Bonjour. Aujourd'hui, nous allons reprendre l'expérience d'interférences, étudiée au cours de la séance d'exercices précédente. Et nous allons voir dans quelle mesure il pourrait être envisageable de détecter par quelle fente la particule est passée afin de mesurer à la fois sa position sur l'écran et sa direction, c'est-à-dire son impulsion. Bien entendu, nous ne voulons pas installer un détecteur de particules juste derrière les fentes dans le masque. En effet, nous perturberions, voire pire, nous absorberions la particule passant par la fente rendant alors impossible la formation de la figure d'interférences en aval ainsi que la détection de la position d'impact. Il faut donc trouver une mesure non destructive, effectuée en aval du système de fentes, permettant de détecter à la fois la position d'impact de la particule sur l'écran et sa direction d'origine. Voici le dispositif expérimental envisagé. L'écran est monté sur roulettes, lui permettant de se déplacer verticalement. Un système de mesure de la position et de la vitesse de l'écran est associé au système. Lorsqu'une particule en provenance d'un l'un ou l'autre des trous rencontre l'écran, elle lui transfert la composante verticale de son impulsion, ce qui se traduit par un déplacement de l'écran. Le déplacement vertical de l'écran dépend de la composante verticale de l'impulsion de la particule et donc de la fente par laquelle elle est passée. Si l'on parvient à mesurer suffisamment précisément le déplacement de l'écran, on parviendra à déterminer par quelle fente la particule est passée tout en mesurant simultanément sa position d'impact sur l'écran. La norme de l'impulsion est une quantité conservée. Les ondes sphériques issues des deux trous ont en effet la même longueur d'onde que l'onde plane incidente. On a ainsi | p | = h barre k = h / lambda. Les composantes verticales de l'impulsion, selon que la particule est passée par la fente 1 ou 2, s'écrivent p 1 = (p / D) (x + a / 2) et p 2 = (p / D) (x- a / 2). La différence entre les deux composantes correspondant aux deux fentes s'écrit alors delta p = p a / D = h a / (lambda D). La différence d'impulsions entre les deux chemins vaut delta p = h a / (lambda D). Pour déterminer par quelle fente la particule est passée, il faut donc mesurer l'impulsion de l'écran avec une précision delta p très inférieure à la différence entre les deux chemins, à savoir h a / (lambda D). Dans le même temps, on veut que la figure d'interférences reste observable, sinon on ne pourra plus prétendre avoir observé un phénomène ondulatoire. Pour que la figure ne soit pas brouillée, il faut que le déplacement de l'écran induit par la mesure de l'impulsion soit très inférieur à l'interfrange i, ce qui donne delta x << i = lambda D / a. Observer le phénomène d'interférences et mesurer dans le même temps la fente par laquelle la particule est passée implique alors que le produit delta p delta x soit très petit devant h a / (lambda D) * lambda D / a, soit h. Cette relation est en contradiction totale avec la relation d'incertitude de Heisenberg appliquée à l'écran. Il n'y a pas moyen de mesurer à la fois l'impulsion et la position de l'écran avec la précision requise. Si l'on parvient à mesurer l'impulsion avec la précision nécessaire, alors la position de l'écran sera altérée significativement, au point de brouiller la figure d'interférences. Une mesure de la fente par laquelle est passée la particule fait nécessairement disparaître le phénomène d'interférences. Un aspect fondamental dans ces différentes expériences est qu'elles se fondent sur la mesure de la position et de l'impulsion de l'écran. Or, les appareils de mesures sont basés sur les interactions entre systèmes, telles que par exemple la déflexion d'un photon par une aiguille. Au niveau microscopique, ces différents processus impliquent nécessairement une altération du système. Ainsi mesurer la position d'un objet avec une précision meilleure que delta x impose d'utiliser un photon de longueur d'ondes lambda < delta x. Ce photon porte une impulsion p = h / lambda, qui est transmise à l'objet dont on cherche à mesurer la position. Il en résulte une perturbation de l'impulsion de ce dernier. On peut par ailleurs estimer les ordres de grandeur des précisions requises. Considérons ainsi une expérience effectuée avec un laser. On prend par exemple une longueur d'ondes de 500 nanomètres, une distance d'observation de 1 mètre, et une distance entre les fentes de 0,1 mm. L'interfrange lambda D / a vaut alors 5 mm. Ce qui est raisonnable. La précision requise sur l'impulsion de l'écran vaut alors delta P = h a / (lambda D) = 1,3 * 10 (- 31) kg m s (- 1). Si l'on suppose un écran extrêmement léger d'environ 1 gramme, cela correspond à une vitesse de déplacement de 10 puissance (- 28) m s (- 1). Une telle vitesse correspond à un déplacement d'un noyau atomique tous les 250 000 ans. Totalement hors de portée, car complètement négligeable face aux déplacements induits par l'agitation thermique. Quand bien même la théorie le permettrait, l'expérience serait totalement impossible à réaliser en pratique. Finalement, on observe que selon l'expérience que l'on réalise, on obtient parfois