Bonjour à tous, et bienvenue dans cette dernière interview sur la semaine concernant l’entreprise. Nous avons vu que celle-ci était une organisation vivante, que son but était de vivre et de se développer, et que, comme nous, elle affrontait également la complexité, notamment de deux types, celle du milieu extérieur et celle intrinsèque. Cela la force à faire face à ses problèmes d’organisation, à certains risques d’anarchie ou de paralysie, des problèmes de spécialisation dans le cadre de l’entreprise, et nous avons aujourd’hui la chance d’être en compagnie de monsieur Thierry Taboy, qui donc est responsable des enjeux sociaux et sociétaux à la direction responsabilité sociale des entreprises du groupe Orange. Il a également été responsable du département Market Intelligence de Sofrecom après avoir été responsable du projet Parthenay ville numérisée et rédacteur en chef adjoint de Transversales Sciences et Culture. Monsieur Taboy, donc, va nous faire le plaisir de répondre à certaines questions, afin que nous puissions mieux appréhender la complexité dans le contexte de l’entreprise, et certaines pistes qui sont proposées pour mieux la gérer. Monsieur Taboy, merci beaucoup d’être avec nous, et je vais directement vous poser la première question. Pourquoi peut-on dire que l’entreprise est une organisation complexe? Quelles sont les difficultés d’organisation qu’elle rencontre? >> Alors, vous savez qu’Orange fête ses 20 ans aujourd’hui, enfin cette, cette année, et en 20 ans que de changements! On est une entreprise qui, aujourd’hui, est présente dans plus de 30 pays, on a à peu près 160 000 salariés, dont 100 000 en France répartis sur l’ensemble de ces pays, avec 236 millions de clients. Et, c’est vrai que, aujourd’hui, ce qui caractérise un petit peu le monde, c’est le côté immédiateté et mondialité. Et donc, l’entreprise doit à la fois se confronter à cette nouvelle dimension, qui est une, une véritable gageure pour elle. Faire travailler autant de gens de cultures, de langues différentes et à la fois être toujours prête à être capable de pouvoir prendre l’initiative ou choper l’innovation par des signaux faibles là où elle est. Donc, ça impose tout un tas de changements. En parallèle, l’ensemble des métiers ont changé. On est très loin du x 25, aujourd’hui c’est Internet, tweeter, et cetera. Donc, ça caractérise bien ces grandes entreprises qui sont obligées de s’adapter à cette nouvelle donne, ce qu’on pourrait appeler une nouvelle donne, et qui amène forcément à ne plus respecter le cadre référentiel dans lequel on pouvait être encore il y a 20 ou 30 ans. Comme je le disais, c’est vraiment adaptabilité, immédiateté, capacité d’innovation, et ces éléments-là sont des éléments qui, de fait, amènent ce qu’on pourrait appeler des injonctions contradictoires, puisqu’il faut à la fois être ouvert, à la fois respecter le suivi de nos clients dans la durée, et cetera. Donc, on est vraiment face à une sorte de nouveau cadre référentiel. >> Parfait, merci beaucoup. Et alors, finalement, concrètement, quels sont les moyens mis à disposition des collaborateurs au quotidien pour gérer cette complexité et pouvoir prendre leurs décisions? >> Alors, il y a plusieurs éléments. On pourrait dire d’un côté il y a un énorme travail qui est fait du côté de la GPEC, donc la gestion prévisionnelle des emplois et des carrières, puisque finalement, les métiers doivent changer. C’est vrai que, que ce soit au niveau technique, que ce soit au niveau marketing, que ce soit au niveau même de la gestion des achats, des métiers traditionnels de l’entreprise, ces évolutions doivent être prises en compte à la fois par l’entrée de nouvelles personnes, par la mise en place d’une véritable diversité au sein de l’entreprise, parce qu’on sait très bien que, plus on a de diversité, plus on est à même de comprendre un monde en mouvement et donc, il s’agit de faire rentrer cette question de la diversité comme étant un élément clé dans l’entreprise. Et, par ailleurs, former l’ensemble des managers, managers de proximité comme leaders, de manière à ce qu’ils ne soient plus face à la complexité comme quelque chose, enfin ils ne considèrent plus la complexité comme quelque chose de subi mais plutôt qu’ils l’embrassent comme un élément inhérent à leur activité. Donc, ça passe par des formations, je crois qu’on est à plus de 9 000 modules de formation aujourd’hui dans l’entreprise sur différents sujets, que ce soit des sujets d’évolution de métiers, que ce soit des sujets de nouvelles appréciations dans le faire savoir, le savoir faire, et cetera. Je vais vous donner un exemple très clair. La culture de l’ingénieur l’amène à être dans le faire. Aujourd’hui, l’innovation nous amène à être ouverts à l’extérieur, hors les murs de l’entreprise, et de plus en plus de travailler avec tout un tas de partenaires avec lesquels nous n’étions pas habitués à travailler. Des partenaires de petite