[MUSIQUE] [MUSIQUE] Dans ce prochain interview, j'ai le plaisir de m'entretenir avec Svenja Taubner. La professeur Svenja Taubner est une spécialiste en psychothérapie de l'université de Heidelberg. Elle fait partie de la Chambre nationale de psychothérapie en Allemagne, c'est une institution qui gouverne toute la pratique de la psychothérapie. Elle a par ailleurs initié le réseau germanophone des thérapies basées sur la mentalisation, et elle est aussi directrice du Centre de prévention psychosociale, et ça c'est particulièrement intéressant pour nous parce que en fait, Svenja a adapté les traitements basés sur la mentalisation à une population particulière qui sont les adolescents avec des troubles des conduites, et des conduites antisociales. On va parler de "anti-social youth" en anglais, et on va pouvoir s'interroger avec Svenja autour de ce phénomène, cette expression de l'agression, de la violence auprès des jeunes adolescents, et comment la prise en charge basée sur la mentalisation peut être pertinente. Salut Svenja. >> Salut. >> Comment vas-tu ? Merci d'être là. >> Merci de m'avoir invité pour parler de mon sujet préféré ! >> [RIRE] Oui, bien, Je suis très heureux de t’avoir dans ce MOOC. En fait, nous essayons d'apprendre comment la mentalisation peut être appliquée dans différents types de psychothérapie. Et tu as vraiment été la principale investigatrice de l'adaptation de la thérapie basée sur la mentalisation pour les jeunes antisociaux. Et donc, d'abord en tant que praticiens, qu'avons-nous besoin de savoir sur la mentalisation et les jeunes antisociaux ? Comment ces éléments se mélangent-ils vraiment ? >> Tout d'abord, tu dois savoir que dans ce groupe de patients, la mentalisation est extrêmement faible. Donc ne t’attends pas à beaucoup d’introspection. C’est ce qui m'est arrivée quand j'ai parlé à des psychologues qui travaillent dans les prisons. Comme un psychologue m'a dit : « Je ne travaille pas avec les jeunes qui ne font pas preuve d’introspection ». Et cela m'a en fait motivé à faire de la recherche sur ce groupe parce que je n'ai pas pensé qu'ils ne soient pas nécessairement capables de faire preuve d’introspection. Parce qu'il leur manque une compétence psychologique qui est de mentaliser pour être introspectif. Donc quand tu travailles avec eux, devenir introspectif est en fait le résultat d'un processus thérapeutique plus long et cela ne peut pas être le point de départ. >> Exact. Ok, donc c'est vraiment intéressant. Donc, en ce qui concerne leurs comportements, en termes de comment ils essaient de s'exprimer sans cette compétence de mentalisation facilement accessible, parfois ils expriment leurs émotions par des actions, certains disent des choses à travers peut-être l'agression ou transgressions des règles et ainsi de suite. Comment vois-tu cela dans tes études ? >> Ouais, je ne fais pas une grande différence entre l'automutilation et le fait de nuire aux autres. Donc, quand tu essayes d'expliquer l'automutilation, tu peux revenir à un échec dans la mentalisation, et c'est la même chose pour l'agression. Donc l'agression peut être comprise comme une défaillance de la mentalisation. Mais il y a aussi ces cas où il y a une criminalité chronique et une agressivité chronique. Et dans ces cas, on peut peut-être dire qu'ils n'ont pas désappris l'agressivité tout au long de leur développement, alors que c'est ce que l'on attendrait normalement. Donc les gens sont très agressifs quand ils naissent. L'agressivité est probablement plus élevée à l'âge de deux ans. Donc c'est ce que les psychologues du développement pensent ou croient et ont prouvé dans leurs données. Et donc alors l'agression devrait diminuer par la suite, dans certains cas, environ 5% des gens, elle ne diminue pas. Et c'est un peu un mystère encore pourquoi elle ne diminue pas. Vous avez ces cas où l'agression n'est pas désapprise et ce sont les cas que nous essayons de traiter dans nos thérapies. Et nous essayons de découvrir si améliorer la mentalisation, est un moyen de désapprendre l'agressivité plus tard dans la vie, ce qui aurait normalement dû avoir lieu dans la petite enfance. Ce que nous voyons aussi dans ces cas c’est qu'il y a eu beaucoup d'abus, un abus physique sévère, des relations d'attachement non gratifiantes et un échec de la mentalisation dans le système familial. Et donc cela pourrait être lié. Voici donc notre hypothèse, que l'agression se produit quand elle n’a pas été désapprise dans le contexte d'une relation précoce abusive. >> C'est vrai. Donc il semble que tu établis un lien et c'est ta recherche qui