Bonjour. Au cours de cette séance d'exercices, nous allons revenir sur l'expérience des fentes de Young, appliquées à des ondes de De Broglie, c'est-à-dire à des ondes de matière. On considère donc un masque percé de deux fentes, considérées infiniment fines, espacées d'une distance petit a. A une distance grand D, supposée très grande devant petit a, on place un écran d'observation. Et on envoie sur ce système une onde plane de matière monochromatique, d'impulsion p 0. Et on désire déterminer la figure d'interférences sur un point x quelconque de l'écran sachant que les ondes provenant des deux fentes vont interférer en ce point. Rappelons maintenant quelques propriétés des ondes de De Broglie. Ce sont des ondes planes. En tant que telle, la fonction d'onde peut s'écrire psi (r, t) = (psi 0) * exp (i (k r- oméga t)), où k est le vecteur d'ondes, et oméga la pulsation. La propagation d'une onde de matière obéit à l'équation de Schrödinger. A trois dimensions, cette équation s'écrit i (h barre) (d psi) / (d t) =- ((h barre 2) / (2 m)) * laplacien de psi. A une dimension, on remplace le laplacien par une dérivée seconde de x, et on obtient l'équation en dérivée partielle, i (h barre) (d psi / d t) =- ((h barre 2) / (2 m)) (d psi / d (x 2)). En insérant l'expression de psi dans l'équation de Schrödinger, on obtient la relation de dispersion qui s'écrit h barre oméga = ((h barre 2) (k 2)) / (2 m). Il est important de noter que cette relation est non linéaire, contrairement à la relation de dispersion de l'électromagnétisme. Les ondes d'énergies élevées correspondent à une fréquence ou à une pulsation élevée. D'après la relation de dispersion, elles correspondent également à un vecteur d'ondes k, et donc à une impulsion p = h barre k élevée. Ceci est aisément compréhensible au regard de la mécanique classique. L'énergie du cinétique d'une particule matérielle est proportionnelle au carré de sa quantité de mouvement. Les particules les plus rapides sont aussi celles dont l'énergie est la plus élevée. Au contraire, pour la lumière, la vitesse de propagation de l'onde ne dépend pas de sa fréquence ou de l'énergie des photons la constituant. Revenons à notre onde plane incidente. Le principe de Huygens-Fresnel de la physique ondulatoire nous indique que l'onde à droite du masque percé de fentes se compose de la superposition de deux ondes sphériques d'origine sur chacune des deux fentes, et en phase avec l'onde incidente sur le masque. Ce principe extrêmement général s'applique à tous les phénomènes ondulatoires. Ondes électromagnétiques, ondes sonores, vagues à la surface de la mer. Ainsi, la photo aérienne ci-contre vous montre l'interférence de vagues produite par deux îles au voisinage de la côte. La houle provenant de la haute mer se comporte en première approximation comme une onde plane en provenance du large. La présence d'îles bloque la propagation des ondes. Et la région libre entre ces dernières engendre la formation d'ondes sphériques qui interfèrent entre elles. Le calcul de l'amplitude sur l'écran d'observation se fait donc en sommant les amplitudes des deux ondes provenant respectivement des deux fentes. On peut aisément montrer que ces ondes sphériques s'écrivent sous la forme psi (r, t) = ((e psi 0) / r) exp (i (k r- oméga t)), où e est la largeur des fentes et r la distance entre le point sur l'écran et la fente. L'amplitude de l'onde est ainsi inversement proportionnelle à la distance. Cela garantit en particulier que l'intensité sur une sphère de rayon grand R ne dépend pas de ce dernier. L'énergie totale de l'onde est alors conservée. L'amplitude sur l'écran s'obtient donc à partir des deux distances D 1 et D 2, en additionnant les contributions des deux ondes sphériques, Plusieurs approximations sont ensuite utilisées. Tout d'abord, la distance grand D étant très grande devant petit a, on peut négliger la diminution de l'amplitude de l'onde avec la distance, et considérer que les deux ondes ont la même amplitude sur l'écran d'observation. Cela revient à approcher à grande distance les ondes sphériques par les ondes planes. Cela permet de factoriser l'amplitude sur l'écran, sous la forme psi D (x, t) = ((e psi 0) / D) * e (- i oméga t) * (e puissance (i k D 1) + e puissance (i k D 2)). L'intensité mesurée sur l'écran s'écrit comme la norme au carré de l'amplitude de l'onde. En utilisant l'expression factorisée précédente, on fait apparaître la différence de distance D 1- D 2, que l'on appelle la différence de marche delta. La seconde approximation consiste à considérer que la distance petit x est également très petite devant grand D. On peut alors utiliser une approximation des petits angles, et considérer ainsi un développement limité au premier ordre non nul