Si on s'intéresse à la complexité et à la manière dont elle influence la vie des organisations contemporaines, il est important de s'attarder quelque peu à la notion de complexité institutionnelle et, à ses conséquences pour les organisations. Celle-ci, elle fait référence aux situations où des organisations sont soumises à des critères de légitimité contradictoires émanant de diverses parties prenantes. Un hôpital par exemple est à la fois un lieu de soins au service des patients, mais également un outil de gestion au service d'une politique de santé publique. Une institution d'enseignement supérieur est à la fois un lieu de production de recherches académiques, scientifiques, mais aussi un prestataire de services pour le compte d'étudiants et de participation en formation continue. Une entreprise, elle est à la fois un outil de création de richesse pour des actionnaires, mais également un employeur ou un acteur influant sur un territoire donné. Alors de tous les temps, les organisations, aussi diverses soient-elles, ont été soumises à des attentes multiples émanant de diverses parties prenantes. Mais, généralement, l'une d'entre elles était prédominante. Et il lui suffisait alors de prioriser les attentes de cette partie prenante. Les actionnaires pour l'entreprise, les malades pour l'hôpital, ou les chercheurs pour l'institution académique. Depuis quelques décennies cependant, les évolutions sociales et économiques font évoluer les grands équilibres et il devient plus difficile aux organisations d'ignorer certaines demandes. Dans un contexte de contraction des dépenses publiques, par exemple, l'hôpital ne peut plus ignorer la nécessité de développer son efficacité économique. L'institution académique, elle ne peut pas négliger les attentes de ses clients, que sont les étudiants, qui contribuent pour une part importante parfois de ses ressources. L'entreprise, elle ne peut souvent plus ignorer ses effets sur son environnement, qu'il soit naturel ou social, sans courir de risque de violentes représailles d'organisations internationales ou d'organisations non gouvernementales. On voit du coup émerger des organisations hybrides. Ces évolutions amènent effectivement nombres d'organisations à devenir hybrides, c'est-à-dire à combiner en leur sein, des modèles traditionnellement considérés comme contradictoires. Et des frontières qui étaient considérées comme étanches, deviennent poreuses et, amènent à l'émergence d'enjeux nouveaux pour les organisations. Alors prenons l'exemple des mondes capitalistes et non lucratifs. Il y a quelques décennies, le monde était relativement simple. On avait d'un côté le monde des entreprises capitalistes et de l'autre de monde des organisations à but non lucratif à finalité sociale, les associations, les fondations par exemple. La répartition des rôles était simple : les entreprises capitalistes se focalisaient sur la satisfaction de leurs clients pour maximiser le profit pour leurs actionnaires, alors que les organisations à but non lucratif se concentraient sur la production de valeurs sociales pour leurs bénéficiaires. Depuis quelques décennies, cependant, les frontières entre ces deux mondes, sont devenues de plus en plus floues. D'un côté par exemple, Danone, leader mondial des produits laitiers, définit sa mission comme : apporter la santé par l'alimentation au plus grand nombre, formulant ainsi une mission que ne renierait pas une ONG d'aide alimentaire. De l'autre, le groupe SOS, un des plus grands groupes d'économie sociale se donne pour projet de devenir une des premières multinationales sociales actant de fait l'ambition économique du groupe. D'un autre côté, Veolia, leader mondiale de la distribution d'eau, crée une joint-venture avec la banque des pauvres, la banque de microcrédits Grameen pour distribuer de l'eau potable aux populations les plus pauvres au Bengladesh. De l'autre Emmaüs, acteur majeur de la solidarité depuis sa création par l'abbé Pierre, lance Emmaüs Défi, une filiale marchande pour contribuer à l'insertion de chômeurs de longue durée. Le monde n'est plus dichotomique. Il est hybride. Il n'y a plus le social d'un côté, et l'économique de l'autre, mais souvent une combinaison des deux, au sein d'une même organisation, au sein d'une même entreprise. On reflète l'émergence de nouveaux termes dans le prolongement du terme d'économie sociale forgé il y a près d'un siècle. Entrepreneuriat social, social business, responsabilité sociale des entreprises, inclusing business, ou impact investing, sont utilisés pour refléter ces nouvelles pratiques hybrides. Cette hybridité cependant, elle n'est pas l'apanage d'organisations qui combinent social et économique. On la retrouve dans de nombreux domaines qui incluent par exemple les entreprises biotech, qui combinent science et commerce, les partenariats public-privé, qui combinent intérêt général et initiative privée, ou les entreprises de cette nouvelle économie collaborative, par exemple dans le domaine du covoiturage, qui combine souci de l'environnement naturel et performance économique. Le développement de ces formes hybrides, il est certainement une excellente nouvelle. Il y a fort à parier qu'elles soient de formidables lieux d'innovation pour inventer des réponses nouvelles à des enjeux économiques et sociétaux majeurs, qu'elles développent des modèles économiques pérennes, ou qu'elles soient capables de mobiliser des ressources de manière plus large et plus efficace que leurs homologues non hybrides. Mais l'hybridité au sein d'une organisation est potentiellement aussi source de fragilité. Précisément parce que par nature, l'hybridité est difficile à lire par des parties prenantes extérieures. Elle ne correspond pas finalement aux catégories auxquelles ces parties prenantes sont habituées. La sirène par exemple, elle n'est ni femme ni poisson. Fragilité aussi parce que l'entreprise hybride, elle doit mélanger différentes cultures ou visions du monde, et que celles-ci peuvent être sources de tensions en interne. Si on reprend la métaphore de la sirène : faut-il vivre dans l'eau ou hors de l'eau? Là aussi, les différentes composantes de la sirène peuvent avoir des visions différentes. Fragilité pour finir car des arbitrages entre les différentes dimensions de l'entreprise sont souvent requis, risquant de favoriser une dimension au détriment de l'autre. Notre sirène a des bras dysfonctionnels pour nager, et une queue dysfonctionnelle pour marcher. Alors, des études suggèrent que les organisations hybrides qui parviennent à exceller malgré ces faiblesses, sont celles qui parviennent à faire trois choses : d'abord, à créer une tension positive entre les dimensions contradictoires qui la composent ; par ailleurs, elles parviennent à développer le capital humain hybride de leurs collaborateurs, ou au moins de certains d'entre eux, et faire d'eux des individus capables de comprendre et d'exceller dans les deux dimensions. Alors pour vous, dirigeants, futur dirigeants, entrepreneurs, futurs entrepreneurs, un enjeu majeur sera de déchiffrer la complexité institutionnelle dans laquelle vous évoluez, et de réussir l'hybridation de votre organisation qui peut en découler. Cela passe par la prise en compte de cette complexité, son acceptation, mais aussi par le développement de votre capacité personnelle à opérer en tant que leader hybride capable à la fois de parler la langue de l'économique et du social, de la science et du commerce, ou du public et du privé. C'est un défi personnel certain, mais qui certainement sera passionnant.