[MUSIQUE] [MUSIQUE] Nous commencerons bien sûr par le point de départ de toute cette histoire, Johann Wolfgang von Goethe. L'écrivain a publié dès la fin des années 1820 plusieurs séries de notes sur ce qu'il a baptisé du nom de Weltliteratur, la littérature mondiale. Ce n'étaient à l'origine que des bribes, quelques pensées. Mais elles ont été commentées pendant deux siècles, jusqu'à nous, et ces commentaires ont peu à peu tissé des généalogies de pensées à l'échelle du monde entier. Nous allons donc suivre ces généalogies l'une après l'autre. La première de ces généalogies s'interroge sur le rôle de la philologie face à la littérature mondiale. Les réflexions de Goethe ont inspiré la naissance de la littérature comparée ainsi que les travaux d'un grand nombre de comparatistes dont nous discuterons ici, certains des plus éminents, Erich Auerbach par exemple, auteur de l'un des ouvrages les plus importants de la critique littéraire du XXe siècle, Mimèsis, mais aussi René Étiemble, dont on a pu dire qu'il était l'enfant terrible de la littérature comparée française, ou David Damrosch, actuellement Professeur de littérature mondiale à l'Université de Harvard. La question de la traduction sera ici centrale. Comment en effet faire le tour de cette Babel de la littérature mondiale? Peut-on se fier aux traductions lorsqu'on parcourt cet immense patrimoine littéraire? Les réponses vont du oui le plus enthousiaste, oui, on peut se fier aux traductions, au non le plus intraitable, ce qu'il y a de plus littéraire ne survit pas à l'épreuve de la traduction, en passant par des propositions obliques qui font de la traduction le moteur même des échanges littéraires, et donc de la littérature mondiale. Et puis, dans ce même module, nous nous pencherons sur les collectionneurs. Quels genres de collections pourrait embrasser la littérature mondiale? Le défi est double, il faut définir ce qu'on collectionne et s'employer à l'acquérir. Les difficultés, vous le verrez, sont nombreuses, et les réussites, d'autant plus spectaculaires. La deuxième généalogie qu'ont suscité les notes de Goethe est de nature pédagogique. Très vite, on s'est demandé comment la Weltliteratur, la littérature mondiale, pouvait contribuer à la Bildung, à la formation intellectuelle, morale et civique du futur citoyen. Les enseignements de littérature mondiale ont été envisagés comme des lieux où l'on pouvait comprendre d'où l'on vient, dans quelle culture on vit, et quelles autres cultures nous environnent. La pédagogie s'est teintée d'une dimension éthique. Faire lire des textes de la littérature mondiale aux élèves, c'est sans doute œuvrer au respect réciproque des peuples et à la pacification des relations internationales. Mais la littérature mondiale a également été mise au service des idéologies. En Union Soviétique, aux États-Unis, elle a été chargée d'inculquer des idéaux de société et l'on ne désigne alors plus sous ce terme que les œuvres étrangères politiquement compatibles avec le communisme, l'athéisme, ou à l'inverse l'héritage chrétien et le libre-échange commercial. Aujourd'hui, on croit de nouveau à la valeur pédagogique de la littérature mondiale, et des anthologies récentes en proposent des usages pour le secondaire et pour l'université. Nous en discuterons ici quelques-unes. Et nous nous arrêterons également sur deux cas, un poème et un roman français du XXe siècle, pour nous demander ce qui change lorsqu'on les enseigne dans la perspective de la littérature mondiale. L'œuvre de Philippe Jaccottet sera soudain traversée par le haïku japonais, et celle de Louis Aragon par la lyrique arabe, au lendemain même de la guerre d'Algérie. La troisième généalogie de la littérature mondiale suscitée par les écrits de Goethe est éminemment critique. On y brandit le cosmopolitisme contre la nation, l'art contre le commerce, l'utopie intellectuelle contre la routine universitaire. On y reconnaît des actions marxistes, une dénonciation des inégalités littéraires à l'échelle de la planète, mais cet altermondialisme pour ainsi dire était déjà présent chez Goethe. Pour lui, un autre monde était possible que celui du marché mondial, la Weltliteratur était l'antidote du Weltmarkt, du marché mondial. Et puis, il y a les écrivains, tous les écrivains qui se sont eux aussi réclamés de la littérature mondiale. Nous passerons quelques temps avec eux en Afrique, en Inde, aux Antilles, en Europe, et nous découvrirons que la littérature mondiale a été le nom d'une autre modernité, peu nationale et parfois très engagée. Nous conclurons enfin ce tour d'horizon en abordant les dilemmes de la littérature mondiale. L'ensemble du MOOC nous aura mis face à des tensions impossibles à résorber, et qui font précisément toute la richesse des réflexions sur la littérature mondiale, le statut de la langue originale et de la traduction, l'inscription cosmopolite ou nationale de la littérature, les leçons morales, politiques ou idéologiques à tirer de la fréquentation de la littérature mondiale. Ces dilemmes, vous l'aurez compris, sont tout simplement à l'image de notre époque, et la littérature mondiale nous aide à mieux la déchiffrer. [MUSIQUE]