dessine aussi ce lien entre ces premières expériences d'attachement, ce qui est appris et pas désappris dans ces expériences. Oui, et comment cela se passe. Donc, en tant que praticien MBT, en tant que formateur MBT, où commences-tu en quelque sorte… comment peux-tu entrer dans une relation avec ces jeunes ? Parce que je suppose que parfois cela n’est pas complètement évident. >> Ouais, donc je veux dire que c'est le plus gros problème, également si tu veux faire une étude. Nous venons de terminer une étude de faisabilité et il nous a fallu trois ans pour recruter 30 patients pour participer à cette étude. Donc ce n'est pas beaucoup, mais en fait pour ce groupe de patients, c'est beaucoup. Et cela se décide dans les 10 premières minutes de votre première session avec ce patient, s'il va rester avec vous ou pas. Donc, construire des récompenses et une relation de confiance est essentielle. C'est très rapide et ils vous testent réellement et si vous échouez dans les 10 premières minutes, vous êtes éliminé, ils sont partis, ils ne vont pas travailler avec vous. Donc c'est vraiment difficile de rester curieux quand quelqu'un dit qu'il a battu quelqu'un ou ou qu'il a commis un acte criminel. C'est le moment où le thérapeute perd normalement sa propre mentalisation et commence à devenir peut-être hostile, même envers ce patient. Et c'est là que ces thérapeutes échouent. C'est donc quelque chose sur lequel nous travaillons vraiment et nous avons une position qui s'appelle « rouler » avec la résistance. Donc nous n'essayons pas de les briser. Et c'est ce qui arrive parfois, ce qui se passe quand ils rencontrent un adulte, alors ils essaient de les dominer ou de réagir de manière autoritaire, mais ce n'est pas utile. Donc nous restons curieux, nous ne les brisons pas, nous roulons avec eux, nous sommes gratifiants et ce qui est très important, nous sommes très, très validants. Parce que dans leur système de pensée et de sentiment, c'est très, très compréhensible comment ils se comportent. >> En effet. >> Mais quand tu arrives au point où la mentalisation entre en jeu ce qui peut prendre un certain temps avec eux, alors ils repensent réellement à leur propre comportement. Et après un an de traitement, ils disent parfois, je me sens si honteux. Je peux revoir la vidéo de mon premier entretien ? Je ne peux pas croire que j'étais cette personne à l'époque. >> C'est vraiment super intéressant. Nous avons le temps pour une dernière question très rapidement. Je suis curieux de savoir comment la mentalisation a-t-elle changée la façon dont tu pratiques en tant que psychothérapeute ? >> Eh bien, J'ai une formation de psychanalyste classique et... j'ai été formé à être très abstinent, à être très neutre et à être plutôt silencieuse et laisser le patient faire tout le travail. Et avec la posture mentalisante, je pense que que cela correspond aussi mieux à ma personnalité. J'ai le droit d'être très active et j'ai aussi le droit d'être très authentique et de les laisser utiliser mon esprit. Donc c'est ce qui est vraiment…, et c'est ce que les adolescents aiment vraiment, ils trouvent une vraie personne dans le thérapeute et c'est ce qui les change. >> C'est vrai. Eh bien, merci d'avoir participé, merci pour ton excellent travail avec cette population. Je suis super excité de voir les résultats de tes recherches et j'espère que nous pourrons nous revoir très bientôt. >> Merci. >> Ok, au revoir Svenja. >> Au revoir. >> Dans cet interview, la professeure Svenja Taubner a attiré notre attention sur comment engager les jeunes avec des troubles du comportement, les comportements antisociaux, et quelque part il y a un enjeu ici absolument central pour entamer un travail thérapeutique avec eux. Dans cet enjeu, la mentalisation est un outil générique très important pour pouvoir se mettre à leur place, ne pas nous-même entrer dans une position comme ça où on donnerait un genre de posture de dire comment faire ou de s'opposer nous-même ou de devenir un petit peu désobligeant avec ces jeunes, et plutôt de s'intéresser à ce qu'il y a derrière leur comportement, à qu'est-ce qui les habite, et il y a un enjeu vraiment très rapide au début, dans les premières séances, pour lier une relation de travail et lier une relation thérapeutique. Et les résultats des travaux de Svenja Taubner seront bientôt disponibles et il est très intéressant de voir notamment qu'elle met en avant tout un processus justement qui mène à un accès à la mentalisation, à la connaissance de soi au travers de cette relation-là en moyenne d'une durée d'environ un an avec ces jeunes. [MUSIQUE]