Alors, quand on pense toujours à l'action, il n'y a pas seulement ce principe d'incertitude de l'écologie de l'action, c'est-à-dire du milieu, le passé. Mais ça affecte aussi cette question classique qui est du rapport entre la fin et les moyens. Le problème est le suivant, est-ce que toutes les fins sont bonnes quand on a un moyen noble? D'ailleurs, c'est une idée que aussi bien a pu appliquer certaines religions, que disons, le communisme de style bolchévique en disant tout ce qui sert la révolution est bon, et tout ce qui l'a dessert est mauvais. Mais là-dessus, nous nous sommes rendu compte que si on emploie des moyens mauvais en contradiction avec les fins, ce qui s'est passé pour le communisme, c'est-à-dire les fins, c'était la fraternité, c'était la liberté, et les moyens, c'était la dictature, le goulag et la police secrète. Donc, il est évident que les moyens ont contaminé les fins et finalement sont devenus les fins véritables. Donc, nous devons toujours nous poser la question de la validité des moyens que nous utilisons pour arriver à certaines fins, parce que là aussi, les moyens peuvent faire que les fins se dégradent. Donc, voici un problème. Et le deuxième problème, c'est le problème du réalisme, parce qu'il est certain qu'une action, pour être efficace, pour être valable, doit se faire, disons, avec un minimum de respect pour la réalité. Si on est contredit de la réalité, on est dans ce qu'on appelle l'utopie dans un monde idéal, mais imaginaire. Alors, l'idée banale, c'est qu'il faut être réaliste, c'est-à-dire s'adapter au présent, mais ne pas être utopique. Seulement, les choses sont beaucoup plus complexes. C'est qu'on peut dire qu'il a deux sortes d'utopies. Il y a l'utopie d'une idée qui, actuellement, n'est pas possible, mais qui est quand même dans les possibilités concrètes. Prenez, par exemple, que tous les habitants de la Terre soient nourris à leur faim, alors qu'il y a encore des famines et des sous-alimentations. C'est une idée qui est possible. Il y a toutes des capacités productives qui existent. Il y a même, là en fait, par des cas opinément de certaines crises liées à des conditions climatiques, on peut nourrir la planète. Mais aussi bien les rapports internationaux, les spéculations, et cetera, font que toute une partie des habitants du globe soient sous-alimentés et que dans certains cas, connaissent la famine. Donc, actuellement, ce n'est pas possible de nourrir tous les habitants du globe, mais à supposer qu'il y a une civilisation planétaire où il n'y a plus de guerre, où il y a une sorte d'instance supérieure qui gouverne la planète. Et alors à ce moment-là, ça veut dire, est-ce que la paix entre les différentes nations, qui est aujourd'hui tout à fait impossible, semble utopique, est possible? Oui, puisque les guerres entre féodaux ont été supprimées quand les monarchies des nations se sont instituées, les guerres entre les pays européens semblent être abolies avec l'Union européenne. Pourquoi ne pas imaginer que ça peut se passer à un moment donné à l'échelle de la planète, d'autant plus que c'est une nécessité vitale à l'époque des armes nucléaires. Donc, voici une utopie qui est bonne, mais il faut y travailler pour parce qu'elle n'est pas impossible. Par contre, la mauvaise utopie, c'est une harmonie généralisée. Tout le monde sera heureux, tout le monde sera content, tout le monde se comprendra. Il n'y aura plus de conflits. Non, nous ne pourrons jamais éliminer tous les conflits. Nous ne pourrons jamais rendre tout le monde heureux, nous pouvons créer, disons, un monde meilleur, mais nous ne pouvons absolument pas penser qu'on peut arriver au meilleur des mondes, un monde quasi paradisiaque. Alors, donc, vous voyez, l'utopie, c'est plus complexe qu'on le pense. Mais je dirais même aussi, le réalisme. Le réalisme, si il consiste à s'adapter à l'état présent, disons, d'une nation ou du monde, eh bien, on a l'impression qu'on ne peut pas faire grand chose. Mais il faut tenir compte que la réalité, ce n'est pas seulement le présent, puisque le présent lui-même se modifie. Il y a sans arrêt ce que le philosophe Hegel appelait la taupe de l'histoire, la vieille taupe de l'histoire. qui