taille, des partenaires de, du secteur informel, par exemple dans le, dans la zone Afrique. Tout ça amène à modifier aussi une culture de l’entreprise autour de la question de non plus faire, mais aider d’autres à faire, et être une sorte de facilitateur, de catalyseur de ces actions portées par ceux qui sont plus près de leurs clients. Donc, à la fois, on doit permettre une plus grande diversité sur toutes les strates de management, et quand je dis diversité, je ne pense pas seulement à l'équité femme homme, je pense aussi à l’intégration d’une pluralité d’acteurs. D’où, par exemple, le fait de faire des vis ma vie, connaître le métier de l’autre, apprendre l’autre dans sa différence le plus possible, faire en sorte que les gens puissent se comprendre pour pouvoir travailler en équipe et en équipe qui peuvent être des équipes internationales. Faire en sorte que, par exemple, la France ne travaille pas qu’avec la France, mais avec des chiffres, des produits, des services qui puissent toucher les communautés actives. Je pense au handicap par exemple. Donc, du coup, pour ce faire, on est obligé à la fois de permettre et de, enfin de multiplier les rencontres dans la différence et à la fois vers l’extérieur. C’est d’ailleurs ce qu’on fait aujourd’hui quand on travaille avec des entreprises de l’ordre de, ce qu’on appelle l’économie sociale et solidaire, comme la Ruche, ces acteurs-là, de manière à être au plus proche et soutenir le développement de l’activité par des tiers. Alors que nous, on est plus en situation d’être les faiseurs. >> Parfait, merci beaucoup. On comprend bien les, cette double dimension. Et donc, quels sont les moyens mis en œuvre par votre entreprise pour humaniser le travail et contribuer au développement d’un sentiment de communauté? >> Alors, il y a plusieurs éléments. D’abord, nous avons beaucoup développé les réseaux sociaux internes, de manière à ce que les gens puissent se retrouver à la fois sur des sujets, mais à la fois sur des compétences, l’idée étant que, si j’ai une question à poser, je peux m’autoriser à la poser parce que je ne suis pas seulement, je ne dois pas fermer, je ne dois pas me fermer à l’information mais être ouvert, donc il y a toute la partie réseau de l’entreprise. Comme je vous l’ai dit, il y a la partie formation, qui est un élément important. On lance des éléments de vis ma vie qui permettent donc à chacun de vivre la vie d’un autre métier de manière à mieux comprendre et transversalité, et transversaliser pardon, la logique, la logique de connaissance, puisque finalement, c’est très bien que une des caractéristiques majeures, et qui manquait historiquement à ces grandes entreprises pyramidales, c’est des acteurs qui soient en capacité de faire de la catalyse et de la maïeutique. Donc, il s‘agit de connaître l’autre dans sa différence et de créer une nouvelle sorte, enfin d’aider à l’émergence d’une nouvelle forme de management qui soit un management autour de la conviction et de la maïeutique. >> Parfait, merci infiniment, monsieur Taboy. On comprend bien à travers de vos propos à quel point l’humanisation de l’entreprise est finalement la clé de toute compétitivité et que la communauté et l’humanité est donc liée à cette complexité pour permettre de la gérer, d’en sortir. Elle en crée certes de nouvelles couches mais elle permet également de donner beaucoup de richesse aux organisations et aux individualités. Nous allons. >> J'ajouterai, j'ajouterai. >> Oui, pardon. >> Si vous me le permettez, j’ajouterai deux points. Je crois qu’il est très important que les équipes dirigeantes soient acteurs de cette dynamique pour l’impulser. Typiquement, de notre côté par exemple, une part de la part variable, par exemple, des dirigeants de l’entreprise, est indexée sur l’efficacité sociale, sur la capacité à embrasser et suivre les gens dans leur différence. C’est un élément clé puisque ça, ça veut dire que l’entreprise acte de fait, via des indicateurs, via des suivis qui peuvent avoir des impacts, le fait qu’effectivement il faut aller vers cette logique-là. Je prends un autre exemple. Nous avons donné des, nous avons fait des annonces sur le nombre de femmes qui pouvaient être dans l’entreprise dans toutes les strates de management. Cet élément-là est un élément crucial. Donc, aujourd’hui, on a pris la mixité du groupe et on, on a dit que on a donné des engagements sur le fait qu’il y aurait plus de 30 % de femmes dans chaque instance décisionnelle du groupe jusqu’au plus haut niveau. Tous ces éléments-là sont des éléments clés, parce que la diversité fait partie de la complexité. >> Et permet également, l’expression, je pense, de la liberté individuelle et collective qui est source de développement. >> On est d'accord. >> On vous invite à commenter cette discussion dans le cadre des forums qui vous sont proposés. Merci beaucoup, monsieur Taboy, d’avoir été avec nous et, à très bientôt. >> C’était un plaisir.