Il y a un principe d'incertitude qui est lié à la nature de la connaissance elle-même, et que je peux appeler le principe d'incertitude cérébro-mental, cérébro-mental parce qu'il tient au fonctionnement de notre cerveau, et mental parce que ça tient aussi à la façon dont notre esprit conçoit les choses. Bien entendu, cerveau et esprit, ce sont deux faces d'une même réalité sur laquelle je ne veux pas épiloguer parce que il y a de grands débats là-dessus. Mais disons, pour le moment, que c'est lié à ce qui nous donne la connaissance. C'est-à-dire que, prenez, d'ailleurs j'y viendrais quand je parlerai de la connaissance. Toute connaissance, à commencer par la plus banale, c'est-à-dire une connaissance perceptive, c'est-à-dire ce que je perçois avec mes yeux, et éventuellement aussi avec mes oreilles, mais enfin d'abord avec mes yeux. Ce que je perçois avec mes yeux n'est jamais une photographie de la réalité. Ce que je perçois avec mes yeux, c'est une traduction, suivie d'une reconstruction mentale. Pourquoi traduction? Parce que nous recevons des photons lumineux qui vont stimuler notre rétine. Mais à ce moment-là, ils déclenchent dans l'air optique, ils sont traduits dans un code binaire, et ce code binaire transmet au cerveau toutes les informations que reçoivent les yeux. Le cerveau lui-même les retravaille, et nous donne ce que j'appelle une vision, ce que tout le monde appelle une vision. Or, dans cette perception visuelle, pourquoi c'est pas une photographie? Parce que à l'œil, dans l'œil, la personne qui se trouve très loin de moi est petite, mais la personne qui se trouve très près est grande. Si je regarde des êtres humains du haut de la Tour Eiffel, ils sont minuscules comme des fourmis. Bon, mais ma constance perceptive, c'est-à-dire, c'est ainsi qu'on nomme ce mécanisme, fait que pour moi tous les êtres ont la même taille plus ou moins. C'est-à-dire, ceux qui sont loin ne sont pas petits, ceux qui sont près ne sont pas grands, et c'est-à-dire que nous avons un mécanisme qui rétablit la vraie taille. Donc, ça prouve que c'est une traduction et une reconstruction, mais il y a des risques d'erreurs dans la traduction, comme il y a des risques d'erreurs dans la reconstruction. D'ailleurs, pour ça, nous ne sommes pas sûrs. Nous ne sommes pas sûrs, pourquoi? Parce que, prenez par exemple un phénomène d'information le plus banal. C'est-à-dire, vous téléphonez, et vous donnez à quelqu'un un numéro de téléphone à votre auditeur. Vous êtes souvent amenés à répéter le numéro, ou à le faire répéter. Pourquoi? Parce que vous risquez qu'il y ait une erreur à la réception. D'ailleurs, c'est ce que dans la théorie de l'information, Shannon appelait le noise, le bruit, parce que entre l'émetteur et le récepteur, il peut y avoir du bruit, du bruit thermique, du bruit dans le fil, du bruit dans, et dans le fond, une perturbation. Donc, si vous voulez, toute communication risque une perturbation, et risque une erreur. Et du reste, quand vous avez des gens en groupe, que l'un chuchote à l'oreille de l'autre un mot que l'autre va le chuchoter à l'autre. Quand le mot revient au premier, il s'est entièrement modifié. Donc, vous avez là aussi ce principe d'incertitude qui est lié au fonctionnement de notre connaissance, et en plus, vous avez un principe d'incertitude, donc l'outillage logique que nous mettons. Parce que nous connaissons les choses avec de l'induction et avec de la déduction. Qu'est-ce que c'est que l'induction? C'est quand à partir d'un certain nombre de phénomènes, vous constatez par exemple que tous les cygnes que vous avez vus sont blancs, et vous arrivez à une conclusion, tous les cygnes sont blancs. Seulement, il est très possible qu'en Australie ou ailleurs, il y a des cygnes noirs. Mais l'induction, en général, est bonne quand vous avez un nombre limité de cas, vous généralisez. Mais il y a aussi des mauvaises généralisations. Il y a l'anecdote fameuse qui disait que un Anglais qui débarquait à Calais, voyant une Française rousse, disait toutes les Françaises sont rousses, ce qui n'est pas vrai. Donc, vous avez cet instrument d'induction qui est très bon pour connaître, mais qui peut se trouver erroné. Et vous avez en plus la déduction. Et nous avons la déduction qui semble une machine formidable de vérité, elle peut déraper. C'est le fameux apologue Épiménide le Crétois dit que tous les Crétois sont des menteurs. Alors, si cette phrase est vraie, c'est-à-dire que lui-même est un menteur. Alors, et si cette phrase est fausse, eh bien, ça veut dire aussi que les Crétois ne sont pas des menteurs. Ça vous met devant une contradiction logique, et vous pouvez avoir des cas comme ça. Et donc, vous avez des principes d'incertitude rationnels, vous croyez être dans une vision logique de la chose, et souvent vous êtes dans la rationalisation. Par exemple, quelqu'un qu'on regarde de travers dans la rue, et il suffisait que vous soyez angoissé, que vous ayez peur d'être espionné, pour que vous vous dites tiens, c'est un agent secret, c'est un espion. Et vous commencez à construire une théorie du complot, et souvent le complot est très logique. D'ailleurs, vous voyez beaucoup dans Internet, des théories du complot sur des tas d'événements comme le 11 septembre 2001, et cetera, on pensait que c'est des, mais alors parfois, il y a des complots réels. Mais souvent, c'est notre imagination qui fabrique des complots sur des bases fausses, mais avec des constructions rationnelles. Et alors, nous avons ce besoin de certitude qui, on peut appeler, l'addiction, la certitude parce que c'est comme une drogue. Pourquoi comme une drogue? Parce que nous avons tellement peur d'être dans l'incertitude que nous en accrochons à des pseudos certitudes. Mais en fait, elles nous trompent ces certitudes, beaucoup plus que l'incertitude qui elle-même nous inquiète. Et si vous voulez, vous avez beaucoup d'éléments d'inconscience de ce qu'on appelle la scène déception d'un mensonge à soi-même qui vous fait que vous croyez être dans telle vérité, et en réalité vous n'y êtes pas. Autrement dit, nous sommes menacés de l'incertitude de tous les côtés. Cela veut dire que il est en fait important et urgent de savoir comment lutter contre les incertitudes.