[MUSIQUE] Comme nous l'avons vu dans la leçon précédente, l'effet tunnel permettant à une particule de franchir une barrière malgré l'énergie a priori insuffisante est un phénomène quantique par excellence. Plus précisément, il s'agit d'un effet lié à la nature ondulatoire de notre particule. Pour cette raison, on peut rencontrer des processus très similaires dans d'autres branches de la physique ondulatoire, comme par exemple dans le domaine de l'optique. C'est tout l'objet de cette leçon où nous allons découvrir la réflexion totale interne frustrée, qui est l'analogue de l'effet tunnel en optique ondulatoire. Commençons donc par rappeler la profonde analogie qui existe entre optique ondulatoire d'une part, mécanique quantique d'autre part. Comme vous le savez, à partir des équations de Maxwell, on peut facilement établir l'équation de propagation des ondes électromagnétiques dans le vide. Pour un champ scalaire E, l'équation de propagation obtenue s'écrit laplacien E- 1 / c^2 (d^2 E / dt^2) = 0, où c est la vitesse de la lumière dans le vide. Dans le cas d'un milieu matériel transparent et isotrope, il suffit de remplacer la vitesse de la lumière dans le vide c par la vitesse de la lumière dans le milieu, soit c/n, où n est par définition l'indice de réfraction du milieu. Si on s'intéresse maintenant à un champ monochromatique de fréquence oméga, on peut écrire E = E rond * e^(- i oméga T). Si bien que dériver deux fois par rapport au temps revient simplement à multiplier par- oméga^2. On obtient ainsi une équation différentielle faisant uniquement intervenir les dérivées du champ par rapport aux coordonnées spatiales. Le terme associé à la dérivée seconde du champ par rapport au temps est devenu un simple produit entre le champ et le carré de n oméga / c. En appelant k cette dernière quantité qui n'est autre que le vecteur d'onde dans le milieu, on obtient une équation appelée équation de Helmholtz qui s'écrit laplacien E + k^2 E = 0. Enfin, si nous considérons un milieu non plus homogène mais inhomogène avec un indice de réfraction qui dépend de la position r dans l'espace, on doit alors introduire un vecteur d'onde k de r, fonction de la position. On obtient alors l'équation laplacien E + k de r au carré E = 0. Considérons maintenant l'équation de Schrödinger. Cette équation est a priori très différente de l'équation de propagation des ondes électromagnétiques puisqu'il s'agit maintenant d'une équation différentielle du premier ordre. Mais si nous nous intéressons à un état stationnaire dont la dépendance en temps est e ^ (- i E t / h barre), on aboutit à l'équation en valeurs propres habituelles, encore appelée équation de Schrödinger indépendante du temps. En posant k de r = (racine de (2m (E- v)) / h barre, on arrive finalement à la même équation qu'en optique, c'est-à -dire laplacien phi + k de r au carré phi = 0. Les deux équations sont donc rigoureusement identiques. Pour autant, l'analogie n'est pas encore complète, car en mécanique quantique, nous savons que le vecteur d'onde peut être soit réel lorsque E > v, soit imaginaire pur dans les régions de l'espace où E < v. À l'inverse, pour un milieu transparent d'indice n, le vecteur d'onde en optique est a priori une grandeur réelle. Ceci étant dit, il existe des systèmes optiques où l'on peut faire apparaître un vecteur d'onde imaginaire pur, comme nous allons le voir maintenant. Considérons le problème de la réfraction d'un faisceau lumineux sur un dioptre blanc séparant deux milieux transparents homogènes associés aux indices respectifs n1 et n2 ou encore aux vecteurs d'onde k1 et k2. Dans la suite, on supposera que n2 < n1, et donc que k2 < k1, comme dans le cas d'un faisceau sortant d'un bloc de verre. Considérons donc un faisceau incident dans le plan x, z. L'axe z étant par définition normal au dioptre et appelons k indice i le vecteur d'onde associé à ce faisceau. Nous savons que le faisceau indicent pourra donner naissance à un faisceau réfléchi associé au vecteur d'onde k indice r et à un faisceau transmis associé au vecteur d'onde k indice t. Comme ces trois faisceaux sont solutions de l'équation de Helmholtz, les vecteurs k i et k r auront même norme, à savoir k1, tandis que le vecteur k t aura pour norme la valeur k2 que nous avons supposée inférieure à k1. Les relations de continuité que doivent vérifier les différentes composantes cartésiennes des champs électriques et magnétiques ne pourront être vérifiées que si nos trois ondes restent en phase au niveau du dioptre, ce qui implique que les composantes horizontales des vecteurs d'onde soit égales. La relation k i x = k r x nous permet de retrouver la loi de la réflexion qui stipule que le faisceau réfléchi fait avec la normale le même angle que le faisceau incident. La relation k i x = k t x impose quant à elle que l'angle i2 que le faisceau transmis fait avec la normale au dioptre soit différent de l'angle i1 associé