des distances D 1 et D 2 en x. Ces deux distances s'écrivent alors, D 1 = D + 1 / (2 D) * (x + a / 2) au carré, et D 2 = D + 1 / (2 D) * (x- a / 2) au carré. La différence de marche utilisée dans l'expression de l'intensité se simplifie alors et vaut simplement (a x) / D. La figure d'interférences sur l'écran s'exprime alors simplement sous la forme I = 2 I 0 (1 + cos ((k a x) / D)). Le cosinus peut enfin s'écrire sous la forme d'un sinus au carré. On obtient alors la forme simplifiée I = 4 I 0 sinus au carré ((k a x) / (2 D)). La figure d'interférences est ainsi une sinusoïde décrite par l'expression I = 4 I 0 sinus carré ((k a x) / (2 D)). L'interfrange i est définie comme la distance entre deux maxima de la figure d'interférences ou de façon équivalente entre deux minima. Il s'obtient en écrivant (k a i) / (2 D) = pi. Ce qui donne, i = (2 pi D) / (k a) = (lambda D) / a. On retrouve exactement la même expression que pour des ondes électromagnétiques. Nous avons l'habitude de considérer la lumière comme un phénomène ondulatoire, au contraire de la matière que nous décrivons généralement comme des particules ou des solides. En général, les expériences d'interférences ou de diffractions sont réalisées avec des sources intenses, telles que des lasers. Et la figure apparaît immédiatement, traduisant ainsi l'aspect ondulatoire de la lumière. Cependant, tout comme la matière ordinaire, la lumière est constituée de grains de lumière élémentaire appelés photons. Le comportement ondulatoire est-il un phénomène collectif, qui émerge en présence d'un grand nombre de particules? Ou bien est-il un phénomène intrinsèque, qui subsiste lorsqu'on considère une particule unique? Les techniques modernes permettent maintenant de réaliser des sources de lumière à photon unique, qui à chaque impulsion envoient un photon et un seul. Comment s'interprète alors le phénomène d'interférence? Un photon unique passe-t-il à travers l'un ou l'autre des deux trous? Ou bien passe-t-il à travers les deux trous à la fois? Comment se construit la figure d'interférences, lorsqu'on envoie les photons un à un? A l'aide de ces sources de lumières, on a pu montrer que l'aspect ondulatoire est intrinsèque à la matière ou à la lumière. Et qu'il subsiste en présence de particules uniques, même si une particule individuelle est détectée en un point et un seul. Si les particules passent par un trou et un seul, on devrait obtenir à la fin de l'expérience la superposition de deux faisceaux, un correspondant à chaque trou, comme sur la figure de gauche. Au contraire, si une particule se comporte de façon ondulatoire, alors son paquet d'ondes après le masque correspond à la figure de droite. La particule sera bien entendu détectée à un endroit et à un seul sur l'écran, et la figure d'interférences se construit progressivement à mesure de l'accumulation des détections des particules successives. La figure d'interférences peut alors s'interpréter comme la densité de probabilités de détection de la particule sur l'écran et est une propriété intrinsèque de la fonction d'onde. Une telle expérience utilisant des photons uniques a été réalisée à de nombreuses reprises. Elle ne présente pas de difficultés particulières. Chaque photon est détecté à un endroit précis. Et la figure d'interférences apparaît progressivement. Il a fallu beaucoup plus de temps pour réaliser la même expérience avec des ondes de matière. En effet, la différence principales avec les ondes électromagnétiques, tient dans la longueur d'onde beaucoup plus faible des ondes de matière. Pour que la figure d'interférences ne soit pas brouillée, il faut que la distance entre les trous soit du même ordre de grandeur que la longueur d'onde, de façon à obtenir un interfrange mesurable. Il faut d'autre part que la taille des trous soit plus petite que cette longueur d'onde, afin que les contributions des différents points de la fente restent en phase. En effet, chaque fente produit une figure de diffraction dont la largeur est inversement proportionnelle à sa largeur. La figure d'interférences est alors, n'est alors visible pardon. La figure d'interférences n'est alors visible que dans le recouvrement de ces deux figures de diffraction. Pour des ondes de matière, la relation de dispersion est égale à h barre oméga = h barre 2 k 2 sur 2 m. En utilisant l'expression de l'énergie e = h barre oméga, on obtient la longueur d'onde lambda = 2 pi sur k = 2 pi h barre sur racine de 2 m e. Considérons par exemple des électrons d'énergie cinétique 50 kilo-électronvolts. On utilise ici les unités des physiciens nucléaires et des physiciens des particules. Un électronvolt correspondant à 1,6 * 10 puissance (- 19) joules. Dans ces unités, la masse de l'électron s'exprime sous la forme