travaille, qui fait ses quadrilles souterraines et qui fait péter la surface. Donc, être réaliste, c'est presque une utopie de vouloir s'adapter au réel, parce que le réel se transforme. Il faut faire des paris sur le réel, sur l'effort de transformation. Il faut faire une sorte de jeu entre les aspirations idéales et la conscience des difficultés réelles. Donc, voici quand même un problème très important. Et ce problème très important se pose surtout en question de crise, parce qu'une crise, c'est avant tout une incertitude. C'est l'incertitude de savoir qu'est-ce qu'il va sortir de cette crise. Qu'est-ce qui va sortir de cette crise gouvernementale? Qu'est-ce qui va sortir de cette crise économique? On ne sait pas. On ne sait pas dans quelles mesures ce sera des forces régressives, qu'il faut faire une marche arrière, ou des forces progressives qui auront quelque chose de meilleur qui vont l'emporter. Vous avez toujours, et nous sommes en période de crise, vous avez toujours sur l'incertitude du futur, est-ce que c'est le meilleur, est-ce que c'est le pire, ou est-ce que ce sera ni l'un, ni l'autre, quelque chose entre les deux. Voici donc le problème de crise. Maintenant, j'en viens aussi à un autre problème d'incertitude qui tient au fait que nous savons aujourd'hui deux principes qui s'opposent, le principe de précaution. Pourquoi? Parce que il y a beaucoup de risques qui viennent d'innovations. Et aussi un principe de risque parce qu'on ne peut pas rester complètement immobile et qu'on ne peut pas échapper aux risques. Donc, à mon avis, la question, c'est de combiner le principe de risque et le principe de précaution, dont certains cas désirent la précaution est nécessaire. Par exemple, personnellement, moi, je pense qu'il faut maintenir le principe de précaution pour les OGM en attendant que l'on voit mieux les conséquences de ces OGM. Et surtout parce que cela signifie de la mainmise par une grande multinationale comme Monsanto sur la plupart des paysans qui ne sont plus libres d'utiliser leurs graines, leurs semences, mais qui vont dépendre de cette multinationale. Donc, si vous voulez, le problème, c'est que de comment jouer vers une dialectique, parce que tout ce qui est nouveau fait penser à un risque. Quand les chemins de fers ont commencé, beaucoup de gens s'affolaient en disant, mon Dieu, il va avoir des vitesses épouvantables à 30 kilomètres à l'heure, on ne vas pas pouvoir supporter ça. Bon, il y a toujours eu comme ça, et l'aviation aussi. D'ailleurs, l'aviation, qui court beaucoup, un avion, qui court beaucoup plus de risques, évidemment, qu'une voiture, parce qu'il n'est pas sur le sol, mais il faut dire que ce risque accru est accompagné de précautions accrues, multiples, contrôle des moteurs, contrôle de l'appareil, et cetera. Donc, vous voyez que le vrai problème est, il n'y a pas une solution standard d'avance. Il y a des cas où il faut se lancer dans l'aventure en sachant qu'il faut prendre peut-être à un moment prendre des précautions et d'autres cas, c'est la précaution, mais peut-être qu'il faut, un moment donné, se lancer dans le risque. Je dis tout ça parce qu'on est dans une civilisation de risques. Ça, ça a été très bien dit par Ulrich Beck et ça a été repris par Patrick Lagadec. C'est qu'il dit même que nous sommes dans une civilisation qui produit des risques énormes. C'est vrai que c'est notre civilisation qui a produit Hiroshima, qui a produit Tchernobyl, qui a produit Fukuyama. Nous avons aujourd'hui l'A380, mais imaginons un crash de l'A380, c'est des centaines et des centaines de passagers qui vont s'effondrer. Déjà, vous avez l'avion de Malaysian Airlines qui s'est effondré avec 200 et quelques passagers. Nous sommes, disons, vous avez des vaisseaux géants et comme le Titanic, le Titanic était sûr, n'est-ce pas, de ne pas avoir d'accidents, il a heurté un iceberg. Bon, aujourd'hui, nous avons des nouveaux Titanic, mais je vais même dire que la planète est un véritable Titanic, elle court des risques énormes. Donc, nous avons un gigantesque accroissement de risques qu'on appelle technologiques, économiques qui sont des risques de civilisation et c'est ça dont il faut être conscient.