un comportement que l'on pourrait qualifier de particulaire, et parfois un comportement que l'on pourrait qualifier d'ondulatoire. Ainsi, si l'on cherche à savoir par quelle fente la particule est passée, on obtient une réponse, mais dans le même temps, la figure d'interférences disparaît. Le fait de vouloir savoir par quelle fente est passée la particule a pour effet de matérialiser cette dernière sur l'une ou l'autre des fentes. Et donc de remplacer la superposition de deux ondes par une onde unique. Dans le même temps, si l'on observe la position des particules sur l'écran, on mesure la figure d'interférences et on perd toute information sur les fentes. Cette sorte de dichotomie perturba pendant longtemps le physicien américain John Archibald Wheeler. Parmi les questions d'ordre philosophique qu'il se posait figurait celle de l'existence possible d'une information cachée. Le système possédait peut-être une information sur son état qui serait transmise au photon. Ce dernier, en quelque sorte, serait prévenu à l'avance du type de mesure que l'on allait effectuer sur lui, et choisirait en conséquence de se comporter plutôt de façon ondulatoire ou plutôt de façon particulaire, en fonction de la mesure prévue. John Wheeler imagina alors en 1970 une expérience de pensée diabolique, afin de tester cette théorie. Cette expérience d'interférences aurait les propriétés suivantes. Tout d'abord, afin d'éliminer toute hypothèse de comportement collectif, l'expérience utiliserait des photons ou des particules uniques dont la fonction d'onde serait séparée en deux dans un interféromètre. Ensuite, afin de tester l'hypothèse d'une information cachée, l'interféromètre pourrait être à la demande soit fermé, ce qui signifie que les deux ondes seraient recombinées pour donner lieu à une figure d'interférences, soit ouvert, ce qui signifie que l'on ne regarderait que l'un ou l'autre des deux bras, indépendamment de l'autre, permettant ainsi de mesurer en quelque sorte par quel bras la particule est passée. De façon à empêcher la transmission d'une information cachée, il est enfin indispensable que l'état du système, ouvert ou fermé, soit décidé après la séparation de l'onde en deux composantes. Il a fallu attendre l'année 2007 pour une réalisation expérimentale de l'expérience de Wheeler tant cette dernière était difficile à mettre en pratique. Le schéma expérimental de l'expérience réalisée en 2007 par Vincent Jacques et ses collègues faisait intervenir les états de polarisation d'un photon unique. L'impulsion émise par une source de photon unique était dans un premier temps séparée en deux polarisation orthogonales par une lame semi-réfléchissante nommée BSinput sur la figure. Une lame BS' à droite permettait de recombiner les deux faisceaux et de mesurer sur les diodes D 1 et D 2, après une nouvelle séparatrice notée WP sur la figure quel chemin le photon avait emprunté. Néanmoins, un module électro-optique placé en aval de la recombinaison permettait de faire tourner la polarisation des deux faisceaux de 45 degrés et ainsi de les faire interférer avant la dernière séparatrice. Ce module électro-optique était basculable en 48 nanosecondes. Nettement moins que le temps mis par l'onde pour parcourir l'un ou l'autre des deux bras. Afin de garantir une totale absence d'informations cachées, la configuration de la lame électro-optique était décidée de façon aléatoire par un générateur quantique basé sur un bruit de grenaille. Indépendamment de toute information connue par l'expérimentateur. Ainsi, au moment où la fonction d'onde du photon était séparée en deux composantes, aucune information ne permettait de prévoir si les deux composantes allaient être recombinées ou pas. Le résultat de l'expérience est montré ci-contre. Lorsque l'interféromètre est fermé, les deux composantes de l'onde inferfèrent et la probabilité de détecter les photons sur les photodiodes D 1 ou D 2 dépend sinusoïdalement de la différence de marche entre les deux bras. Cette dernière peut être contrôlée électroniquement à l'aide d'une lame à retard électro-optique. En revanche, lorsque l'interféromètre est ouvert, la figure d'interférences disparaît totalement et chaque photon a une probabilité un demi d'être détecté dans l'un ou l'autre des deux bras. Dans la mesure où le choix de la configuration est effectué bien après que l'onde a été séparée en deux, on a la certitude que la particule a bien adopté un comportement ondulatoire. Lorsque l'on cherche à savoir par quel chemin la particule est passée, le processus de mesure associée en quelque sorte relocalise la particule dans l'un ou l'autre des bras faisant ainsi disparaître les interférences. Avant la mesure, la particule était dans les deux bras à la fois. Mais dès que l'on cherche à mesurer par quel bras la particule est passée, on trouve la particule dans l'un ou l'autre des bras et ses propriétés de délocalisation sont perdues. Ces aspects sont au cœur de la notion de mesure que nous allons aborder au cours des prochaines séances. La séance d'exercices d'aujourd'hui dédiée à la relation entre interférences et relations d'incertitude est maintenant terminée. Merci, et à bientôt. [AUDIO_VIDE] [AUDIO_VIDE]