de son énergie de masse divisée par la vitesse de la lumière au carré, et cela en vertu de la formule d'Einstein E = m c 2. On a ainsi la masse qui vaut 511 keV / c carré. La constante de Planck s'exprime enfin sous la forme h barre c = 197. La constante de Planck s'exprime enfin sous la forme h barre c = 197 MeV fm, ou un Fermi correspond à 10 puissance (- 15) mètres. En utilisant ces unités, la longueur d'onde se calcule très simplement, et vaut au final 3,5 * 10 puissance (- 12) mètres. Cette longueur est plus petite d'un ordre de grandeur en-dessous de la distance interatomique dans un solide. Il n'est donc pas possible d'utiliser des fentes classiques pour faire interférer des faisceaux d'électrons, et il est nécessaire de recourir à des techniques plus sophistiquées. La première mise en évidence d'interférences d'électrons a été réalisée par monsieur Tonomura et ses collaborateurs en 1989. En lieu et place d'un système de fentes, cette expérience a utilisé un système de biprisme électrostatique, constitué de deux plaques métalliques placées de part et d'autre d'un fil conducteur porté à un potentiel. Le gradient de potentiel ainsi créé dans l'espace courbe la trajectoire des électrons et induit un déphasage analogue à celui créé par un système de fentes en électromagnétisme. La valeur du potentiel appliqué permet de contrôler la distance entre les deux fentes virtuelles. Enfin, la figure d'interférences d'interfrange 0,5 micromètres seulement était élargie d'un facteur 2 000 par un système de lentilles, avant d'être enregistré sur une caméra. Voici les résultats obtenus par l'équipe de monsieur Tonomura en 1989. On voit apparaître sur l'écran connecté à la caméra des points brillants ici ou là, qui correspondent à des impacts individuels d'électrons. Comme les électrons sont envoyés l'un après l'autre avec un espacement suffisant, chaque impact ne peut correspondre qu'à un électron unique. La probabilité de détecter deux électrons en même temps, ayant éventuellement interagi entre eux est totalement négligeable. Les électrons apparaissent ainsi comme des particules ponctuelles. On est tenté de croire que chaque électron doit être passé de façon aléatoire d'un côté ou de l'autre du biprisme. Cela devrait alors créer en première approximation une densité de probabilité a peu près uniforme sur le détecteur, dépendant de la dispersion intrinsèque du faisceau. Peu à peu cependant, au fur et à mesure de l'accumulation des impacts, une figure d'interférences apparaît sur l'écran. La distribution de probabilités d'apparition d'un électron unique sur le détecteur n'est pas uniforme, et correspond à une densité de probabilité sinusoïdale caractéristique d'une figure d'interférences. L'expérience a duré 30 minutes au total. À la fin, la figure d'interférences est extrêmement claire sur l'écran. Comment interpréter ce résultat alors que l'on a envoyé les électrons un à un? Chaque électron se comporte comme une onde qui passe des deux côtés du biprisme à la fois. Les deux composantes de l'onde interfèrent ensuite en aval de ce dernier. L'apparition de l'impact d'un électron sur le détecteur suit alors la densité de probabilité de présence, qui correspond à la norme de la fonction d'onde au carré, c'est-à-dire à la figure d'interférences. Chaque électron est donc bien délocalisé avant d'interagir avec le détecteur. Et c'est cette interaction même qui fait apparaître l'électron comme un point sur le détecteur. Le processus de la mesure qui est cœur de ce phénomène sera explicité plus en détails au cours des séances suivantes. Nous avons montré au cours de cette séance d'exercices le caractère ondulatoire de la matière. Et nous avons montré que les phénomènes caractéristiques des ondes électromagnétiques ont leurs équivalents pour des ondes de matière. L'aspect ondulatoire de la matière n'est pas cantonné aux particules élémentaires telles que les électrons. Il s'applique également à des particules plus complexes telles que les protons, et même à des ensembles de particules comme des molécules. Ainsi en 2012, une équipe internationale, sous la conduite de monsieur Markus Arndt, a réussi à faire interférer des molécules organiques de phtalocyanine composées chacune de 114 atomes, pour une masse totale de 514 unités de masse atomique. La figure d'interférences obtenue est montrée ci-contre et constitue à cette date un record mondial. On le voit, si l'aspect ondulatoire est plus facile à mettre en évidence pour des particules ponctuelles ou simples, la description sous forme de fonctions d'onde est intrinsèque à la nature même de la matière, et peut s'appliquer à des objets nettement plus compliqués. Cette séance d'exercices est maintenant terminée. Merci de l'avoir suivie, et à bientôt.