au faisceau incident. Plus précisément, les composantes selon x des deux vecteurs d'onde s'écrivent respectivement k1 sin i1 et k2 sin i2, ce qui nous permet de retrouver la fameuse loi de la réfraction, n1 sin i1 = n2 sin i2. Comme n2 < n1, l'angle i2 sera supérieur à i1, ce qui signifie que le faisceau s'écarte de la normale lors de la réfraction. Pour que le faisceau puisse sortir du matériau d'indice n1, il faut donc que l'angle d'incidence soit inférieur à un certain angle appelé angle limite, dont le sinus est égal au rapport des deux indices. Au-delà de cet angle, la lumière ne peut plus sortir du premier milieu et le faisceau incident est totalement réfléchi. C'est le phénomène de réflexion totale. On peut retrouver ce dernier phénomène en considérant la composante normale k t z du vecteur d'onde du faisceau réfracté [INAUDIBLE]. D'après le théorème de Pythagore, on a k t x au carré + k t z au carré = k2 au carré. Mais k t x = k i x, c'est-à -dire k1 sin i1. On en déduit que k t z = racine carrée (k2^2- k1 ^2 sin^2 i1). Comme k1 > k2, il existe un angle i1 au-delà duquel le nombre dont on doit prendre la racine carrée est négatif, ce qui correspond à un k t z imaginaire pur. On voit donc qu'au-delà de cet angle limite, on ne peut plus avoir de propagation dans le second milieu, ce qui implique une réflexion totale du faisceau incident. Comme vous avez pu le voir dans le quiz, une onde exponentiellement décroissante peut parfois être solution de l'équation de Helmholtz. Votre vecteur d'onde imaginaire pur correspond donc bien à une solution physiquement acceptable. Pour un angle d'incidence supérieur à l'angle limite, on peut donc dire qu'on a une onde incidente qui subit une réflexion totale sur le dioptre tout en donnant lieu à une onde évanescente que l'on peut caractériser par un vecteur d'onde k t z imaginaire pur. On a ainsi une situation parfaitement analogue à celle de la réflexion sur une marche de potentiel en mécanique quantique. Dans les deux cas, on a réflexion totale de l'onde incidente avec une onde évanescente dans le second milieu. Pour obtenir l'équivalent d'une barrière tunnel, il suffit maintenant d'approcher un second morceau de verre d'indice n1, morceau que l'on positionnera à une distance a du premier. Les équations de l'optique étant similaires à celle que l'on a en mécanique quantique, on s'attend donc à ce que l'onde évanescente régnant dans l'interstice donne naissance à une onde transmise par effet tunnel, dont l'amplitude dépendra de manière exponentielle de l'épaisseur de l'interstice. Ce phénomène bien connu des opticiens est ce qu'on appelle la réflexion totale interne frustrée, et est l'équivalent optique de l'effet tunnel en mécanique quantique. Passons maintenant à la mise en évidence pratique de ce phénomène. Pour cela, je vais vous montrer une expérience qui a été réalisée par Thierry Avignon et Cédric Lejeune à l'Institut d'Optique Graduate School. Dans ce montage, on utilise un prisme en verre dans lequel on envoie un faisceau laser ici de couleur verte, de sorte qu'il arrive sur l'interface verre air avec un angle d'incidence d'environ 45 degrés, qui se trouve être supérieur à l'angle limite. On observe donc une réflexion totale. Mais nous savons qu'il existe une onde évanescente s'étendant dans l'air à proximité du dioptre. Pour extraire cette onde, on dispose un second bloc de verre tout près du prisme. Si on regarde de plus près, on voit que l'épaisseur a de l'interstice est pour l'instant trop grande pour que l'on puisse observer un effet tunnel. Compte tenu de l'échelle caractéristique de l'onde évanescente, de l'ordre de 200 nanomètres, il faut en effet que l'épaisseur de la barrière soit inférieure au micron pour qu'on puisse observer un effet non négligeable. L'expérimentateur va alors approcher le second bloc de verre en le déplaçant et en changeant son orientation jusqu'à trouver une région de la surface suffisamment plane malgré la rugosité du verre pour finalement obtenir un interstice d'épaisseur submicronique. Lorsqu'on y parvient, une fraction non négligeable voire majoritaire de l'onde incidente est transmise par effet tunnel dans le second bloc de verre. Cette expérience met donc directement en évidence l'existence d'une onde évanescente. Le fait que cette onde évanescente décroisse très vite en fonction de la distance au dioptre a donné lieu à de nombreuses applications, notamment pour la reconnaissance d'empreintes digitales ou encore en microscopie, ce qui permet par exemple d'imager de manière sélective la surface de cellules biologiques. De la même manière, la variation très rapide de l'onde évanescente associée à une particule quantique présente un intérêt immédiat pour une technique de microscopie entièrement nouvelle, que l'on appelle la microscopie à effet tunnel et qui fait l'objet de la prochaine leçon. [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE] [MUSIQUE]