Il y a, fort heureusement, des sciences complexes, c'est-à-dire qui n'ont pas ces carences de la vision classique des sciences, parce qu'elles permettent de relier des connaissances qui viennent de disciplines séparées, et, en même temps, d'avoir un point de vue global et qui permet de comprendre les émergences. Il y a, parmi ces sciences, il y a les sciences de la Terre. C'est très intéressant parce que on a unifié les sciences de la Terre à partir du moment où on a découvert la tectonique des plaques, c'est-à-dire ces plaques sous marines ou souterraines qui dans le fond se trouvent sous nos continents et sous nos océans, qui bougent, qui se bousculent, qui se heurtent, qui provoquent des tremblements de terre, qui provoquent des éruptions volcaniques, qui provoquent la séparation des continents, ou au contraire leur rapprochement, bref, à partir de ce moment-là on a compris que la Terre était un système global, qui permettait de relier ensemble des sciences séparées, qui étaient la géologie, la géophysique, la météorologie, la sismologie et la vulcanologie, maintenant toutes ces sciences sont liées, et on peut comprendre la Terre, comme un ensemble, un système complexe, et maintenant, mais avec en plus la biosphère, mais là, grâce à cette autre science, l'écologie. L'écologie, ce n'est pas, principalement, et ce n'est pas d'abord un mouvement politique et social, c'est avant tout une science nouvelle qui s'est formée et s'est développée, à partir de la moitié du XXe siècle, et ce développement s'est fondé sur l'idée d'écosystème. Qu'est-ce que c'est qu'un écosystème? Un écosystème c'est, dans un lieu donné, qu'on appelle une niche écologique, et qui a certains caractères, disons, géographiques, ou climatiques donnés, vous avez l'ensemble des interactions entre les unicellulaires, les végétaux, les animaux, le climat, la qualité du sol, etc. Il se crée un système organisé, spontané, qui, finalement, s'autorégule. Il s'autorégule comment? Par un cycle de vie, qui est en même temps un cycle de mort qu'on appelle le cycle trophique, c'est-à-dire que vous avez des animaux végétariens qui mangent les plantes, vous avez des petits végétariens qui sont mangés par les moyens carnivores que mangent les gros carnivores, mais même quand un gros carnivore, comme un lion, meurt, eh bien il va faire un régal d'insectes nécrophages, de vers de terre, et en plus les sels issus de la décomposition de son corps vont permettre aux racines des plantes d'utiliser, donc, ces sels minéraux. Donc cycle de vie, cycle de mort, régulation, vous avez un système spontané, un système organisé, sans tête, sans cerveau, mais qui fonctionne de par les interactions. Et l'écologiste, enfin le scientifique, ou l'écologue, si vous voulez, cet écologue, il a nécessairement des compétences en biologie, en botanique, en zoologie, en microbiologie, en géologie, enfin, dans toutes les sciences concernées, pour comprendre comment fonctionne, se règle, se dérègle l'écosystème. Et c'est ainsi que l'on est passé, dans les années 70, à une conception où on a essayé de considérer l'écosystème des écosystèmes, c'est-à-dire ce qu'on appelle aujourd'hui la biosphère, l'ensemble du monde vivant de la planète Terre, et cette biosphère vivante, elle-même elle a ses propres régulations, elle a sa propre organisation. Bien entendu on ne peut pas faire des prédictions extrêmement précises, sur ses évolutions, notamment aujourd'hui qu'il y a beaucoup de pollutions, de dérèglements, de dégradations, et qu'il y a un problème de réchauffement climatique, on ne sait pas exactement où l'on va, dans quelle mesure tous ces phénomènes vont se passer rapidement ou non, mais ce qu'on peut avoir, ce qu'on apprend c'est quelque chose d'extrêmement précieux, on comprend notre relation avec la nature vivante. On comprend que nous sommes dans un monde où nous devons trouver une meilleure relation avec le monde vivant, non pas seulement pour sauver ce monde vivant dans sa biodiversité, mais pour nous-mêmes, pour ne pas succomber sous le poids des dégradations et des pollutions, que nous allons faire sur ce monde vivant. Donc, vous voyez que nous avons affaire à une science d'une complexité tout à fait nouvelle, et donc, vous vous rendez compte maintenant, si je me permets de généraliser, que la pensée complexe, c'est-à-dire une pensée qui relie, et qui utilise différents moyens, comme je l'ai montré dans ma première communication, n'est-ce pas, pour relier des phénomènes qui jusqu'à présent sont séparés ; alors, cette connaissance complexe elle permet aussi de nous situer, nous, par rapport aux problèmes fondamentaux, comme celui de la nature, ou comme celui, nous allons le voir, de la mondialisation. Alors que quand vous êtes dans des savoirs compartimentés et parcellaires, vous ne pouvez absolument pas vous situer. Cela nous permet, disons, d'avoir cette relation entre le sujet et l'objet. Je vous ai dit tout au début de mon exposé que l'objet de connaissance, il était relationné de façon inséparable à nous, et dans le fond, c'est ça qui était très important, c'est de nous connaître, nous, dans notre relation au savoir. Le problème n'est pas seulement la connaissance de la connaissance qui est indispensable, le problème aussi c'est la connaissance du connaissant. Et alors, à ce moment-là, je dirais que la connaissance complexe, elle n'apporte pas de vaccins, contre l'erreur et contre l'illusion, il n'y a pas, de tels vaccins n'existent pas, ce serait trop simple, elle apporte des moyens de défense, des moyens qui vont aider nos défenses immunologiques. De même quand nous prenons certains produits, ou nous prenons des vitamines C, et nous prenons des fruits, nous prenons des protéines, des choses si vous voulez qui vont renforcer nos défenses contre les agressions des virus, des microbes, des bactéries, nous avons besoin de fortifier notre système psychologique, mental, intellectuel, dans sa défense contre les erreurs et les illusions. C'est ça, fondamentalement, que vous apporte la pensée complexe. Elle vous apporte des moyens de mieux connaître, de mieux détecter les erreurs, de mieux détecter les maladies cognitives. Bien entendu, elle ne vous donnera jamais la certitude, vous êtes, à chaque fois, à nouveau, vous posez la question telle et telle. Il y a toujours une incertitude. Et pour vous donner un exemple de l'incertitude un peu de la vie, ou de la connaissance, je me réfèrerais à la bataille de Midway. La bataille de Midway, c'est une bataille navale qui a eu lieu dans le Pacifique après que les japonais ont réussi à prendre des possessions dans tout le Pacifique et les américains étaient en déroute, la flotte américaine a su que la flotte japonaise allait s'approcher des sites Midway, enfin menaçait la Californie. Alors il y a eu la flotte américaine, et sur des centaines de kilomètres il y avait des porte-avions, il y avait des sous-marins, il y avait des cuirassés japonais, les avions des deux parties essayaient de venir voir ce que faisaient les autres, il y avait des brouillards, il y avaient des nuages, une bataille aveugle s'est menée entre les deux flottes. Et à un moment donné, au bout de quelques jours, l'amiral japonais, voyant qu'il avait perdu deux ou trois porte-avions, et voyant que, il avait perdu, pas mal aussi d'avions, il a pensé qu'il était vaincu et il a battu en retraite. Et du coup les américains ont appris qu'ils étaient vainqueurs. Eh bien la bataille contre l'erreur et contre l'illusion, c'est une bataille toujours incertaine, et il faut espérer qu'on peut en sortir vainqueur.