[MUSIQUE] L'hypothèse de De Broglie était fondée sur un critère logique voire esthétique : la lumière possède une double nature, ondulatoire et corpusculaire. Il serait naturel et élégant qu'il en aille de même pour la matière. Mais la physique est avant tout une science fondée sur l'expérience. Une hypothèse, même très élégante, ne vaut que si elle est confirmée par les faits. Comment donc tester l'hypothèse de Louis de Broglie? Le propre d'une onde c'est de se propager et d'interférer dès que plusieurs chemins sont possibles pour cette propagation. La célèbre expérience des trous de Young illustre remarquablement ce point. On envoie de la lumière sur un premier écran percé de deux trous. On détecte la lumière transmise sur un deuxième écran en aval du premier. Sur ce deuxième écran on observe des franges brillantes alternant avec des franges sombres. Ces franges sont parallèles aux fentes. Elles correspondent à des lieux de l'espace où les amplitudes diffractées par chacune des deux fentes s'additionnent dans le cas des franges brillantes ou se soustraient dans le cas des franges sombres. Tout phénomène ondulatoire doit donner lieu à ce type de phénomène d'interférence, que l'on s'intéresse à des ondes lumineuses, à des ondes acoustiques ou comme ici à des ondes de matière. Louis de Broglie était pleinement conscient de ce point. Il avait d'ailleurs demandé à certains collaborateurs de son frère, Maurice de Broglie, de rechercher expérimentalement si un faisceau d'électrons pouvait être diffracté par un cristal comme la lumière est diffractée par un réseau optique. Mais le laboratoire de Maurice de Broglie était mal équipé pour cette recherche. Il fallut attendre trois années après l'hypothèse de De Broglie pour que l'expérience de diffraction d'ondes de matière soit réalisée et cela dans deux laboratoires différents : le laboratoire de Davisson et son collaborateur Germer aux Bell Labs, aux États-Unis, et celui de George Thomson à l'université d'Aberdeen en Écosse. Ces deux groupes mirent en évidence l'effet ondulatoire prévu par de Broglie. Et le prix Nobel fut attribué en 1937 à Davisson et à Thomson pour cette découverte. Cet effet ondulatoire, je vous propose de le regarder maintenant, mais sur une expérience beaucoup plus récente qui a été réalisée au Japon avec du matériel moderne. L'expérience consiste à observer l'interférence à deux ondes avec des électrons. Nous reviendrons dans la leçon suivante sur l'expérience de diffraction d'électrons par un cristal menée par Davisson et Germer. Je vous propose donc de considérer le montage conçu par Akira Tonomura et son équipe dans les laboratoires d'Hitachi. On part d'une source d'électrons ayant une énergie cinétique de cinquante kilo électron volts ce qui correspond à une vitesse de l'ordre du quart de la vitesse de la lumière. Les électrons se propagent du haut vers le bas sur une distance de l'ordre du mètre et ils sont détectés quand ils frappent l'écran. On peut visualiser le point d'impact de chaque électron sur un moniteur comme vous allez le voir dans un instant. Le flux de la source est très faible : seulement dix électrons par seconde. Un électron met environ dix nanosecondes pour aller du filament émetteur jusqu'au détecteur. Par conséquent, la probabilité d'avoir deux électrons simultanément en vol dans le dispositif est extrêmement faible. Et on peut négliger tout phénomène de répulsion électrostatique entre les électrons. Le point crucial de l'expérience est le filament central d'un diamètre d'environ un micron qui empêche les électrons de passer au milieu. Pour aller de la source vers le détecteur les électrons ont donc deux chemins à leur disposition : passer à gauche ou à droite du filament. En fait, je viens de faire un gros abus de langage en utilisant le mot ou dans la phrase à gauche ou à droite du filament. C'est un langage bien adapté pour décrire l'aspect corpusculaire mais pas l'aspect ondulatoire des phénomènes. Parlant d'une onde, je devrais dire plutôt à gauche et à droite. Et parlant d'un objet qui est à la fois un corpuscule et une onde, je ne sais pas très bien ce que je dois dire. Cela dépend de la nature de l'expérience selon qu'elle tente à révéler plutôt le caractère corpusculaire ou le caractère ondulatoire de la particule quantique. En l'occurence c'est bien le caractère ondulatoire qui nous intéresse ici. Et la phrase à gauche et à droite est plus appropriée. Le montage de Tonomura est en fait très proche d'un interféromètre à deux ondes, bien connu en optique, le biprisme de Fresnel. Dans cet interféromètre, on envoie une onde lumineuse plane sur un système composé de deux prismes disposés côte à côte. Le prisme de gauche dévie la lumière vers la droite. Le prisme de droite dévie la lumière vers la gauche. Si on place un écran dans la zone où les deux faisceaux déviés se recouvrent, on peut observer des interférences lumineuses avec un contraste très marqué. Regardons maintenant le résultat de l'expérience menée par Tonomura avec des électrons. Voici le début du film enregistrant les points d'arrivée des électrons sur l'écran de détection. On voit un premier impact, puis un deuxième, un troisième, un quatrième. Que dire à ce stade? Chaque électron est détecté en un point de l'écran, à la résolution de l'appareil de mesure près. C'est tout à fait compatible avec l'idée que l'électron est une particule ponctuelle. Par ailleurs, le point d'impact sur l'écran, de coordonnées, x y, d'un électron donné, semble aléatoire. Or, tous les électrons sont préparés dans les mêmes conditions initiales : même énergie cinétique, même distance à parcourir. Nous en déduisons donc que deux électrons préparés dans ce qui parait être des conditions initiales identiques conduisent à des résulats différents quand on mesure leur position. Visionnons maintenant le film en entier. Au début, nous continuons à voir ces impacts aléatoires sans qu'aucune structure à grande échelle n'apparaisse. Les points d'impact semblent distribués uniformément sur l'écran. Attendons un peu pour que la statistique s'améliore. Et pour cela, augmentons la vitesse de déroulement du film. Maintenant, avec suffisamment d'impacts, une figure caractéristique d'un phénomène ondulatoire apparaît. Nous observons de superbes franges d'interférence. Ce qui semblait uniforme avec seulement quelques particules ne l'était en fait pas. Il y a des lignes verticales qui sont restées sombres sur lesquelles pratiquement aucun électron n'est venu se positionner. Et il y a des lignes brillantes entre ces lignes sombres sur lesquelles de nombreux électrons se sont accumulés. Ce que nous avons devant nous représente l'essence de la dualité onde-corpuscule qui va jouer un rôle central dans notre exploration du monde quantique. Un objet individuel se comporte comme un corpuscule, avec un point d'impact bien précis. Mais quand nous préparons la même expérience avec un grand nombre de particules quantiques, toutes préparées dans le même état, alors leur nature ondulatoire se révèle. Nous observons ainsi des franges d'interférence très marquées. Il s'agit maintenant de construire le formalisme pour décrire ce double aspect de la physique quantique. Nous devons poser les principes de cette nouvelle mécanique qui va venir se substituer à celle de Newton et c'est ce qui va nous occuper dans la prochaine leçon.