système extrêmement hiérarchisé pour l'accès à la nationalité japonaise. Même ceux qui reviennent au Japon, qui ont vécu, par exemple, dans l'entre-deux-guerres au Brésil, ceux qu'on appelle les "nikkeijin", n'ont pas accès à la pleine citoyenneté japonaise, alors qu'ils sont d'origine japonaise. Donc, il y a toute une série de régimes à travers le monde, mais, dans l'ensemble, on a quand même une grande séparation du monde entre, d'un côté, les pays de droit du sol pur, c'est-à-dire la naissance sur le territoire qui donne accès à la nationalité, et les pays de filiation pure, pour lesquels il est très difficile d'acquérir la nationalité du pays d'accueil.