Il faut dire que nous, individus, personnes, nous sommes plongés dans l'histoire, et que l'histoire, quand nous le voyons du point de vue du passé, nous avons l'impression que nous sommes certains de beaucoup de choses, c'est évident, mais en réalité, l'histoire se développe sans que les acteurs soient vraiment conscients de là où ils vont. Je me rappelle que dans mon adolescence, la France allait vers une catastrophe historique qui était le désastre d'invasion par les armées allemandes sans du tout se rendre compte qu'on allait vers ce désastre. Puis je prends un cas aujourd'hui très intéressant. Vous avez ce problème du réchauffement climatique. Un certain nombre de scientifiques, qui sont des scientifiques des sciences de la Terre, des scientifiques du climat, d'après un certain nombre de phénomènes, comme par exemple la diminution de la calotte glaciaire au pôle et les perturbations atmosphériques et la teneur de CO2 dans l'oxygène, annoncent et prédisent un probable réchauffement climatique. Mais ce réchauffement, tout d'abord, est contesté par une minorité de scientifiques, sans compter des non-scientifiques si vous voulez, et c'est pas seulement qu'il est contesté, mais un problème qui se pose mais dans le fond qui n'a qu'une importance que, si vous voulez, une importance réelle mais qui ne nie pas le réchauffement, c'est qu'on dit, la Terre a connu beaucoup de réchauffements et de refroidissements dans son histoire avant qu'il y ait ce développement technique, scientifique, industriel, donc c'est un réchauffement qui n'est pas d'origine anthropique, de anthropos l'humain, c'est un réchauffement qui est d'origine naturel. Qu'il soit d'origine naturelle, qu'il soit d'origine humaine, qu'il soit un mélange même d'origine humaine et d'origine naturelle, on peut penser que ce réchauffement climatique est très probable. Mais en même temps, nous ne pouvons pas du tout prédire son rythme. Nous pouvons prédire simplement que s'il continue, il va y avoir des migrations de populations, des régions fertiles qui vont devenir désertiques, des îles qui vont être submergées, et cetera, toute une série quand même de perturbations humaines et sociales. Mais, ce qui se passe, et c'est ça où je veux en venir, c'est notre attitude. On est alerté par les médias, on est alerté parce qu'il y a des conférences internationales qui ont eu lieu et qui se préparent, notamment à Paris en 2015, mais comme nous ne voyons rien de concret, on voit quelques petites tornades qui n'avaient pas lieu chez nous, mais on vous dit que c'est peut-être un accident, comme du reste dans nos pays la météo est toujours fluctuante, qu'on a eu des hivers froids et qu'on a eu des été chauds, dans le fond, la psychologie est de dire : j'y pense et puis j'oublie, on verra bien, on n'est pas là, c'est-à-dire que notre vigilance n'est pas émoussée, nous attendons. Alors que par exemple, il y a d'autres phénomènes, disons écologiques, qui sont évidents. Les pollutions urbaines dans les grandes mégapoles, c'est énorme, A Pékin, à Shanghai, à Paris même, enfin il y a tout ça, les dégradations provoquées par l'agriculture industrielle, les produits standards insipides et remplis de pesticides, c'est évident, mais ça c'est visible, et malgré tout, on réagit très peu parce que finalement on n'est pas bien informé. C'est pour vous dire que nous sommes dans des problèmes historiques très importants et nous restons ramollis parce que nous ne sommes pas stimulés par, disons, la conscience d'un péril urgent et immédiat. D'ailleurs, moi je crois que plus le péril croîtra, plus nous deviendrons conscients c'est la phrase du poète Holderlin qui dit que là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve. Alors, prenons maintenant l'incertitude dans l'histoire. Prenez le vingtième siècle, prenez le fait que le vingtième siècle a commencé dans l'euphorie, la belle époque et cetera. Prenez le fait que personne ne s'attendait à une première guerre mondiale. Prenez aussi qu'un accident, qu'il y a eu un attentat d'un extrémiste serbe nationaliste serbe à Sarajevo contre l'héritier archiduc d'Autriche, de qui fait que l'Autriche a mobilisé, a fait un ultimatum à la Serbie, à la suite de quoi la Russie tsariste qui était protectrice des Serbes a commencé à mobiliser, à la suite de quoi l'Allemagne qui était amie de l'Autriche-Hongrie a commencé à mobiliser, à la suite de quoi la France a mobilisé, à la suite de quoi l'Angleterre a mobilisé, et l'étincelle a jailli, la première guerre mondiale a commencé, tout le monde pensait que ça n'allait pas durer longtemps et elle s'est éternisée dans une guerre de tranchées, dans une guerre formidablement meurtrière, dont on reparle beaucoup aujourd'hui parce que nous sommes en 2014, anniversaire de la guerre de 1914, nous découvrons l'absurdité et le sang versé et dans le fond dans un événement tout a fait inattendu, et l'inattendu est surgi lui-même de cet événement. Pourquoi? Parce que l'armée russe s'est décomposée, et cette décomposition a favorisé un tout petit parti qui était le parti bolchevique, à se développer, à miser sur la démoralisation des troupes, sur le besoin des paysans d'avoir la terre, et il a déclenché cette révolution d'octobre 1917 qui a provoqué une guerre civile. Mais ce parti bolchevique qui va se créer est un parti qui va former un modèle, qui va servir de modèle au parti fasciste italien et après au parti nazi, c'est-à-dire un parti totalitaire, qui supprime toutes les autres parties et qui va du même fait supprimer des libertés et exercer une dictature sur une société et un pays. Donc, vous avez, de cette guerre sort le fascisme, le bolchevisme, le nazisme, et vous avez peu après, pas peu après, mais quand même à peine 20 ans après, vous avez à l'occasion d'une crise mondiale, elle-même totalement inattendue pour les contemporains, vous avez cette crise provoque en quelque sorte la montée, l'arrivée d'Hitler au pouvoir, qui transforme l'Allemagne de puissance vaincue en puissance revancharde expansionniste, et vous avez la deuxième guerre mondiale. Donc voyez, l'histoire, quand on la voit rétrospectivement, tout semble logique, mais quand vous la vivez au fur et à mesure, tout arrive de façon imprévue. Alors, donc qu'est-ce que ça veut dire? Je termine par une phrase du philosophe tchèque Patocka qui a dit : le devenir est problématisé à jamais, c'est-à-dire, le futur restera toujours incertain.